Heineken France a présenté lundi 14 novembre aux représentants du personnel et à l’ensemble des salariés de la brasserie de Schiltigheim « un projet de réorganisation de son outil de production en France, nécessaire pour maintenir la compétitivité de l’entreprise sur le long terme », a-t-on appris auprès de la direction.

Heineken France a choisi de produire sa bière en France uniquement dans deux brasseries, au lieu de trois. Celle-ci implique « la fermeture ou la cession de la brasserie Schiltigheim (Bas-Rhin) d’ici trois ans ». Les volumes de production seront transférés à Mons-en-Barœul (Nord) et Marseille (Bouches-du-Rhône), « sauf pour la marque Fischer® qui continuerait à être produite en Alsace avec un projet de création d’une microbrasserie ».

Ce projet de réorganisation s’inscrit dans un contexte de baisse des parts de marché d’Heineken en France, indique la direction, qui met également en avant l’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie. L’impact à long terme de la crise sanitaire sur le secteur des cafés-hôtels-restaurants est également invoqué pour justifier la décision, ainsi qu’une concurrence accrue.

220 postes concernés

Pourquoi quitter Schiltigheim ? Cette nouvelle réorganisation après celles de 2020 et 2021, avec cette fois fermeture ou vente, s’expliquerait par les « nombreuses limites auxquelles le site est soumis », explique Heineken : « une enclave dans le centre-ville qui empêche toute expansion » ; « un endroit trop éloigné des nouveaux bassins de consommation du sud et de l’ouest de la France » ; « des coûts de production excessifs dus à certains équipements obsolètes et une stratégie de diversification industrielle qui n’a pas porté ses fruits » ; et « mauvaise performance environnementale ».

La dernière grande brasserie de la ville

La fermeture prévue de la brasserie de Schiltigheim toucherait 220 emplois. Le dialogue social sera la priorité des prochains mois et un accord collectif sur un projet de PSE sera négocié avec les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise dans les prochains mois. La direction de Heineken France s’est « engagée à faire en sorte que des opportunités de reclassement interne soient offertes à tous les salariés de Schiltigheim ». La fermeture de la brasserie devrait intervenir « d’ici trois ans pour pouvoir procéder aux aménagements nécessaires au maintien des volumes en France, ce qui permettrait une transition progressive pour les salariés du site ». Une recherche d’acheteur sera menée.

«On va se mobiliser», déclare Danielle Dambach

Danielle Dambach, maire de Schiltigheim et vice-présidente de l’Eurométropole, nous a fait part de sa surprise : « Cette annonce est un grand choc, même si je n’étais pas sereine. Je ne m’attendais pas à ce que ça arrive si vite. » Sa première pensée « va aux salariés du site ». Elle pense aussi à l’impact pour sa ville : « Je suis contre cette fermeture et nous allons nous mobiliser. C’est inacceptable selon les conditions économiques ». C’est la dernière grande industrie de Schilikose à fermer ses portes. Danielle Dambach réfléchit à « l’avenir du web ». Impossible d’imaginer encore une « friche industrielle en centre-ville » sur un terrain de 12 hectares, avec peut-être un projet immobilier, comme ce fut le cas des brasseries Fischer et Adelshoffen, rachetées par Heineken avant d’être fermées. Danielle Dambach réclame le maintien d’une activité économique et « pas une microbrasserie ».

À Lire  Guerre en Ukraine : Heineken annonce son retrait de Russie

Schiltigheim – 160 ans d’enracinement à Schiltigheim

Les premières traces de la brasserie « Espérance » remontent à 1746. Elle était alors située à Strasbourg, rue des Veaux. Son fondateur n’est autre que Jean Hatt, dont le patronyme est étroitement lié à l’histoire brassicole de la région.

Quatre générations plus tard, en 1862, l’Espérance reprend son emplacement actuel à Schiltigheim au 4 rue Saint-Charles. A la fin du XIXe siècle, la marque « Ancre » est commercialisée dans une cinquantaine de pays (*).

En 1972, il y a cinquante ans, la brasserie Espérance passe sous le contrôle du groupe hollandais Heineken. La première bière Heineken y a été brassée en 1981.

En 2012, lors de la célébration des 150 ans de la brasserie Schillikoise, le groupe affirmait y produire 80 références – notamment les marques Heineken, Desperados et Fischer. 220 personnes étaient alors employées sur le site.

Investissements et restructurations

En 2013, le groupe Heineken a annoncé son intention de réaffecter un tiers du volume fabriqué à Schiltigheim, soit 500 000 hl, à ses deux autres brasseries françaises (à Mons-en-Baroeul et Marseille). 27 emplois sont à supprimer. Les premières inquiétudes quant à la pérennité du site Schillickois se sont fait entendre.

Parallèlement, des innovations et des investissements sont réalisés sur le site d’Alsace, qui abrite le seul site de recherche et développement du groupe en France. En particulier, 1,4 million d’euros ont été alloués en 2014 à la production d’Edelweiss.

En 2017, le groupe a annoncé un investissement de 9,3 millions d’euros dans une nouvelle ligne d’embouteillage en verre à usage unique. Objectif : Profiter pleinement des capacités de brassage du site. L’effectif passe la barre des 200 salariés.

Nouvel investissement en 2018, grâce à la conquête de nouvelles parts de marché. 20 millions d’euros sont dédiés aux sites français, dont 7,1 à la brasserie Espérance. Puis en 2019. Les lignes de production sont équipées de la technologie sans alcool. Montant de l’investissement : 6 millions d’euros. 241 salariés sont alors employés sur le site alsacien qui produit 1,5 million d’hectolitres de bière.

De nouvelles inquiétudes en 2020 : un projet de réorganisation a été annoncé par le groupe pour 2021. Des suppressions de postes sont évoquées. En février 2022, Heineken confirme la suppression de 8 000 emplois dans le monde. « Les activités de production des trois brasseries françaises ne sont pas affectées », avait toutefois précisé à l’époque le groupe, insistant sur le fait que « ces sites soutiennent fortement la croissance du marché ».

(*) Source : L’Espérance, 150 ans de brassage en Alsace. Gérard Cardonne. Éditions du Brassin.