Pendant la crise, pour mémoire, le transport maritime a été suspendu avant le transport terrestre et aérien, notamment dans le cas du transport touristique. Ports fermés sans coordination. Les navires se sont retrouvés à errer, ils pouvaient donc trouver des ports d’escale pour déposer leurs passagers; les équipages se sont retrouvés étroitement confinés sous des quarantaines sans fin ni considération. Diverses autorités se sont retrouvées impuissantes et insuffisamment informées pour juger sans profit face à une opinion publique anxieuse. Chacun s’est efforcé d’être constructif, malgré les frustrations et les injustices — une responsabilité commune, assumée, effective est née d’une gouvernance participative pourtant particulièrement malmenée, mais qui n’a finalement pas coulé.

Hélas, cet épisode vertigineux est désormais dépassé, il est temps de s’atteler à la « reprise ». Collectivement, sans amertume stérile, chacun s’affaire à « retourner à la mer ». Pas là où nous nous sommes arrêtés, mais avec encore plus de rigueur, renforcée par une expérience supplémentaire, plus consciente des enjeux plus élevés et des transitions nécessaires imposées à chacun (écologique, énergétique, touristique, logistique, financière, géostratégique, gouvernance, etc.), la l’industrie de la croisière se réorganise et redistribue ses itinéraires. Désormais, en Outre-mer, la croisière a repris partout, en ce mois d’octobre. Depuis janvier en Polynésie française (et les façades hexagonales), jusqu’à il y a quelques semaines aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie.

Activité phare et déterminante dans les territoires maritimes

Parmi les premiers éléments à examiner, concernant la filière française au sein de l’industrie mondiale de la croisière, son importance structurante pour l’outre-mer (« merritoires » par nature) est souvent mal appréhendée. Le voyage couvre 7 bassins de navigation, 12 destinations, 64 ports/mouillages (contre 2 bassins, 20 destinations réparties sur 7 régions, 45 ports et mouillages pour la France).

En 2019, plus de la moitié (53 %) des escales et plus du tiers (36 %) des passagers dans l’ensemble des ports français concernaient les territoires d’outre-mer, selon les données compilées par l’équipe d’Atout France. Plus de navires font alors escale dans un port français du Pacifique (35 %) qu’en Méditerranée (30 %), tandis que les Antilles représentent 16 % du nombre total d’escales.

La typologie des navires est très variée en Outre-mer, et différente des ports français. Globalement, il y a plus d’escales et moins de passagers : une moyenne nationale de 1 400 passagers/escale, une moyenne française de 1 900 passagers/escale, une moyenne outre-mer de 900 passagers/escale (50 % de la moyenne française) – mais très variable selon les territoires : 2 300 passagers/escale en Nouvelle-Calédonie, 1 500 en Martinique, 1 400 à La Réunion, 1 000 en Guadeloupe, 450 en Polynésie, 380 à Saint-Pierre et Miquelon, 300 à Saint-Barthélemy.

Ces variations révèlent les modèles de développement de croisière adoptés, consciemment choisis ou revus par ces destinations. Chaque segment privilégié peut correspondre à la fois à la tendance du bassin dans lequel il se situe, et il peut refléter l’action proactive des acteurs du territoire concerné, selon leurs propres jugements d’arbitrage.

C’est un gros problème. La structuration locale, ancrée localement, adoptant à la fois une logique et un modèle d’inclusion, de compétitivité et de différenciation au sein du bassin de croisière dans lequel elle s’inscrit, est le premier échelon crucial. En associant autorités et acteurs maritimes et touristiques, il permet à la fois d’optimiser (ou de faire évoluer) un modèle dominant, de fixer des standards en termes de développement, de capacité logistique et d’acceptabilité, d’évaluer les infrastructures nécessaires, et d’assurer la cohérence et la pérennité qui favorisent la confiance et la crédibilité – essentielles dans une industrie mondiale qui peut simplement choisir un port d’escale à proximité et déplacer ses opérations.

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A ce sujet, bien qu’elles se soient fortement développées ces 5 dernières années, les synergies pourraient être beaucoup plus importantes et efficaces entre les territoires français des différents bassins. Pour aboutir souvent à des formes de gestion collégiale paritaires ou proches, chacun doit souvent réaliser seul les différentes étapes de structuration, de relations avec les entreprises et les collectivités.

Cette structure, lorsqu’elle fonctionne, lorsqu’elle rassemble et lorsqu’elle s’appuie sur une vision professionnelle de l’activité, permet à l’industrie de la croisière de devenir un véritable levier pour le développement du tourisme dans ces destinations insulaires ou côtières : renforcement de l’attractivité et développer des offres d’activités et d’expériences pouvant ensuite être commercialisées par d’autres secteurs touristiques ; développement de l’offre de transports publics terrestres, aériens ou maritimes ; des débouchés complémentaires pour l’exportation des productions endogènes ; financement de programmes d’aménagement ou de restauration d’espaces publics à vocation touristique, au profit des habitants, etc.

La croisière est également un levier essentiel pour renforcer l’attractivité des opérateurs aériens internationaux et l’offre d’hébergement touristique terrestre lorsqu’une politique favorisant les opérations en tête de ligne (premier embarquement et débarquement final des passagers au départ et à l’arrivée des lignes commercialisées) est déployée de manière méthodique avec cohérence et lutte, en fonction de la capacité – souvent limitée et restreinte – des aéroports locaux.

