« Qui paiera nos retraites ? Combien de fois cette importante question est-elle placée sur le devant de la scène politique en France ou ailleurs. L’agonie de ceux qui ont travaillé toute leur vie, qui se sont payé un repos bien mérité et qui aspirent à un après-match libéré des contraintes professionnelles est légitime. Mais saurons-nous leur offrir une retraite décente ?
Jusqu’à présent, deux systèmes s’affrontaient pour assurer le confort d’autrefois : le système par capitalisation d’un côté, le système par répartition de l’autre. Le système de capitalisation, où l’actif constitue lui-même son capital retraite grâce à ses apports financiers, nous vient des pays anglo-saxons. Le système par répartition, où les travailleurs cotisent à la retraite d’anciens travailleurs devenus inactifs, est né dans les pays latins d’Europe.
L’évidence du progrès
En France, la perception de ces deux systèmes est très différente. Notre pays a été globalement fidèle au système par répartition, considéré comme le plus favorable. Le système de capitalisation est souvent présenté comme individualiste, non égalitaire et surtout non solidaire.
Cette perception très claire correspondait peut-être à la réalité des Trente Glorieuses, à une époque où la croissance économique et le baby-boom d’après-guerre faisaient que les travailleurs étaient nombreux et par leur travail avaient reconstruit le pays et sa prospérité. Le progrès de génération en génération était inscrit dans les faits comme une évidence. Les générations futures étaient presque certaines d’atteindre un niveau de vie plus élevé que les générations précédentes. Dans ce contexte, c’était à juste titre vu comme un acte de solidarité de confier aux générations futures la sécurisation des retraites des seniors.
Le poids financier des pensions
Mais aujourd’hui, le contexte a beaucoup changé. Sommes-nous sûrs que les générations futures seront mieux dotées en revenus que les générations précédentes ? Regardons de plus près si le système par répartition peut encore se parer de son auréole de solidarité.
Premièrement, on demande aux générations futures d’assumer la charge financière des pensions des générations précédentes. Ont-ils vraiment choisi ce fardeau qui leur est imposé ? Y ont-ils vraiment souscrit ? C’est plus une solidarité imposée qu’une solidarité choisie. Quand on compare les niveaux de vie des générations successives, peut-on encore parler de solidarité alors que ceux qui financent les retraites semblent moins bien lotis que ceux qui perçoivent déjà leur retraite ? Une vraie solidarité voudrait que ce soit les « nantis » qui aident les « moins nantis ». N’y a-t-il pas eu, sans que nous puissions nous en rendre compte, une inversion des rôles ?
La charge des actifs s’alourdit
De plus, il y a de moins en moins d’actifs par rapport aux inactifs : 4 actifs par retraité en 1960, 1,8 en 2010. La charge des actifs est de plus en plus lourde. Mais ce n’est pas le seul fardeau que doivent supporter les générations futures. Il y a aussi le remboursement de la dette publique qui ne cesse d’augmenter. Il y a surtout la dette écologique dont les conséquences sont désormais visibles. De fait, la barque des générations futures semble singulièrement chargée par rapport à celle des retraités. Où est la vraie solidarité entre les générations dans tout cela ?
Autre conséquence du système par répartition, cette crainte du non-financement des retraites conduit à entretenir, contre toute logique, une exigence de croissance totale dans tous les domaines, seule issue possible pour les actifs de subvenir aux besoins de personnes inactives. La croissance économique devient alors un impératif : du grain à moudre pour payer les retraites. Mais la croissance démographique, interne par les naissances ou externe par les migrations, est également populaire. Tout doit être fait pour maintenir une relation favorable entre actifs et inactifs. Toute baisse de la population équivaut à une baisse démographique dangereuse, alors que globalement nous serons bientôt 8 milliards en 2022 contre 2,5 milliards en 1950.
Nécessaire croissance
Tout vieillissement de la population, quelle que soit la justesse de la traduction d’une espérance de vie supplémentaire, a des connotations négatives. Comment les Chinois vont-ils gérer leurs retraites s’ils n’ont plus assez d’enfants ? Que feront les Allemands ? Que fera la France, si la population se stabilise, pour maintenir son classement, son système de redistribution sociale ? La croissance économique et démographique est présentée comme nécessaire. Pour certains, ils sont même devenus des impératifs incontournables imposés à tous, notamment pour financer ces « maudites retraites ».
Les jeunes générations découvrent peu à peu le piège impitoyable dans lequel elles ont été placées sans pouvoir en sortir. Le « supplément » de solidarité entre générations est décidément de plus en plus salé. Pour continuer à servir un système qui s’essouffle, on leur propose de travailler plus, d’être plus au travail, de contribuer à une croissance toujours plus forte, seule voie ultime pour tenter d’équilibrer le système. Notre planète est en surchauffe. Les ressources sont limitées. Le changement climatique est de plus en plus présent dans notre quotidien. La sobriété est-elle vraiment compatible avec la croissance économique et démographique ?
Le courage de la solidarité
Mais « qui va payer nos retraites ? » l’égoïste est toujours en tête de l’agenda politique. En France, nous avons choisi collectivement le système par répartition car il nous semblait bien cadrer avec notre (croissance) économique et démographique ( baby boom ), où la préservation de l’environnement n’était pas un enjeu Aujourd’hui ce n’est plus le cas.
Le contexte a profondément changé. Ne faudrait-il pas avoir le courage de s’interroger sur la pertinence d’un système de retraite répartie qui n’est plus adapté à notre situation, pour retrouver la vraie voie de la solidarité ? Il ne s’agit pas de passer à un système de capitalisation injuste, mais plutôt de revoir la répartition et la capitalisation telles qu’elles se présentent aujourd’hui, pour qu’elles trouvent ou retrouvent le chemin de la solidarité.