Voyage : après le Covid j'ai lâché prise !

Publié le 1 juillet 2022 à 06:01 Mis à jour le 1 juillet 2022 à 12:06

Lilly*, 23 ans, journaliste de formation, est aujourd’hui responsable des réseaux sociaux dans un grand média francophone. Lorsque, mi-mars 2020, le premier confinement est imposé à la planète stupéfaite, cette jeune femme, passionnée de voyages et douée pour le contact, vit encore chez ses parents. Confinement après confinement, elle mord le frein. Début octobre 2021, elle décide de mettre les voiles, seule, pour la Thaïlande, un pays qu’elle avait déjà visité lors d’un voyage en famille il y a quelques années et dont elle garde « un souvenir ému ». Là, elle traversera le sac à dos du pays, proposant des sujets pour la rédaction parisienne. « C’était super intense. J’y ai rencontré beaucoup de monde. Il n’y avait presque pas de touristes. La vie n’est pas chère là-bas, j’étais dans mon élément », se souvient-il.

Répondant à « une douce pression de la famille », Lilly revient finalement en France en janvier 2022. Son objectif : repartir « loin » en octobre prochain et élargir son champ de destinations. Votre programme : Amérique du Sud, Laos, Vietnam, Indonésie et Australie, où vous rencontrerez un ami franco-suisse rencontré en Thaïlande lors de son premier voyage. « Jusqu’au début de la pandémie, je partais à l’étranger deux semaines par an. J’ai compris qu’il ne suffisait pas de découvrir une culture. Le Covid m’a fait prendre conscience que nous n’étions peut-être qu’au début des épidémies et des restrictions sanitaires et qu’il fallait en profiter », s’enthousiasme-t-il. Votre empreinte carbone ? « Je reconnais qu’un aller-retour Paris-Bangkok en avion représente peu ou prou le bilan écologique d’un Français sur l’année. Pour compenser, je ne prendrai pas de lignes intérieures lors de mes déplacements, à quelques exceptions près. Comme la viande . »

Une frénésie de voyages

Une frénésie de voyages

Comme Lilly, des centaines de milliers d’amateurs de voyages à travers la planète ont été frustrés de ne pas pouvoir pratiquer leur passe-temps favori pendant la pandémie. La faute à la myriade de mesures sanitaires restrictives adoptées par la plupart des pays. D’où une frénésie de voyage observée par les professionnels du tourisme à mesure que les restrictions liées au virus s’assouplissent. Un phénomène particulièrement détectable en Asie à partir de l’automne 2020. En Chine, début octobre, lors des vacances de la Golden Week, cette fameuse « semaine dorée », du nom donné aux sept jours accordés par le gouvernement à partir de 2000 pour favoriser le tourisme intérieur, les voyages d’agrément a atteint 80% de son niveau pré-Covid, selon l’agence Bloomberg.

En France, les « économies Covid » s’élèvent à environ 160 milliards d’euros, partiellement réinjectées dans le segment du voyage

« Notre société a baptisé ce phénomène de rattrapage ‘revenge travel’, avec ces touristes qui cherchaient à se reconnecter, à explorer de nouvelles destinations ou à retourner dans leurs lieux préférés, après avoir été contraints d’annuler, d’abandonner ou de changer radicalement leurs plans de voyage », analyse Aurelia Bettati. , directeur associé chez McKinsey, spécialisé dans les stratégies de croissance au sein de la division marketing et ventes, qui rappelle l’ampleur du choc pandémique subi par l’industrie mondiale. tourisme (-44% du chiffre d’affaires en 2020, -51% pour la France).

« L’activité touristique mondiale ne devrait pas retrouver ses niveaux d’avant la crise avant 2024. Mais à partir de l’été 2021, de sérieux signes de reprise ont commencé avec la réouverture des frontières et la reprise des échanges », poursuit le dirigeant de McKinsey. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), les voyageurs internationaux étaient 2,3 fois plus nombreux en janvier 2022 qu’au même mois un an plus tôt.

©Alice Des pour Les Echos Week-End

Ce phénomène de voyages de revanche, notent les experts, s’est révélé d’autant plus vigoureux que les populations à hauts revenus ont massivement épargné pendant la pandémie. Aux États-Unis, pour cette tranche de la population, le taux d’épargne a augmenté de 15 % pendant la période pandémique. En France, selon une étude de l’OFCE, les « économies Covid » s’élèvent à environ 160 milliards d’euros. « Ces économies ont été partiellement réinjectées dans le segment des voyages. Les voyages de vengeance ont été fortement axés sur le luxe et le luxe lorsqu’il s’agit de personnes à revenu élevé. A plus petite échelle, il s’est étendu au camping et aux locations de vacances pas chères pour des loyers plus modestes », précise Aurélia Bettati.

