A priori, la Guadeloupe et Montserrat n’ont pas grand chose en commun si ce n’est leur insertion dans l’espace caribéen et américain ainsi que leur proximité géographique. Cependant, le Brexit a mis en lumière les liens qui unissent ces deux territoires à leurs métropoles respectives et pose la question de la gouvernance des territoires européens d’outre-mer.

Les deux îles aux statuts différents ont connu plusieurs échanges, désormais asséchés et la Guadeloupe perd un partenaire économique alors que Montserrat se retrouve dans une situation de grave pénurie. L’Union européenne et ses enjeux s’incarnent donc aussi dans les territoires ultramarins.

Séparées de 55 kilomètres, la Guadeloupe et Montserrat sont deux îles caribéennes voisines, chacune reliée à une métropole : la Guadeloupe en France, dont elle forme une région monodépartementale, et Montserrat en Grande-Bretagne, dont elle forme un territoire britannique d’outre-mer, autrefois appelé : « Crown Colony » sans être membre du Commonwealth.

Les importants échanges commerciaux entre les deux territoires, tous deux liés à l’UE – la Guadeloupe est une région ultrapériphérique de l’UE tandis que Montserrat était un « pays et territoire d’outre-mer » – ont été profondément perturbés par le Brexit. L’exemple de la relation entre la Guadeloupe et Montserrat témoigne plus largement des effets globaux du Brexit, qui dans les territoires d’outre-mer a défini de nouvelles frontières et modifié les rapports de force.

Montserrat, une île « autonome » en crise

Le territoire britannique d’outre-mer, l’île de Montserrat, à ne pas confondre avec le massif catalan du même nom, est sous domination anglaise depuis 1632, date à laquelle les Espagnols puis les Français ne purent en garder le contrôle. En 1960, l’île accède au statut d’autonomie et devient une destination branchée du show-business retrouvée dans le paradis fiscal, un lieu de plaisir et de plaisir pour le porte-monnaie. Les Beatles, les Rolling Stones ou encore Michael Jackson, Elton John ou le groupe français Indochine y ont passé un bon moment et y ont enregistré certains de leurs albums.

Administrée de manière très autonome, mais dépendante de la Couronne britannique, l’île est également un pays et territoire d’outre-mer de l’Union européenne (PTOM). A ce titre, ses citoyens, jusqu’à l’entrée en vigueur du Brexit, bénéficiaient de la citoyenneté européenne et d’une application partielle des règles du marché unique. En outre, l’OLT définit sa relation avec l’UE au cas par cas.

L’économie de l’île était et est toujours basée sur le tourisme de luxe, sur ses activités de paradis fiscal offshore et sur les subventions que lui versent Londres et Bruxelles. Depuis l’an 2000, l’île a ainsi bénéficié de près de 39 millions d’euros d’aides européennes dans le cadre du Fonds européen de développement (FED), assez significatif au regard du PIB de l’île, à savoir 63 millions d’euros en 2019, une année faste. L’annonce du Brexit a ainsi été accueillie dans la confusion sur l’île caribéenne car elle signifiait la perte d’une part importante des revenus et bénéfices financiers pourtant nécessaires au développement. Ainsi, la Grande-Bretagne se voit obligée de combler ce vide.

En crise, Montserrat l’est sérieusement, après la catastrophe de 1995 avec l’éruption du volcan de la Souffrière, l’île est désormais à moitié inhabitable et la capitale Plymouth a été rayée de la carte. La moitié des habitants est allée vivre sur l’île voisine d’Anguilla ou en Grande-Bretagne, le reste s’est réfugié dans le nord de l’île en attendant de nouvelles perspectives de développement. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne et la perte du statut de PTOM ont donc été vécues difficilement par la population de l’île. Les grands projets de reconstruction et de restructuration de l’économie insulaire ne manquent pas, mais les moyens pour les mener à bien – déjà faibles avant la fin des liens avec l’UE – relèvent actuellement d’un vœu pieux.

Une économie dépendant de ses liens avec la Guadeloupe et avec l’UE

Outre les financements accordés dans le cadre du FED, les territoires britanniques d’outre-mer ont bénéficié d’importants avantages économiques liés à un accès facilité au marché commun. En effet, l’économie des territoires d’outre-mer est fortement dépendante de l’extérieur. Si les données d’exportation de Montserrat sont difficiles à consulter, un exemple peut être fourni à des fins de comparaison. Les îles Falkland au large de l’Argentine représentaient 90 % des exportations vers l’UE. Bien que cette part puisse être plus faible pour Montserrat, il convient de noter qu’une grande partie des échanges se fait avec la Guadeloupe, une région ultrapériphérique de l’UE. Montserrat est quinze fois plus petite que la Guadeloupe, et en dépend fortement pour son approvisionnement et donc pour sa survie. Aujourd’hui, elle est isolée de l’île française par une frontière dure qui fait craindre aux autorités britanniques des pénuries et une forte hausse de l’inflation.

