Lorsque La Croix demande à Mathilde Hallot-Charmasson, 33 ans, de la rencontrer, la jeune femme accepte à une condition : que Lucie, son amie et collaboratrice, soit également présente. Une question de confort et de confiance.
Elle tente d’établir ce climat de parfaite harmonie avec ses interlocuteurs, des femmes catholiques qu’elle interroge, dans son podcast « Des femmes et un Dieu », sur leur rapport à la foi. Une production audio formalisée en association, co-gérée avec Lucie, afin de donner « la parole aux femmes dans l’Église ».
Deux mondes qui ne se parlent pas
Peu de choses signifiaient qu’elle prendrait le micro pour recueillir le témoignage de ces femmes catholiques. Bretonne de naissance, Mathilde Hallot-Charmasson s’est installée très tôt à Paris avec sa mère « très observatrice » et son père « athée, avec une tendance à l’enchaînement ». Formée par sa grand-mère, elle va au catéchisme, devient servante de messe. Parallèlement, elle fréquente « l’école de la République », puis entre en classe préparatoire à Henri-IV et est admise à l’École normale supérieure.
Entre ses associations « très à gauche, très anticléricales » de la rue d’Ulm et son entourage catholique, elle vit dans deux mondes « qui n’essaient pas de se parler et qui, quand ils se parlent, ils ne se parlent pas ». ne se comprennent pas », résume-t-elle. D’où sa dispute, alors lycéenne, avec un jeune séminariste qui n’était pas ravi de la voir si près de l’autel. « C’était ma seule prise de position féministe », glisse-t-elle, les yeux rieurs.
Violences sexuelles envers des religieuses, le « point de bascule »
Aujourd’hui conservatrice de bibliothèque, elle entend « jeter des ponts » entre ces deux mondes. Regarder un documentaire d’Art diffusé en 2019 sur des religieuses victimes de violences sexuelles est « un tournant ». « En tant que personne baptisée, je ne veux pas faire partie d’une Église comme celle-là », a-t-elle dit après avoir regardé le documentaire.
Ainsi, durant une année de discernement chez les jésuites, la jeune femme y a cherché le sens de son « ministère baptismal ». Avec ce documentaire, « la réponse semblait évidente » : il faut éduquer et sensibiliser les femmes chrétiennes aux concepts du féminisme. Elle interroge alors des chefs d’entreprise, des femmes engagées dans des associations, des journalistes depuis plusieurs saisons… « Je me rends compte que ça déborde de partout, ils ne rentrent pas dans les cases dans lesquelles ils veulent nous mettre », attaque-t-elle, comme elle le fait avec humour messages et commentaires bibliques.
A Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Lucie déborde aussi d’idées « pour faire entendre des voix qui ne sont pas entendues ». Elle organise ses premiers cercles de femmes, où les participantes peuvent profiter d’une sécurité totale. « C’est effrayant. Une femme sur dix a été abusée sexuellement. Donc dans un cercle de dix, au moins une d’entre elles aura été victime… »
De la « sororité » pour « faire Église avec les femmes »
Mathilde et Lucie veulent désormais offrir « un lieu sûr » aux femmes, consacrées ou non. Son association Des femmes et un Dieu a organisé sa première retraite spirituelle en juillet, « Vivre l’Evangile au féminin », accueillie dans un monastère bénédictin des Deux-Sèvres. Au programme : temps de parole, conférence par un curé, ateliers artistiques et de réflexion. Outre les lectures bibliques et les prières proposées durant ces quatre jours, c’est pour cette poignée de femmes un moment de repos, de discernement et de « fraternité », loin de la « domination patriarcale » et des « homélies demandées ou périmées ».
Loin aussi des hommes, même de leurs maris. Car ? « Pour une fois, je ne veux pas me justifier », confie Mathilde Hallot-Charmasson en souriant. Désormais, elle veut continuer à construire ses ponts et « toucher le plus de femmes possible ». Et elle envisage de se disputer avec des chrétiens « qui n’ont pas les mêmes idées » qu’elle. Fondamentalement, la sienne est « d’être Église avec les femmes ». Lucie acquiesce : « Tant pis si on se fait rejeter, on ira ailleurs ! »
Proche de la spiritualité ignatienne, elle s’est vu proposer par le Mouvement chrétien des cadres et dirigeants (MCC) de coproduire la troisième saison de leur podcast. Preuve que les témoignages des femmes d’Église sont attendus.
Votre inspiration. Interroger une Parole de Jésus
« Vous les nourrissez vous-mêmes » (Lc 9, 13). J’ai reçu ce mot lors d’un cercle de femmes. Au début de l’histoire de la multiplication des pains, les disciples s’approchent de Jésus pour lui faire part de leur consternation : de grandes foules suivent les enseignements du Maître, c’est l’heure du dîner et il n’y a rien à manger. Au lieu de leur proposer immédiatement une solution miracle, il est temps de le dire ! – Jésus les exhorte à trouver une solution pour eux-mêmes. Cette phrase est pour moi un défi personnel : comment puis-je prendre ma place de baptisé, « prêtre, prophète et roi », dans l’Église ? Si je ne trouve pas les places dans l’institution telle qu’elle existe, c’est à moi de les créer. Mais il s’agit aussi de nourrir les autres membres de la communauté. En répondant à l’appel du Christ entendu dans la prière et le discernement, j’ai rejoint de nombreuses femmes qui aspiraient, parfois inconsciemment, à la liberté d’expression sur le féminin et sur la spiritualité.