« Cela peut sembler étrange de payer pour s’entraîner aux entretiens, mais si vous avez déjà payé 50 000 $ pour une école de commerce ou pour un MBA, ne sautez pas la dernière étape. Ça représente 1 000 ou 2 000 euros pour décrocher un poste parmi les mieux payés », a déclaré Victor Mamou, ancien consultant au Boston Consulting Group (BCG) et créateur de la méthode « Devenir consultant en 42 jours ». David Cukrowicz l’a mentionné. voire le nom de son entreprise « Lastep », qui symbolise cette « dernière étape » pour se faire embaucher.

Comme eux, d’autres, pour la plupart d’anciens consultants, ont créé leur société de formation rémunérée pour aider les candidats à réussir. « Une entreprise comme Bain France reçoit environ 5 000 CV par an », explique Michael Ohana, fondateur d’AlumnEye, qui prépare des entretiens dans des secteurs ultra-sélectifs, dont le conseil. Dépistage (bien rédiger son CV), tests de logique, étude de cas, entretien de personnalité soi-disant « fit », mathématiques… sont autant de tests auxquels un candidat doit se préparer.

L’étude de cas consiste à résoudre le problème d’une entreprise dans une industrie particulière, par exemple « un magasin de sport veut lancer un nouveau produit innovant ». Il en existe des milliers de différents, il faut donc multiplier les entraînements. « On se prépare en binôme et l’un des deux assume le rôle de recruteur. CaseCoach (un des acteurs de ce marché, ndlr de la rédaction) se charge des relevés et des corrections et vous met en relation avec d’autres candidats. C’est un peu le ‘Tinder des affaires’ », explique Valentin (prénom changé), conseiller et diplômé d’HEC. Il a accédé à la plateforme via son école et s’en sert pour améliorer son point faible, notamment sur le domaine du marketing.

« Mon cheval de bataille était le calcul mental », raconte Louise (le prénom a changé), tout juste sortie de l’Essec. Ce dernier s’est fait conseiller par PrépaStrat, autre société de formation et de coaching en ligne pour ce type d’entretien, sur la manière d’organiser son temps dans cette phase de recrutement.

Des contrats avec les universités

CaseCoach annonce préparer chaque année plus de 50 000 candidats dans le monde grâce à ses formations en ligne. Droit d’entrée : 110 euros. Les aspirants peuvent également réserver un coaching individuel avec des consultants sur le terrain, pour 151 ou 263 euros de l’heure. Chez PrépaStrat, « le panier moyen par client est d’environ 1 500 euros », explique Pierre-Adrien Justice, le fondateur, qui dit préparer entre 200 et 250 candidats par an. De son côté, AlumnEye propose deux parcours aux étudiants, l’un à 1 099 euros, l’autre à 1 599 euros, pour se former à trois ou quatre tours d’entretiens de recrutement. Les prix augmentent pour la reconversion professionnelle.

Ces entreprises passent également des contrats avec des écoles de commerce. Et la demande est forte. 36% des étudiants du programme Grande Ecole ont un premier emploi dans le conseil, indique l’Essec, l’une des meilleures écoles de commerce. Même commande chez le concurrent ESCP. A ces chiffres s’ajoutent les candidats issus d’autres programmes d’études, tels que ceux des masters spécialisés.

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Les 5 meilleures écoles de commerce se sont toutes inscrites à la formation en ligne de CaseCoach. Ils font aussi appel à des consultants via ces entreprises : « J’ai un réseau de formateurs, de recruteurs de grandes entreprises que je mobilise pour faire ces interventions auprès des écoles », explique David Cukrowicz. L’Essec a également fait appel à PrépaStrat qui organise des bootcamps (formation intensive de plusieurs jours), des master classes et des entretiens individuels. La facture de l’école de commerce : « entre 20 000 et 50 000 euros pour toute l’année », explique Pierre-Adrien Justice.

Un marché de niche

« Le marché de la préparation d’entretiens avec des cabinets de conseil est très réduit, reconnaît Enguerran Loos. Pour les trois grands cabinets de stratégie (Bain, BCG et McKinsey) on parle de 80 000 candidats à préparer… dans le monde ». Il n’y a donc pas beaucoup de place pour les acteurs. « Beaucoup de gens commencent à travailler en France. Mais la plupart des concurrents ne font pas tout leur boulot là-dessus », explique Victor Mamou, qui s’y est pleinement investi depuis 2015.

Au départ, ils se sont heurtés à un manque de sources francophones, accessibles et à jour lors de leur propre candidature. « Les ressources disponibles sont très axées sur le modèle américain, où les candidats doivent utiliser des superlatifs pour se décrire lors de l’entretien. En France, on veut que les candidats se présentent sur le fond et moins sur la forme », illustre David Cukrowicz.

Sans ces ressources, il est impossible d’y parvenir sans réseau, explique Michael Ohana. « Lorsque vous démarrez cette entreprise, les gens critiquent le ‘money picking’. C’est faux. Les gens qui ont beaucoup d’argent n’ont pas besoin de cette aide car ils peuvent y accéder via leur réseau familial, estime-t-il. Mon entreprise permet à ceux qui n’ont pas accès aux conseils et à la formation d’obtenir le poste. »

Si le marché est une niche, chacun y voit des leviers de croissance pour développer son business. A commencer par l’international. « En France, on est loin de l’intensité de préparation du marché anglo-saxon », explique Victor Mamou, qui lance cette année sa formation en anglais.

Pierre-Adrien Justice de PrepaStrat mise plutôt sur la chasse de tête pour développer son activité : « 25% des clients sont des candidats expérimentés qui souhaitent évoluer vers le conseil. Ce sont des profils très intéressants pour les entreprises qui ont besoin de redynamiser leurs effectifs, notamment ceux qui ont deux ans d’ancienneté, un segment à fort turnover », analyse-t-il. Lastep réalise déjà 95 % de son chiffre d’affaires sur ce créneau.

Il est intéressant de noter que les entreprises commencent à ouvrir leurs postes à des profils plus diversifiés, de nouvelles nationalités, de nouveaux horizons. Enguerran Loos, déjà très présent à l’international, y voit un potentiel : « Ces gens n’ont pas l’habitude de recruter dans des cabinets de conseil. Il est important qu’ils puissent s’y préparer. »