Avec « SolarStratos », il veut écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’aviation. Ici à l’aéroport de Payerne, en Suisse.

© FRANÇOIS DEMANGE

Sur tous les continents, sur terre, en mer et dans les airs, des hommes et des femmes se battent pour l’environnement. Cette semaine, Match a rencontré un pilote qui veut rejoindre l’espace avec un avion électrique

Il débarque au Paris Match un jour de 2007, une petite maquette de bateau à la main. Il cherchait une oreille curieuse pour lui faire part de son projet : entreprendre un tour du monde en bateau solaire. Il venait de sa Suisse natale, sans contact avec la presse, et avait d’abord choisi notre magazine « parce que Paris Match, nous disait-il, c’est le journal de l’aventure ». Raphaël Domjan ne nous a rien demandé, si ce n’est notre enthousiasme, pour sa prochaine odyssée. Car à ce stade, à part le modèle qu’il tenait entre les mains, il n’y avait pas encore grand-chose…

Trois ans plus tard, nous embarquions avec lui sur « PlanetSolar », émerveillés par ce bateau de 85 tonnes d’un nouveau type : complètement plat et entièrement recouvert de panneaux solaires. Il lui faudra 585 jours pour faire le tour du globe (60 023 kilomètres, une distance record pour un véhicule solaire), mais Raphaël Domjan finit par se faire un nom. Et une place dans la galerie pour les aventuriers de notre temps.

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Le véritable terrain de jeu de celui qui est aussi spéléologue, plongeur et grimpeur, c’est le ciel. Rien de ce qui vole (avions, planeurs, hélicoptères) n’a de secret pour lui. Puisque son compatriote Bertrand Piccard occupe déjà cette place, Raphaël tente une nouvelle aventure. En 2015, il se lance dans une première : le Passage du Nord-Ouest en kayak propulsé, là encore, à l’énergie solaire. Et il annonce un projet encore plus fou que celui de Piccard : être le premier à monter dans un avion électrique, dans la stratosphère. A 25 000 mètres d’altitude (les avions volent à 11 000 mètres), là où l’air ne suffit plus pour entraîner un moteur à explosion. « Un pari sanglant gonflé ! souffle son ami Jacques Rougerie, architecte audacieux mais jamais à court de rêves.

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L’impression de l’artiste sur la mission. Grâce à ses longues ailes garnies de cellules solaires et à son poids plume (490 kilogrammes pour une envergure de 25 mètres), l’avion devrait être proche des étoiles pendant quinze minutes.

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STRATORS SOLAIRES

Au-delà de l’exploit, Raphaël souhaite poursuivre sa quête de pionnier des énergies renouvelables, et plus particulièrement de l’énergie solaire. « C’est le plus accessible et aujourd’hui le moins cher. Nous voulons prouver qu’il peut réaliser des prouesses qui dépassent le potentiel des énergies fossiles. Jamais un avion à hélice n’a été aussi haut. »

Le budget de « Solar Impulse » a atteint 150 millions. Nous espérons réussir avec seulement 10 millions

Pour survivre à 25 kilomètres d’altitude, un avion doit avoir une cabine pressurisée. Trop lourd pour « SolarStratos », l’avion de Raphaël, qui doit être le plus léger possible. Il sera donc équipé d’une combinaison identique à celle d’un cosmonaute que Raphaël contrôlera. Avec un inconvénient majeur : l’extrême difficulté, enfermé dans une combinaison rigide, à manœuvrer un avion, et tous les risques que cela comporte. « Pour amener les gens à rêver et à accélérer davantage vers le solaire, il faut intéresser les gens à l’aventure, et cela prend une partie du risque. Réaliser une sorte de rêve d’Icare parle de lui-même, je pense ! « En effet.

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Bloquer les routes et crier à l’ONU ne fait rien pour améliorer le climat. Profitons du réchauffement climatique pour mieux utiliser l’énergie solaire disponible, prévisible et gratuite

Bataille de Paris. Comment vous est venue l’idée de ce projet d’aller dans la stratosphère avec un avion électrique ?

Raphaël Domjan. Lors de mon tour du monde en bateau solaire en 2012, j’étais en quart de 09h00 à minuit. Cela donne le temps de réfléchir. Après cette première, il fallait trouver une idée ambitieuse qui puisse impressionner le public. À l’extérieur des Galapagos, j’ai contemplé la Voie lactée et j’ai eu mon « moment d’eurêka »: me rapprocher des étoiles dans un avion propulsé par le soleil. Moi qui ai toujours rêvé de devenir astronaute ! J’ai aussi appris des entreprises précédentes pour mieux comprendre l’impact des médias. Pour « PlanetSolar », l’intérêt s’est dilué au fil du temps. Nous n’avions pas ces escales comme « Solar Impulse », le vol de Bertrand Piccard, pour entretenir la résonance du projet. Arriver à New York était un événement en soi. Traversées de l’Atlantique et du Pacifique aussi. L’idée d’atteindre la stratosphère dans un avion électrique vous permet de concentrer votre attention sur une seule journée. Avec en plus l’élément de risque qui fascine le public : le pilote peut-il s’en sortir ? Mais l’exploitation a un but, elle n’est pas gratuite. Il s’agit de démontrer que l’énergie solaire n’est pas une éco-lubie, mais un moyen efficace de transformer notre dépendance aux énergies fossiles. Je ne veux pas avoir un discours anxiogène sur l’écologie. Mon rêve est d’atteindre les jeunes. Car s’ils n’y croient pas, la transition énergétique n’aura jamais lieu. A travers cet exploit, je veux prouver que notre époque peut être chanceuse. Pour être encore plus performant technologiquement, et ne pas retourner au char à bœufs.

La combinaison de pilote (12 kilos) le protégera des dépressions stratosphériques, des températures extrêmes (- 70°C) et lui apportera l’oxygène nécessaire.

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STRATORS SOLAIRES

Pourquoi est-il possible aujourd’hui, avec l’énergie solaire, de réaliser des prouesses qui, dites-vous, « dépassent le potentiel des énergies fossiles » ?

Un avion thermique a besoin d’un carburant, l’essence, qui a besoin d’un autre comburant, l’oxygène. Plus l’altitude est élevée, moins il y a d’oxygène. Par conséquent, l’efficacité d’un moteur thermique diminue. La moitié tous les 5 000 mètres. La première voiture sur la Lune n’était pas une thermomobile, elle n’aurait pas fonctionné. Alors qu’avec un avion électrique à énergie solaire, le moteur conserve le même rendement. Et plus vous montez haut, mieux les cellules solaires fonctionnent. Moins d’ambiance pour les rayons à traverser, et le froid est meilleur pour les panneaux solaires. Il n’y a que des avantages à voyager en haute altitude avec un avion électrique. Toute la difficulté réside dans l’obtention de la puissance nécessaire pour y parvenir.

Pourquoi n’avez-vous pas construit un avion à partir de zéro comme Piccard l’a fait ? Le budget de « Solar Impulse » a atteint 150 millions. On espère réussir avec seulement 10 millions pour coller à l’idée d’un projet à taille humaine, quasi figé avec. Et de démontrer qu’un rêve apparemment fou est désormais disponible avec les technologies d’aujourd’hui.