A Arles, dans les Bouches-du-Rhône, la sentence est tombée la veille pour le lendemain. Faute de médecins en nombre suffisant ce samedi 21 et dimanche 22, le service des urgences du Centre Hospitalier Arles restera fermé. En théorie, la porte sera toujours ouverte, mais aucun médecin n’est disponible pour soigner les patients qui se présentent, sauf en cas d’urgence vitale absolue (crise cardiaque ou accident vasculaire cérébral). « A l’entrée, un téléphone est prévu pour les patients qui se présentent aux urgences », ce qui les met en contact direct avec le 15e, rapporte, agacé, Yann Maes, opérateur du service et membre du collectif d’urgence Inter. En clair, pour les trois prochains jours, et « certainement d’autres pendant la période estivale », seuls les patients viendront aux urgences pour appeler le 15… Pour qu’un répartiteur du Samu ne les transfère pas dans un autre hôpital du département, resp. un médecin de garde.
Le système d’Arles ne fait pas exception, même dans les grandes villes. A partir de ce mercredi 18 mai, de 20h00 à 8h00, les urgences adultes de l’hôpital Pellegrin de Bordeaux ne traiteront que les patients ayant préalablement appelé le 15 pour être adressés par un médecin à distance. Et si le 15 n’avait pas été appelé avant ? « Un téléphone connecté au SAMU-Centre 15 est accessible avant l’accès des secours », précise l’ARS.
Plus de 60 services d’urgences fermés
Partout en France, faute d’effectifs suffisants, les services de secours ferment totalement pendant un certain temps, voire partiellement la nuit et/ou le week-end. Tandis que d’autres fonctionnent en mode dégradé. C’est le cas à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), Cherbourg (Cotentin), mais aussi à Draguignan (Var) et Montmorillon (Vienne). Tous les départements sont concernés et la liste des services d’urgence fermés ou menacés de fermeture est encore longue. Mi-avril, le collectif Santé en danger en comptait près de 50. Aujourd’hui, la CGT en recense plus d’une soixantaine.
Depuis le 4 avril, les soins d’urgence au centre hospitalier d’Orléans (Loiret) sont limités. De 180 passages par jour, l’hôpital a réduit l’aile à 50. En cause, des départs de personnel soignant et de personnel soignant, mais aussi des maladies de masse. « L’hôpital d’Orléans se vide », constate avec amertume Matthieu Lacroix, médecin urgentiste. Une centaine d’infirmiers et plusieurs dizaines de médecins sont portés disparus. En temps normal, le centre hospitalier peut augmenter jusqu’à un millier de lits ouverts, mais pendant plusieurs mois le personnel peinait à dépasser le capital de 600 lits effectifs. « Il y a quelques années, c’était choquant quand des patients passaient plus de 24 heures sur une civière. Là, on est face à des patients qui passent quatre, cinq, voire six jours sur une civière, même avec des pathologies graves », raconte-t-il.
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Des conditions de soins dégradées qui entraînent une perte de chance pour les patients et ont des impacts sur la santé physique et mentale des soignants. Depuis les couloirs de son hôpital, Matthieu Lacroix raconte cette écrasante fatigue post-crise Covid et les espoirs perdus de nombre de ses collègues, dont le sien, face à une hiérarchie qui ne les écoute pas. Médecin urgentiste depuis 12 ans, et « passionné depuis tant d’années », Matthieu Lacroix songe à raccrocher. « Je perds la foi », lâche-t-il. À un moment donné, vous devez choisir entre rester et descendre avec le navire ou sauver votre peau et partir. C’est un conflit éthique et moral dont nous discutons tous les jours.
Maintenir un service public minimum
Excuses auprès des opérateurs qui démissionnent ou démissionnent pour reconversion, les ressources humaines de l’AP-HP les voient défiler. « Ici, les infirmiers travaillent 55 à 57 heures par semaine. Tout le monde est obligé de faire des heures supplémentaires parce qu’on n’a pas le choix et ils craquent un par un. C’est un cercle vicieux », explique un responsable des droits de l’homme dans un hôpital de Seine-Saint-Denis, qui manque une centaine de médecins, infirmiers et aides-soignants dans son établissement. Les infirmiers, a-t-il précisé, sont « particulièrement moralement déçus par l’attitude des patients vis-à-vis du Covid ces derniers mois : la quasi-totalité des patients que nous avons réadmis dans les dernières vagues n’étaient pas vaccinés. week-ends pour ces gens. Ça rend tout le monde fou.
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En 28 ans de carrière, Marc Berthoud n’avait jamais vu cela auparavant. « Il y a eu des coups de chaud, mais nous n’avons jamais été réduits à la fermeture, regrette le représentant départemental quinquagénaire de l’Amuf (Association des médecins urgentistes de France). Depuis début mai, et pour une durée indéterminée, le centre hospitalier intercommunal de Cavaillon-Lauris, où il est médecin urgentiste, est fermée toutes les nuits. Il ne reste qu’un infirmier d’accueil de garde, chargé de prendre la tension et de corriger les patients. « Ils appellent ça ‘maintenir le service public minimum' », taquine Marc Berthoud. » D’un mois à l’autre, la nouvelle direction a imposé une forte baisse des salaires des médecins contractuels et intérimaires, rapporte-t-il. Ils ont entre 45% et 50% ont perdu leur salaire, alors ils sont partis. » En une semaine d’avril, l’hôpital de Cavaillon, qui comptait vingt praticiens dans ses rangs, n’en comptait plus que six. Contre le tumulte, la direction a déclaré qu’elle voulait revenir. « Mais mes collègues ont déjà postulé ailleurs pour l’été, et les urgentistes ne courent pas dans la rue… »
Recrutement de médecins étrangers
Depuis Marseille, le professeur Jean-Luc Jouve, président de la commission médicale des hôpitaux de Marseille, observe avec inquiétude toutes ces fermetures de services. Le chirurgien craint que ce mode opératoire dégradé ne soit pris comme modèle à l’échelle nationale. Car à Marseille, l’hémorragie dans l’effectif des urgentistes et paramédicaux est aussi bien réelle. « En 2019, nous sommes descendus dans la rue avec des banderoles avec les mots : ‘Sauvez notre hôpital public' », se souvient-il. Aujourd’hui, les médecins partent tranquillement un par un. Ils sont résignés et je crois que la résignation est pire que la colère.
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Pour combler ces lacunes et maintenir une activité, même sur le fil, Jean-Luc Jouve essaie de trouver des médecins dans les services des étages, c’est-à-dire des spécialistes. « Il n’y a pas d’urgentistes sur le marché, ce n’est même pas la peine de chercher. Pour passer à travers avec 20 % d’activité en plus cet été, nous avons positionné une ligne de chirurgiens traumatologues et une autre de médecins généralistes. Autre solution que le chirurgien a présentée : le recrutement de médecins étrangers. » Nous recrutons à tour de bras en Europe, dans les pays d’Afrique francophone et nous avons même embauché des réfugiés ukrainiens. » Pour l’instant c’est Marseille, mais le professeur Jouve n’avance pas, car au moindre grain de sable peut vite stopper la machine. Ici comme ailleurs, la seule certitude est que l’été sera particulièrement tendu.