Publié le 28 octobre 2022 à 07.01. Mis à jour le 28 octobre 2022 à 12h25
« Mon manager a quatre ans de moins que moi », notait Louis (le prénom a été changé) lorsqu’il a été embauché par une start-up parisienne. S’ensuit pour ce jeune trentenaire un moment d’introspection… Bien que loin d’être insurmontable, la différence d’âge suscite de nombreuses interrogations sur sa place dans l’entreprise, sa légitimité, ses relations avec les autres, son évolution, etc.
Une pyramide des âges inversée dans la hiérarchie ne va pas « dans l’ordre des choses », selon Olivier Meier, professeur des universités et directeur de recherche au laboratoire LIPHA Paris-Est. « Cela renverse le modèle de transfert de connaissances tel qu’il se faisait depuis des décennies », ajoute-t-il.
Le faux problème de la légitimité
Mais les jeunes remettent-ils en cause la légitimité d’un manager ou d’un PDG ? Loin de là. « Dans mon entreprise, le patron tire sa légitimité de son expérience car il a déjà créé plusieurs boîtes », explique Louis. « Monter ta box, je n’aurais jamais su faire ça », renchérit Gilles Gobron, directeur du marketing chez Hublo, qui à 51 ans a 20 ans de plus que le fondateur. « Un PDG a pris des risques, il s’est endetté, sa légitimité vient de là », conclut Marc Raynaud, président de l’Observatoire du management intergénérationnel.
Il faut aussi garder à l’esprit que le manager et son équipe ne font pas le même métier. « Moi, j’ai un profil technique, il est impliqué dans la stratégie », précise Louis. Il est fréquent que dans un projet entrepreneurial, les équipes soient composées de profils techniques souvent plus âgés que le fondateur et disposant d’un champ d’action plus défini.
« Un bon manager n’est pas forcément un bon technicien », résume Alexis Berthel, président de l’Association nationale des DRH Savoie Mont-Blanc. Victor Demonchaux, co-fondateur d’Ambrosia, n’a pas hésité à recruter plus âgé que lui. « J’avais besoin de quelqu’un qui soit compétent pour le poste de directeur marketing et indépendant sur ces missions, j’ai recruté une personne de 44 ans », explique ce manager de 25 ans.
Les tensions existent
Si la jeunesse ne remet pas en cause la légitimité, la différence d’âge entre dirigeant et gouvernés n’est pas sans poser certains problèmes. Dans la gestion humaine par exemple. « La gestion humaine s’apprend avec l’expérience, avec l’âge. Mon manager, c’était la première fois qu’il manageait quelqu’un », explique Thomas (le prénom a été changé), 29 ans, employé dans une start-up à Lyon. « Parfois, j’ai l’impression que le manque de sécurité dans son poste de management le fait les règles à l’excès, à ne pas être très souples. Un jour j’étais malade et il m’a forcé à venir travailler au bureau sous prétexte que j’avais dépassé mes jours de télétravail autorisés. »
Cette faille se retrouve dans le recrutement : « J’ai parfois été confrontée à des entretiens scolaires, à des questions qu’on ne me pose plus sur mon niveau de compétence et d’ancienneté », critique Elena, la directrice marketing de 44 ans.
Les différences de communication peuvent également constituer un point de tension : usages des applications, manière de s’exprimer, etc. « Les jeunes PDG ont du mal à communiquer avec les équipes en direct. être reçu individuellement, en face à face. Ça peut casser les relations », analyse Amélie Favre Guittet, fondatrice du cabinet de recrutement Madircom.
Enfin, la différence de salaire peut alimenter une certaine amertume. « Le patron a forcément un plus gros salaire et une autre façon de consommer. Quand il est plus jeune que toi, c’est parfois difficile à accepter », dit Louis.
Une relation horizontale
Au-delà de ces tensions, et si on voyait plutôt cette différence d’âge comme un atout ? Le « senior » apporte son expérience, le « jeune » sa maîtrise des outils, son esprit d’entreprise, etc. Accepter les critiques, demander des conseils, dans les deux sens, c’est la clé. « Mon manager me conseille aussi sur la vision stratégique », explique Louis. Victor Demonchaux a également adopté cette attitude envers Elena : « Je viens parfois directement vers elle pour avoir son avis, pour me parler de toutes ses compétences accumulées. Elle a plus de distance, une meilleure opinion sur certains sujets. ». Elle voit la situation ainsi : « C’est plus une sorte de coaching par moments qui va avoir lieu. En fait, j’ai géré plus de personnes que lui. Avec beaucoup d’humilité, précisent tous les acteurs concernés. Sinon, les commentaires peuvent mal tourner.
A l’inverse, le leader doit accepter les propos de son jeune supérieur hiérarchique sans lui tourner le dos. « Quand quatre personnes de 25 ans me disent qu’elles ne sont pas d’accord avec ma présentation marketing, je prends ça comme un défi. Ça me pousse à être sûr de ce que je produis, à me dépasser », explique Gilles Gobron.
Car derrière ces problèmes de différence d’âge, il y a souvent une question d’ego, résume Jean-Régis de Vauplane, directeur marketing et commercial chez Flaneer. Ce trentenaire voit dans le malaise que peut créer la situation la peur d’être jugé : « C’est la peur du regard des autres », explique-t-il. Et d’ajouter : « Moi, je m’en fous, parce que je fais le métier que j’aime, avec un projet auquel j’adhère. C’est dans la réussite de la box que j’attends ma « valorisation sociale ». Sous-entendu : pas dans l’âge. En bons termes.