Le président d’ADN Tourisme, la fédération nationale des offices de tourisme en France, François de Canson, confirme, selon des enquêtes menées auprès de ses adhérents, le réel « besoin d’ailleurs » créé par les restrictions de déplacements. « La tendance est particulièrement marquée chez les millennials dont la vie sociale a été particulièrement touchée par le Covid et qui sont notamment privés, depuis plusieurs mois, des échanges internationaux qui sont le sel de l’existence à cet âge de la vie », souligne-t-il. On peut aussi interpréter cette boulimie du voyage comme la manifestation du désir de prendre soin de soi et de sa famille, après une période de traumatisme collectif. Se reposer, se ressourcer et se reconnecter : autant de priorités qui perdureront dans le futur, sans oublier le besoin de découverte et de dépaysement. »

Les séniors aussi

Les séniors aussi

Du côté des voyagistes (TO), lourdement pénalisés par la pandémie, on observe également des signes encourageants et convergents côté clientèle. Chez Arts et Vie, spécialisé dans les voyages culturels organisés et qui compte une clientèle « 95% senior », on confirme en effet un avant et un après Covid dans l’appréhension des destinations par ses clients.

« Nous constatons une forte croissance des ventes depuis la levée massive des restrictions par zones géographiques. Certains de nos clients, notamment les plus âgés, ont le sentiment de ne plus avoir de temps à perdre. D’autant plus que le Covid les a renvoyés à des idées désastreuses. Nos réservations pour l’Australie, destination particulièrement chère, qui a rouvert ses frontières à tous les touristes en février dernier, ont atteint des niveaux sans précédent », a déclaré Delphine Camara, directrice générale adjointe du voyagiste, qui rappelle qu’un nombre important de clients ont reporté leurs longs -des plans de voyage courrier en faveur de destinations françaises ou européennes. « Ils craignent face à un possible retour de l’épidémie et des quarantaines inopinées. »

Viser les fenêtres de tir sanitaires

Viser les fenêtres de tir sanitaires

Chez Terres d’Aventure, spécialisée dans la randonnée et le trekking, il y a aussi un effet voyage revanche. Depuis les premiers déconfinements, les réservations ont augmenté notamment pour des pays comme l’Egypte ou la Tanzanie, qui n’ont jamais fermé leurs portes aux touristes. « Depuis le printemps 2022, la grande majorité des destinations ont rouvert, notamment l’Asie, qui a longtemps été en marge des flux touristiques. Depuis la mi-mai, des pays comme l’Islande et la Norvège sont pris d’assaut. Impossible d’y trouver une chambre d’hôtel ou une voiture de location. Du coup, les prix des séjours ont explosé, mais cela n’arrête pas nos clients, si pressés de renouer avec ces destinations », explique Lionel Habasque, PDG du voyagiste.

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Depuis la mi-mai, des pays comme l’Islande et la Norvège sont pris d’assaut. En conséquence, les prix des séjours ont augmenté.

A la tête de l’agence de presse Talents PR pendant sept ans, Jonathan Ganem, 38 ans, a vécu particulièrement mal les longues journées de confinement imposées par la crise sanitaire et l’impossibilité d’étancher sa soif de voyages. Dès qu’il a vu des « fenêtres coupe-feu sanitaires » dès le printemps 2020, il a couru sur les lieux des compagnies aériennes ou des voyagistes.

En novembre 2020, il s’est envolé pour Marrakech pendant deux semaines. « Nous pouvions y accéder avec une simple réservation d’hôtel, ce que peu de gens connaissaient. L’aéroport d’Orly était presque vide. Je n’ai jamais enregistré un sac aussi rapidement », sourit-il. Sur place, il conjugue bains de soleil, découvertes culturelles… et visioconférence avec ses clients. En août 2021, direction Cancún, Mexique. « Avec peu de vols directs vers ce pays, le tourisme français était très limité. Les aéroports américains étaient fermés à cette époque et de nombreux départs étaient annulés. C’était un vrai luxe de découvrir cette magnifique région dans de telles conditions. »

Le retour de la proximité

Le retour de la proximité

Yannis Sioudan, 32 ans, est également attaché de presse en région parisienne. Lorsque le premier confinement frappe la France, il s’apprête à partir pour le Japon, un pays qu’il rêve de visiter depuis de nombreuses années. Patatras, le voyage est annulé. Après la profonde déception, il décide de multiplier ses tournées dans toute la France, à partir du printemps 2020. Son rythme : trois jours par mois. « Au lieu de faire des recherches sur les grandes villes, moi, citadin, familier des grandes capitales internationales, j’ai choisi de me concentrer sur les villes moyennes, notamment dans le sud de la France. Des auberges, des randonnées en pleine nature. Le Covid m’a permis pour me reconnecter et changer mes habitudes de voyage. »

