Avons-nous besoin d’une réforme des retraites ? Pour la majorité et le candidat à la présidentielle, le système serait au bord de la faillite. Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire l’a encore répété mardi 12 avril sur CNews : « La réforme est indispensable pour sauver notre système de retraite ». Et le premier ministre, Jean Castex, d’ajouter sur RTL : « Le risque, si on ne fait rien, c’est que les retraites baissent. »
Emmanuel Macron, pour sa part, a mis l’accent sur l’allongement de l’espérance de vie. « Je suppose que pour vous dire que nous allons devoir travailler plus dur, travailler plus longtemps parce que nous vivons plus longtemps », a-t-il déclaré lors de sa seule rencontre avant le premier tour.
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Pourtant, dans son dernier rapport de juin 2021, le Conseil d’orientation des retraites notait que le système n’était pas menacé à moyen terme, et que les dépenses restaient sur une « trajectoire maîtrisée ». « Les régimes ne sont pas en danger, pourrait donc insister le président de la CFE-CGC, François Hommeril, sur franceinfo. Il n’y a aucune raison économique à moyen terme qui indique la nécessité d’une réforme des retraites : ce n’est qu’un objet politique. »
Marges de manœuvre budgétaires
Pour Michaël Zemmour, professeur d’économie à Paris 1 et membre du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po, les gains d’espérance de vie étaient déjà pris en compte lors des précédentes réformes qui allongeaient les durées de cotisation.
En revanche, la réforme des retraites peut avoir un autre avantage : libérer des marges de manœuvre budgétaires dans un contexte limité, pour financer d’autres réformes, comme la dépendance. La part des dépenses de retraite dans le PIB est passée à 14,7 % pendant la crise sanitaire. Et même si cette part a diminué et devrait se stabiliser à 13,7 % jusqu’en 2030, « on peut tout à fait considérer que ce niveau de dépenses de retraites est excessif… ou insuffisant, reconnaissait auparavant le président du COR, Pierre-Louis Bras ; de l’Association des journalistes pour l’information sociale (Ajis). Mais c’est un choix politique.
Quel que soit l’objectif, plusieurs leviers sont à la disposition des pouvoirs publics pour faire des économies dans le système de retraite. Les frais d’adhésion en sont un. Mais, dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, il est difficile de proposer une hausse des cotisations des salariés, ainsi que de celles des entreprises (grâce au risque qu’elles resserrent leur masse salariale).
Niveau des pensions
Le niveau des retraites est un autre levier que les gouvernements récents ont régulièrement activé, notamment en n’augmentant pas les retraites autant que l’inflation, ou en les soumettant à la CSG.
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Résultat, selon le COR : si le niveau de vie moyen des retraités était encore légèrement supérieur à celui des actifs en 2018 (+ 2,9 %), il pourrait être inférieur jusqu’à la fin de la décennie.
D’où les propositions de Marine Le Pen d' »augmenter les petites retraites » et un minimum vieillesse à 1 000 €, et d’Emmanuel Macron de fixer le minimum de retraite à 1 100 € pour une carrière complète et, juste avant le premier tour, d’indexer « à partir de juillet » des pensions sur l’inflation
Durée de cotisation
Restent donc les anciennes mesures sur lesquelles ont joué les dernières réformes, notamment en allongeant la cotisation. La dernière en date, la réforme Touraine votée sous François Hollande, prévoit ainsi de passer de 167 trimestres de cotisations (pour ceux nés avant 1960) à 172 trimestres (43 ans) pour ceux nés à partir de 1973 pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Ainsi, si l’âge minimum légal de la retraite reste à 62 ans, l’âge auquel on prend effectivement sa retraite augmente significativement : de 60,5 ans en 2010 à 62 ans et deux mois en 2021. Et même 63,5 ans pour les salariés du privé.
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Est-ce à dire que le relèvement de l’âge légal de la retraite à 64 ans, tel que proposé par Emmanuel Macron, ne concernerait finalement que quelques personnes ? « Le problème va se poser pour ceux qui ont tous leurs quartiers sans avoir 64 ans, prévient un syndicaliste spécialisé dans les retraites. Ainsi, lorsque vous avez commencé à travailler à 18 ans, vous auriez dû travailler quarante-six ans avant de pouvoir prendre votre retraite. « Des hommes et des femmes qui autrement « surcotiseraient » en attendant leur retraite, sans obtenir de droits supplémentaires.
Pénibilité
Les syndicats réformistes plaident depuis longtemps pour qu’une carrière longue et ardue soit envisagée. En 2017, Emmanuel Macron a supprimé quatre des dix critères pris en compte par le compte pénibilité pour pouvoir prendre sa retraite plus tôt, dont le port de charges lourdes.
Pourtant, un exemple qu’il a pris lundi lors de son déplacement portait justement sur ce sujet, signe, selon un syndicaliste, qu’il ouvre la porte aux négociations. « Le problème, c’est que la France est droguée à l’âge du départ, regrette ce syndicaliste. On continue à présenter un âge symbolique, tout en multipliant les exceptions. Nous avons besoin de quelque chose de plus imaginatif. »
Emploi des séniors
Autre enjeu lié au recul de l’âge de la retraite : l’emploi des seniors. Ceux qui militent pour un recul de l’âge rappellent que, passant de 60 à 62 ans, la réforme de 2010 a permis d’augmenter l’emploi des seniors, de 36 % en 2003 à 54 % en 2020.
D’autres soulignent que l’emploi des plus de 55 ans en France reste l’un des plus bas d’Europe et qu’il est extrêmement difficile de trouver du travail après 60 ans. Au point que près de la moitié des retraités aujourd’hui n’ont plus d’emploi.
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Les syndicats, du moins ceux du pôle réformiste, ne sont hostiles à aucune réforme. « Le problème, ce sont les inégalités du système, expliquait avant le premier tour Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC, à Ajis. Par exemple, avec le fait que les femmes ont une retraite moyenne de 40 % inférieure à celle des hommes. »