La Croix : Quelle est votre première réaction aux résultats de l’étude « Les Français et la Bible » ?

Yann Raison du Cleuziou : Cette recherche traite de la problématique du rapport à la religion protestante : elle place au centre le rapport à la Bible. Or, en France, la familiarité avec la Bible n’a jamais été considérée comme un facteur commun d’intégration religieuse.

Il ne faut pas oublier que la lecture personnelle de la Bible est arrivée très tard dans le catholicisme. La première édition complète de la Bible de Jérusalem a été publiée en 1956 ! Dans de nombreuses familles, la possession d’une Bible personnelle remonte à la seconde moitié du XXe siècle. Historiquement, la relation avec les Écritures était largement tributaire des offices religieux. Les références populaires à la religion en France sont basées sur des rituels, des pratiques et des dévotions, et non sur des textes. Bien que la relation des catholiques avec la Bible se soit développée tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, la Bible n’était pas le code de foi exclusif de nombreux catholiques.

27% des répondants français ont une Bible, et seuls 4% des Français déclarent lire la Bible au moins une fois par mois. Cela semble un peu…

Y. R. C. : Grâce à cette recherche, nous avons la confirmation que la Bible est encore peu utilisée. On voit aussi que tous ces chiffres diminuent, en général, en vingt ans. Cette étude montre également le déclin des traditions bibliques, même si elles sont encore très populaires. Seulement 20% de la population ne comprend pas entièrement les différentes parties de l’histoire de la Bible.

Un Français sur quatre déclare vouloir mieux connaître la Bible, trois sur quatre non. Doit-on voir le verre au quart plein ou aux trois quarts vide ?

Y. R. C. : Si on regarde directement les chiffres, cette méthode est très claire et incite à regarder davantage le verre vide. Les Français, lorsqu’on leur demande s’ils veulent mieux connaître la Bible, répondent par « Absolument oui » ce n’est que la partie 4. Il semble aussi que les plus curieux soient les catholiques et les protestants qui ont tendance à le faire. Chez les « non-religieux », il y a peu d’appétit, comme chez les catholiques inactifs. Quand il y a beaucoup de groupes religieux, le désir de la Bible diminue. À mesure que la religion augmente, le désir de la Bible augmente également.

Cependant, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de ces statistiques. D’après ce que j’ai dit tout à l’heure sur la tradition religieuse de la France – qui ne va pas plus loin par rapport au texte – les Français qui n’ont pas envie de la Bible peuvent avoir envie d’autres types de rapport à la religion. Mais ça reste une idée…

80% des Français interrogés considèrent la tradition biblique comme « absente » de la culture de la société française. Est-ce du déni ?

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Y. R. C. : C’est effectivement quelqu’un d’important. L’enquête montre également que ce sont les personnes les plus religieuses, qui connaissent le mieux la Bible, qui sont conscientes de son impact sur la culture. Le fait que 80 % des Français interrogés considèrent cette définition comme « plutôt absente » ne signifie pas que la culture judéo-chrétienne n’existe pas, mais cela signifie qu’ils ne peuvent pas la reconnaître. On peut imaginer que 80% de la population française n’a pas assez de culture religieuse pour cela.

Parmi ceux qui souhaitent mieux connaître la Bible, 24% disent vouloir approfondir leurs connaissances à l’école ou à l’université. Est-ce un chiffre qui vaut la peine d’être noté, compte tenu du débat sur l’enseignement théologique à l’école ?

Y. R. C. : Dans cette recherche, le besoin d’une meilleure connaissance de la Bible a un aspect culturel, même chez les plus religieux et pratiquants. Il y a un besoin de réussite scolaire dans la Bible, et l’université et l’école – pour certaines personnes – peuvent être des conditions. On peut même parler du besoin des élites, puisque 64% des Français qui veulent connaître la Bible attendent une « littérature spéciale ».

La recherche montre la familiarité des catholiques qui ont l’habitude d’utiliser la Bible régulièrement. Peut-on parler du succès du groupe de lecture de la Bible créé après le Concile Vatican II ?

Y. R.C. : Oui, l’étude montre un certain succès. Plusieurs théories peuvent être avancées pour expliquer l’importance de la Bible chez les catholiques qui l’ont toujours adhéré. Premièrement, on peut penser qu’une relation personnelle avec la Bible a été un outil d’autonomie spirituelle par rapport à la foi, par exemple dans les mouvements d’Action catholique mais aussi dans les sociétés charismatiques. Lire la Bible par soi-même permet aux catholiques d’échapper à la recherche des Écritures dans la liturgie, qui sont systématiquement organisées par des commentaires d’église. On sait que ce qui a pris fin en cinquante ans, ce sont les systèmes d’orthodoxie et d’orthopraxie, c’est-à-dire le contrôle institutionnel de la relation à Dieu. Lire la Bible individuellement permet de maintenir une vie spirituelle et de s’affranchir des autorités et des règles administratives.

Une deuxième hypothèse est que ce résultat reflète la transformation de plus en plus élitiste du catholicisme français et, par conséquent, son caractère moins populaire. Traditionnellement, nous savons que les élites considèrent l’appartenance religieuse comme étant mesurée par la capacité à maîtriser une certaine doctrine, tandis que les groupes populaires pointent l’appartenance religieuse et les rites de passage. Pendant longtemps, les classes inférieures ont dit « être catholique, c’est être baptisé », et les classes supérieures « être catholique, c’est avoir la foi ». L’importance du rapport à la Bible chez les catholiques pratiquants signifie sans aucun doute la victoire d’un sens de la foi relativement élevé.