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Le secteur financier, point fort de l’économie insulaire, est également en difficulté. Lorsque Montserrat était encore liée à l’UE, des garanties ont été obtenues pour la restructuration partielle de l’économie et pour la visibilité des flux financiers qui ont permis de la retirer de la « liste noire » puis de la « liste grise » des paradis fiscaux . Mais la fin de la manne économique que représentaient les aides européennes pourrait signifier une reconnexion de l’île avec ses anciennes pratiques.

Au 1er janvier 2020, un mois avant la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE, il y avait encore 11 banques offshore sur l’île, soit 1 pour 400 habitants. L’immatriculation des yachts de luxe immatriculés sur l’île n’a jamais été aussi importante. Petit à petit, Montserrat risque ainsi de perdre son économie réelle en même temps que ses habitants sont contraints de quitter une île devenue inhabitable en raison des aléas climatiques et de l’inflation. Elle deviendrait alors une île réservée à l’économie financière et peuplée de riches retraités à la recherche d’un climat attractif pour leur vieillesse et d’une fiscalité quasi inexistante.

Cependant, Londres et les autorités insulaires tentent de redonner vie à Montserrat. Les autorités britanniques ont annoncé un plan de réaménagement de Little Bay pour devenir la capitale de jure et de facto de Montserrat, la construction d’un véritable aéroport permettant des vols directs avec Londres et le « Montserrat Tourism Master Plan 2015-2025 » qui doit développer un tourisme de niche sur l’île, en particulier le « tourisme noir ».

Cela permet, grâce notamment à des tour-opérateurs guadeloupéens, de faire le tour du volcan en hélicoptère, de faire du kayak dans la zone interdite ou encore de visiter les ruines de Plymouth, seule capitale fantôme au monde. Cependant, la pandémie de Covid-19 est venue fortement entraver les ambitions touristiques sur l’île. La mise en place de la frontière dure entre la Guadeloupe et Montserrat rend également plus difficile le développement d’un tourisme à la journée entre les deux îles qui pourrait être bénéfique à l’économie des deux territoires.

Une divergence croissante entre les métropoles et les territoires ultra-marins

Le Brexit est venu bouleverser les relations existantes entre les métropoles et les territoires d’outre-mer et entre les territoires d’outre-mer. Depuis 2020, les résidents des îles britanniques d’outre-mer ne peuvent plus se rendre dans l’UE, ce qui entrave leur liberté de circulation, un droit dont bénéficient les résidents de la Guadeloupe voisine.

Les perspectives de développement économique de ces territoires sont désormais limitées alors que les généreuses aides européennes se sont arrêtées ; à Londres pour compenser maintenant. L’approvisionnement alimentaire, qui a été compliqué depuis la Guadeloupe en raison de la mise en place d’une frontière dure, est désormais aussi de plus en plus dépendant de la Grande-Bretagne qui fait grimper les prix.

Deux exemples montrent déjà les effets très négatifs du Brexit sur les territoires britanniques d’outre-mer. Depuis février 2020, les îles Caïmans sont de retour sur la « liste noire des paradis fiscaux » de l’UE. Ils sont désormais soumis à des sanctions économiques ainsi qu’à une interdiction de transit des capitaux européens sur leur territoire. Dans le Pacifique, les îles Pitcairn, peuplées de 50 habitants, dépendent de la Marine française pour leur approvisionnement en carburant. Or, avec le Brexit, la France ne pouvait plus assurer cette mission, ce qui a conduit les citoyens à quitter purement et simplement l’île, car sans carburant, sans générateurs électriques et sans transports, la vie quotidienne est très difficile.

Certains territoires britanniques d’outre-mer, déjà autonomes, pourraient donc, pour garantir leur survie, choisir l’indépendance afin de définir leurs relations avec leurs voisins immédiats. L’assèchement des relations économiques et commerciales entre la Guadeloupe et Montserrat témoigne de ces relations post-Brexit dangereuses dans les territoires d’outre-mer qui pourraient conduire à la mort économique de ces territoires et à des choix politiques très engageants.

Alors que le Brexit était vendu par ses partisans comme un moyen pour la Grande-Bretagne de s’ouvrir au monde et d’accéder à l’indépendance, il en résultait une plus grande dépendance aux métropoles pour les territoires d’outre-mer. Londres ne s’en est pas vraiment inquiété, les habitants de ces territoires même s’ils étaient officiellement « British Citizens Abroad » et donc les sujets de la Couronne n’ont pas été invités à participer au référendum pour quitter l’UE en 2015.