Alors que plus de 400 brigades de gendarmerie ont été sacrifiées en l’espace de dix ans au nom de « l’efficacité opérationnelle », vous enclenchez le mouvement inverse. Pourquoi ?

Je pense qu’au début des années 2000, c’était une erreur de réduire à la fois les effectifs et le nombre de gendarmeries sur le territoire. Surtout, le pays a changé : il n’est plus le même qu’il y a 20, 25 ou 30 ans.

Notre volonté générale est de rétablir les services publics dans tous les départements, en commençant par les zones rurales. A ma place, cela signifie mettre un terme à la concentration des moyens des forces de sécurité dans les grandes villes.

Entre le début des années 2000 et le mandat de M. Hollande, environ 500 brigades de gendarmerie ont été fermées. Ce mouvement est stoppé depuis 2017. En tant que ministre de l’Intérieur, je n’en ai pas supprimé un seul.

Nous allons maintenant en recréer 200, soit entre deux et trois par département, en nous concentrant sur les zones qui ont gagné en population et celles où les services publics ont déserté. Parfois, les gendarmes doivent conduire une heure et demie pour intervenir. Cette distance doit être coupée.

Comment ces nouvelles implantations seront-elles décidées et selon quel calendrier ?

Je lance la consultation pour tout le pays à partir de ce jeudi, département par département. Chaque préfet, avec le chef de groupement de gendarmerie de son département, réunira des élus locaux afin de leur présenter l’état des forces et faiblesses de la sécurité sur le territoire concerné, l’historique, les chiffres de la délinquance, l’évolution de la population , etc.

L’idée est que les élus de tous bords et notamment les maires, qui connaissent mieux le terrain que les fonctionnaires de la République, puissent réagir en exprimant leur accord ou leur désaccord avec le constat.

L’idée est que les élus et notamment les maires, qui connaissent parfois mieux le terrain que les fonctionnaires de la République, puissent réagir en exprimant leur accord ou leur désaccord avec le constat.

Cette phase, durant laquelle ils pourront également faire des propositions sur les implantations d’emplacements, s’étirera grosso modo jusqu’à début janvier. L’Etat recueillera et analysera ces propositions.

L’objectif est de pouvoir annoncer l’ensemble des 200 emplacements d’ici mars-avril 2023, afin que les premières brigades soient prêtes l’été prochain. Nous avons déjà prévu la création de 950 postes de gendarmerie dans le budget de l’année prochaine, qui seront opérationnels à ce moment-là.

Dans quels locaux ces nouvelles unités seront-elles installées ?

L’idée est que ce déplacement se fasse à moindre coût, en réinvestissant des bâtiments publics qui ne sont pas ou plus utilisés. L’Etat doit pouvoir redonner vie à ces lieux actuellement vides. Les communes ou communautés de communes peuvent également venir nous voir en nous disant : « Je peux mettre à disposition un immeuble ou financer une partie des travaux de rénovation ».

Indépendamment de ces brigades classiques, « dures », les élus qui le souhaitent pourront disposer de brigades itinérantes pour se concentrer sur les grands axes, s’adapter aux pics d’activité touristique ou agricole qui font voyager la délinquance, les jours de marché , etc.

Il n’y a pas de proportion préétablie. Nous nous adapterons aux demandes locales.

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Plus de 27 000 refus d’obtempérer ont été enregistrés l’an dernier. Que faire pour stopper leur inflation et éviter la survenance de drames, tant du côté des auteurs que des forces de l’ordre ?

Il y a en effet une forte augmentation de ces infractions. Il y a un refus de se conformer toutes les 30 minutes en France. Remettons d’abord l’église au milieu du village : quand un gendarme ou un policier vous demande de vous arrêter, vous devez vous arrêter. C’est la première chose.

Beaucoup de ceux qui refusent de le faire ont des raisons d’avoir honte. Ils ont de la drogue dans leur voiture, conduisent sous l’emprise de l’alcool et/ou de stupéfiants, n’ont pas de permis de conduire… L’honnête citoyen s’arrête.

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Je refuse donc l’égalité de traitement entre l’un et l’autre. Policiers et gendarmes risquent chaque jour leur vie pour nous protéger, leur travail est soumis à l’autorité judiciaire. Je ne comprends pas pourquoi nous ne les soutenons pas davantage, d’autant plus que les refus d’obtempérer sont devenus la première cause de décès dans leurs rangs.

J’insiste sur un autre point : les forces de sécurité font face à une violence croissante, pourtant elles utilisent moins leurs armes qu’avant. En 2021, par exemple, la police a tiré 40 coups de feu de moins qu’en 2017 sur des véhicules en mouvement.

Je pense donc qu’ils utilisent la force dont ils disposent de manière proportionnée. Surtout, la réponse pénale doit être ferme contre ceux qui utilisent leur voiture pour les tuer.

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Dans le cadre du futur projet de loi sur l’immigration, vous plaidez pour une « double peine » systématisant l’expulsion des étrangers condamnés. Pourquoi ce durcissement ?

Le principe que je vais véhiculer dans ce texte est que nous soyons méchants avec les méchants, et plus attentifs aux autres.

Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression qu’on dérange inutilement les étrangers qui veulent travailler, s’intégrer et vivre sur le sol national, et qu’à l’inverse, on laisse encore trop de liberté aux délinquants, aux voyous, aux radicalisés, malgré les efforts que nous avons faits au cours des dernières années.

Je vous rappelle au passage que j’ai déjà fait expulser 3 300 étrangers délinquants depuis que je suis devenu ministre de l’Intérieur, et plus de 700 personnes radicalisées ont été expulsées depuis 2017. Alors contrairement à ce qu’on peut entendre, la main de l’État est ferme .

Mais j’observe que dans les grandes villes comme Paris, Lyon ou Nantes, près de 50% des crimes et délits sont commis par des étrangers et que certaines dispositions législatives empêchent encore les expulsions.

Il faut réagir et avoir la fermeté de dire qu’en France, dans le pays qui vous accueille généreusement, on ne peut rien faire.

Toujours concernant les étrangers, le député Renaissance (ex-LREM) Sacha Houlié vient de déposer une proposition de loi pour leur accorder à tous le droit de vote aux élections municipales. Quelle est votre position sur le sujet ?

Je respecte les avis de chacun, y compris ceux de Sacha Houlié, avec qui je m’entends très bien, mais je ne partage pas celui-ci. Je pense au contraire que le droit de vote doit être réservé aux citoyens français. Ce sont eux qui doivent décider de l’avenir de leur nation. Je suis très attaché à ce principe.

Dans un récent rapport, la Cour des comptes affirme que l’opération Sentinelle a survécu dans son format actuel, et que cette mission, confiée depuis 2015 à l’armée, doit être transférée aux policiers et gendarmes. Est-ce une option réalisable ?

Je ne partage pas le constat de la Cour des comptes. Les soldats sentinelles nous aident beaucoup. Par ailleurs, si nous avons déjoué 39 attentats ces cinq dernières années, c’est aussi parce que nous collaborons avec nos amis de l’armée. Ne jetez donc pas le bébé avec l’eau du bain.

Qu’il y ait des développements, je n’y suis pas fermé, mais il faut y penser la main tremblante, car notre lutte contre le terrorisme est efficace et la menace est toujours extrêmement présente et très, très élevée.

Ce que nous faisons au ministère de l’Intérieur n’est pas toujours connu ou connu, mais je peux vous assurer que c’est un travail constant. Un drame peut survenir à tout moment.

Interview de Stéphane Barnoin