Transitions nécessaires vers une sécurité radicale

Déjà entamé avant la pandémie mondiale, le développement de la croisière rencontre l’opposition frontale d’une partie de l’opinion publique. Bien que la flotte de croisière de 300 navires en opération représente 0,3 à 0,8 % de la flotte commerciale mondiale selon les sources, elle a été identifiée par certains comme l’emblème des maux sociaux et environnementaux. Cette vision, caricaturale, repose sur des fondements déformés et trompeurs. Elle est pourtant généralisée, fondée sur des craintes légitimes, et elle affecte les réflexions des décideurs publics. Encourager les médias et la communauté académique à être plus rigoureux ne renversera pas cette perception négative.

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Communiquer intensivement sur les avancées et initiatives, souvent technologiques, portées par tous les acteurs de la filière, ports, armateurs, chantiers navals, en impliquant de plus en plus les collectivités locales, apparaît comme le seul moyen de renouer avec une perception rationnelle et de ce secteur maritime, qui est également à l’avant-garde des transitions nécessaires, souhaitées et régulièrement rappelées tant par l’Organisation maritime internationale que par l’Organisation mondiale du tourisme.

Le secteur a donc repris une activité particulièrement résiliente dans les DOM-TOM. De janvier en Polynésie française, à octobre pour la Nouvelle-Calédonie, chaque territoire a dû négocier une réouverture au cas par cas. En dehors du bassin de l’océan Indien, les chiffres sont globalement similaires à ceux de 2019. Le nombre d’escales s’est rapidement redressé, tandis que les coefficients de remplissage se sont renforcés à mesure que les destinations ont levé les restrictions. Néanmoins, la question se pose : chaque territoire « retournera-t-il à la mer » avec les mêmes objectifs et préoccupations qu’au cours de la décennie précédente ?

On constate, dans le sillage des ports de Marseille, du Havre et de Bordeaux, que les destinations et les ports français extra-continentaux sont également soucieux de faire face aux effets de cette industrie, mise sous pression d’une part par une exposition toujours plus importante aux critiques , et d’autre part de suivre la dynamique internationale du secteur initiée au début des années 2010.

Parallèlement, les armateurs de croisières, et notamment les compagnies de petites unités de luxe ou d’expédition, ou les « petits/moyens navires » de moins de 1 800 passagers, fortement représentés en Outre-mer, rivalisent d’initiatives éco-responsables, de programmes inclusifs, d’innovations technologiques, tantôt anciens, tantôt nouveaux, pour communiquer et vous rappeler votre volontariat sur ces sujets. L’un des plus grands écueils des décennies précédentes était que les opérateurs, les armateurs, décidaient souvent seuls du développement du secteur. L’époque et la dynamique actuelle contribuent donc à établir de nouvelles lignes, chartes, règles de conduite, pour que non seulement les croisières océaniques progressent à titre d’exemple, mais aussi pour que les territoires – et leurs populations – influent, pas à pas, sur son courant et trajectoires futures.

« Reprendre la mer » va donc, dans la décennie en cours, pour de nombreux gouvernements territoriaux dans le monde « reprendre le contrôle » de la mer. Ce n’est pas une évolution malheureuse, à condition que les mêmes autorités connaissent le bon sens maritime, maritime. , et n’utiliser qu’une vision terre-à-terre – et condescendante – sur des activités et des enjeux mal définis.

Visions et gouvernance pour #EscaleFrance

Au niveau national, la France peut compter et vraiment peser sur l’avenir de cette industrie. Elle fédère ainsi des escales dans les grands bassins, des destinations touristiques attractives et l’arrière-pays, elle dispose d’armateurs devenus ou en passe de devenir des références dans leurs zones respectives battant différents pavillons français, elle dispose d’un chantier naval emblématique et de fournisseurs connus dans tout le industrie. Mais elle peine encore à se présenter comme une filière structurée et coordonnée, solide dans ses objectifs, cohérente dans ses perspectives, reconnue comme telle par l’industrie mondiale.

Si un dynamisme a émergé dans d’autres secteurs mondiaux (nouvelles technologies, exportation, télécommunications, énergie, etc.), la création du CruiseLab dans le cluster maritime français en 2016 a initié un premier niveau stratégique de structuration nationale. Il faut maintenant passer à l’étape suivante et organiser la vision nationale, en tenant compte de la diversité des territoires et des acteurs d’une part, en harmonisant les préoccupations, les réponses et les initiatives d’autre part, et en exprimant une voix représentative et forte avec les ténors de l’industrie. Le secrétariat général de la mer – qui vient de changer de préfet à sa tête – avait esquissé des travaux en ce sens au sein du Comité maritime français, qui mériteraient d’être repris et renforcés.

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Pour « reprendre la mer », en mode croisière, la France doit s’appuyer sur ses territoires maritimes français et extracontinentaux, doit constituer une « équipe française » publique et privée représentative et professionnelle sur les différents sujets (environnement, logistique, infrastructures, relance économique et lieux de travail, règlements et pavillons, etc.) et mettre en place une gestion cohérente, moderne et efficace. Cela permettra de mieux traverser les prochaines crises, quelles qu’elles soient, d’optimiser les effets d’entraînement et de rationaliser les effets sur les populations touchées, de nous imposer des enjeux maritimes stratégiques dans de nombreux bassins, de fixer un cadre de référence. pour un tourisme de croisière durable et inclusif réparti par destination, pour optimiser des leviers de développement importants dans chacune des façades…

Co-gérant associé, Archipelagoes SARL

Coordinateur, Tahiti Cruise Club

Coordinateur, Cluster Maritime Polynésie Française