Voulant qu’elle entre en vigueur à l’été 2023, Emmanuel Macron a donné un coup de pouce lundi 12 septembre à son projet de réforme des retraites. Et il a donné un nouveau ton à son discours : que ce soit pour maîtriser les dépenses publiques ou pour financer ses principaux investissements dans l’éducation ou la transition écologique, cette réforme n’est plus seulement nécessaire, mais urgente.

A tel point que le gouvernement n’exclut pas, plutôt que de proposer un projet de loi spécifique, qui passe par des amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui doit être examiné à partir du 20 octobre jusqu’à l’assemblée nationale. « Tous les moyens sont à l’étude, y compris (celui-ci) », a confirmé mercredi 14 septembre le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.

« Un totem politique »

Outre l’argument économique, si Emmanuel Macron est prêt à avancer à marche forcée sur ce dossier inflammable, c’est aussi pour résoudre une réforme qui, enchevêtrée depuis longtemps, menace de porter atteinte à sa crédibilité (lire les repères). « Cela fait deux ans qu’on s’embrouille avec cette réforme, sans patience parlementaire macroniste. On a commencé, on a arrêté, on s’est dit qu’on le ferait après la pandémie, puis après l’élection présidentielle… C’est devenu un totem politique. »

Autre argument entendu par la majorité : le contexte sera plus favorable cet automne que cet hiver, l’autre créneau possible, avec un texte dédié, pour une entrée en vigueur à l’été. « En janvier, les prix de l’énergie vont monter, les mesures d’allègement de l’essence vont cesser ou être plus ciblées, il peut y avoir des black-outs, on ne sait pas quelle est la situation en Ukraine… », a énuméré un député de la Renaissance.

Une chose est sûre : les déclarations du président bouleversent déjà l’opposition, à gauche comme au RN. Pour Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, procéder de la sorte serait « une dérive institutionnelle qui pose problème en termes de débat démocratique ». Seuls les députés républicains sont plus prêts : « Nous appelons à cette réforme de nos vœux, confirme Olivier Marleix. Mais nous critiquons la méthode car nous appelons au respect du Parlement et à la concertation avec les partenaires sociaux. »

Ces derniers, justement, n’hésitent pas à brandir la menace de la rue. « Nous avons mis en garde le gouvernement contre toute mesure occulte, par exemple dans le PLFSS. Nous appelons immédiatement à la mobilisation, aux manifestations, mais aussi aux grèves. Tous les syndicats y sont prêts », prévient Michel Beaugas, du syndicat Force Ouvrière.

« Anxiété sociale » contre « sens de l’histoire »

Pour le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, la réforme des retraites sera très difficile à faire accepter, quelle que soit la méthode. « Même si l’exécutif prévoit des mesures d’accompagnement pour les carrières longues ou difficiles, les gens se souviennent qu’on leur demande de plus en plus de travailler. Dans la mesure où une partie non négligeable de la population a une vie professionnelle difficile, avec des emplois épuisants ou routiniers et peu de perspectives d’évolution, cela ne peut que mal vivre », prévient le chercheur, qui rappelle que « le fond d’anxiété sociale en le pays est déjà très haut ».

Malgré ces avertissements, les macronistes veulent garder le cap, soutenus par une partie du patronat. « Les mesures âge risquent moins de susciter l’enthousiasme, mais les progrès sociaux rendus possibles par la réforme seront soutenus par nos concitoyens », veut croire que le député Renaissance de l’Essonne Paul Midy, qui refuse les accusations de passage en santé : « En tout cas, ce sera présenté et discuté au Parlement, on ne peut pas parler de déni de démocratie. »

« De toute façon, les inconvénients seront toujours contre : ils l’étaient déjà quand on avait un texte dédié », souligne Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances. Et si Matignon attend toujours de consulter les partenaires sociaux pour décider de la marche à suivre, le député du Gers minimise l’importance de cette étape. « Les positions des uns et des autres sont connues. Il faut chercher à atteindre un consensus minimum, mais n’entrons pas dans un dialogue qui dure deux ans. La dernière fois, cela n’a pas empêché la dispute. »

À Lire  L'histoire de la Pensée du jour de TopChrétien - Qui sommes-nous ? - Qui sommes nous?