Une fois dépassée la dimension « effet de rattrapage », comment le touriste post-pandémie est-il susceptible de se comporter à l’avenir ? Une grande question sur les professionnels du tourisme qui travaillent activement. « Nos dernières études montrent que les consommateurs sont deux fois plus susceptibles d’essayer de nouvelles marques et expériences à la suite de la pandémie. Une tendance qui se confirme pour le secteur du tourisme, observe Aurélia Bettati. Les consommateurs veulent des produits ou services plus personnalisés, des délais d’exécution plus rapides et surtout une expérience client XXL. »

©Alice Des pour Les Echos Week-End

En ce sens, selon une étude récente de la même entreprise, les acteurs chinois (principalement dans le secteur de l’hôtellerie haut de gamme), qui ont réussi à dépasser leurs niveaux de marché pré-Covid, peuvent servir d’exemple. Ces derniers ont diversifié ou complété leurs offres autour de cinq piliers : de nouvelles opportunités de voyager (des évasions de quelques jours en semaine rendues possibles par le télétravail), de nouvelles activités (voyager en camping-car confortable, « glamping » : camping glamour), de nouvelles destinations (parcs naturels, hôtels isolés, retraites spirituelles et de bien-être, réalité virtuelle, personnalisation, etc.) et, enfin, de nouveaux modes d’interaction avec les acteurs du tourisme, plus numériques, plus riches et plus réactifs. Selon François de Canson (ADN Tourisme), derrière cette forte envie de vacances, on voit émerger une évolution des pratiques : expansion du tourisme de proximité, besoin de déconnexion, hybridation des lieux de travail et de loisirs, intérêt grandissant pour un tourisme plus responsable.

Vice-président des ventes & Marketing Europe du groupe hôtelier de luxe The Lux Collective, Véronique Berthier constate avec satisfaction la forte reprise de la fréquentation de ses hôtels et resorts depuis l’assouplissement des mesures sanitaires.

« Par contre, on assiste à un phénomène de réservations de dernière minute. C’est une tendance forte après cette période de crise car il y a encore beaucoup d’incertitudes sur l’avenir au niveau épidémique. Nos clients demandent longtemps à l’avance, ce qui démontre leurs fortes envies de voyage. En France et en Italie, les tendances de réservation de dernière minute sont les pires pour nous : de la quinzaine au mois. L’Allemagne a vu la tendance s’améliorer avec deux à trois mois, tandis que les clients britanniques réservent quatre à six mois à l’avance. Les pays et les acteurs du tourisme devront s’habituer à vivre avec ces contraintes et se réinventer. »

Les cinq touristes post-Covid

Les cinq touristes post-Covid

Professeur de marketing à l’EM Normandie, spécialiste du marketing expérientiel et du comportement du consommateur, Damien Chaney finalise une enquête sur le profil des touristes post-Covid, dont il distingue cinq grandes typologies.

Le prudent. Ce touriste veut voyager « comme avant », mais « avec moins de risques ».

Le minimaliste. Il a décidé, face à la crise du Covid et aux enjeux climatiques, de réduire la fréquence de ses déplacements et de faire des séjours plus « locaux », réduisant drastiquement son utilisation de l’avion.

L’écurie. Vous ne souhaitez en aucun cas modifier votre expérience touristique.

L’optimiseur. A l’intention de voyager « moins, mais mieux ». C’est-à-dire un voyage par an, mais pour une période plus longue.

Le remorqueur. Plus jeune que ses pairs, il s’inscrit dans la tendance « revenge travel » et affiche une forte volonté de voyager davantage pour « rattraper le temps perdu ».

« Le voyage reste un moyen inestimable de s’ouvrir à l’autre »*

« La renaissance spectaculaire du tourisme après deux ans de crise sanitaire reflète indéniablement, au niveau mondial, une vendetta contre le Covid. Les gens ont besoin de liberté, de respirer, de faire la fête, de faire partie d’une transgression des restrictions sanitaires. Ils se sentent autorisés à voyager, à dire au revoir car ils ont le sentiment légitime d’être unis, d’avoir protégé les plus âgés, les plus fragiles, pendant la pandémie. De plus, nombre d’entre eux ont accumulé des économies durant cette période, se retrouvant dans l’incapacité de dépenser leur argent durant les différents confinements. Voyager permet également d’éviter de subir les images poignantes des journaux télévisés sur la guerre en Ukraine ou des épisodes météo spectaculaires. Même si le tourisme doit devenir de plus en plus responsable par rapport aux enjeux environnementaux, il reste un précieux moyen d’ouverture aux autres, d’enrichissement et de dépaysement social, notamment chez les jeunes. »

*Jean Viard, sociologue, est directeur de recherche associé au Cevipof-CNRS et co-auteur avec David Medioni de Année zéro pour le tourisme – Penser l’avenir après la grande pandémie (2022, Fondation Jean-Jaurès/L’Aube).