Le retour du « réformateur courageux »

Une dernière bonne raison, pour les macronistes, d’avancer sans tarder : la légitimité de la réforme sera déjà acquise, tirée de l’élection présidentielle durant laquelle elle figurait clairement au programme d’Emmanuel Macron. Pour le président, ce serait même une bonne façon de s’adresser à son électorat, pour qui « son image de réformateur courageux est très importante, comme le rappelle Bruno Cautrès. A l’heure où beaucoup se demandent où il veut en venir avec ce second mandat, cela peut se reposer sur son objectif principal. »

Mais là encore, l’opposition conteste. « Le président n’a pas de majorité dans son programme, il oublie les circonstances dans lesquelles il a gagné », accuse Boris Vallaud, évoquant le front républicain dont a bénéficié Emmanuel Macron face à Marine Le Pen.

La « nouvelle méthode » peut-elle survivre au 49-3 ?

Même dans la majorité, le passage forcé a ses détracteurs – à commencer par François Bayrou, qui a décidé dimanche 18 septembre dans Le Parisien que « la réforme des retraites ne peut se faire autour d’un amendement ». D’autant que le contenu exact de la réforme est inconnu. « Il est clair qu’il n’y a pas de consensus, ni sur la méthode ni sur le fond », sont-ils descendus en coulisses. Au-delà des menaces des syndicats, le débat s’annonce au Parlement. Pour faire passer le PLFSS, le gouvernement devra probablement recourir au 49-3, une autre méthode envoyée par l’opposition. Et si une motion de censure a peu de chances d’aboutir, les conséquences pourraient être graves pour le reste du quinquennat.

« Agir rapidement sur un dossier aussi fondamental que les retraites est en contradiction avec la promesse de concertation que le président a faite pendant sa campagne et après les législatives, estime Bruno Cautrès. Pour beaucoup, cela sonnerait la fin de l’idée d’une nouvelle méthode. »

L’organisme censé l’incorporer, le Conseil national pour la reconstruction (CNR), risque d’en pâtir. Notamment parce que la CFDT, l’un des acteurs incontournables, met sa participation dans la balance : « Le gouvernement ne peut pas, en même temps, ouvrir des espaces de dialogue comme le CNR, et forcer avec une mesure brutale, juge-t-on. le côté syndical. Nous aimerions aborder des sujets tels que la fin de carrière, l’emploi des personnes âgées ou le travail acharné. Cependant, la mesure de l’âge ou une augmentation de la durée de cotisation ne nous est pas possible. Dans ce cas, notre participation au CNR sera discutée. Nous y irons s’il y a un vrai espace de discussion. Mais pas si, en revanche, il y a des sujets dont on ne peut pas parler. »

L’enlisement de la précédente réforme

18 juillet 2019 : le Haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, remet au Premier ministre un rapport décrivant la future réforme, promise par Emmanuel Macron en 2017.

Novembre : le Conseil d’orientation des retraites prédit dans un rapport une dégradation du système des retraites, sans unanimité sur la nécessité d’une réforme.

5 décembre 2019 : début du mouvement social qui durera jusqu’au 20 février, le plus long depuis la réforme des retraites de 2010.

11 janvier 2020 : Édouard Philippe, alors Premier ministre, annonce l’abandon de l’instauration d’un âge crucial en 2022.

24 janvier : présentation du projet de loi au Conseil des ministres.

17 février : début de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, avec plus de 30 000 amendements.

16 mars : Face au Covid-19, Emmanuel Macron annonce la suppression et la suspension de toutes les réformes.