« Une femme qui a des douleurs atroces à la poitrine n’est pas forcément hystérique en crise d’angoisse, s’agace Stéphanie, 54 ans. Je dis à toutes les femmes : la douleur à la poitrine est un signal d’alarme à ne pas négliger. » C’est un peu le leitmotiv de l’association Agir pour le cœur des femmes, pour laquelle cette quinquagénaire a accepté de témoigner.
Le 18 octobre, le bus du cœur de cette association fait escale à Marseille, avant de rejoindre la capitale le 8 novembre. Depuis septembre 2021, ces bus proposent un dépistage cardiovasculaire, métabolique et gynécologique gratuit aux femmes en situation de vulnérabilité. Une des nombreuses façons de sensibiliser la société à un enjeu de santé publique : les femmes sont plus fragiles et moins diagnostiquées que les hommes lorsqu’elles sont touchées par des maladies cardiovasculaires. Comprendre l’insuffisance cardiaque, l’infarctus, l’accident vasculaire cérébral, le « syndrome du cœur brisé »… Pour y voir plus clair, Notre Temps a interviewé Claire Mounier-Véhier, cardiologue et médecin vasculaire au CHU de Lille et co-fondatrice d’Agir pour le cœur des femmes.
Pourquoi les femmes sont-elles sous-diagnostiquées?
Dans l’inconscient collectif, un infarctus est plutôt une maladie humaine. Or, les maladies cardiovasculaires sont en fait la première cause de décès chez les femmes, devant le cancer. « Plus de 200 femmes meurent chaque jour de maladies cardiovasculaires, soit 76 000 patients par an !, souligne Claire Mounier-Véhier. Principalement parce que les femmes ne sont pas vues à temps ou sont insuffisamment traitées. La faute à certains médecins qui sont moins enclins à prescrire un examen cardiaque ou une épreuve d’effort à une femme qui se plaint de douleurs thoraciques. Et qui ignorent les spécificités des symptômes de crise cardiaque chez les femmes. Une étude canadienne (avec 1 000 patients vus aux États-Unis, au Canada et en Suisse) a révélé que 29 % des femmes qui se présentent aux urgences avec une suspicion d’infarctus ont un EEG en moins de 10 minutes, contre 38 % des hommes. Mais quand le cœur s’arrête, chaque minute compte…
Ce retard de diagnostic s’explique aussi par l’autocensure des patients. Premier point : ils consultent tardivement. Une étude réalisée par Axa pour Acting for women’s hearts en septembre 2021 révélait que 77% d’entre elles reportaient au maximum le rendez-vous et 42% n’avaient jamais fait surveiller leur cœur. Une étude suisse portant sur 4 000 patients, dont 1 000 femmes, hospitalisés pour une crise cardiaque montre également qu’il faut 37 minutes de plus aux femmes qu’aux hommes pour appeler les services d’urgence. De plus, ils sont toujours en retrait : « ils s’occuperont de la santé de leurs proches, mais pas de la vôtre », déplore le cardiologue. Troisième obstacle à cette prise en charge : le manque d’accès aux médecins, notamment aux spécialistes, dans les déserts médicaux. « Tout cela génère des déambulations médicales », déplore le cardiologue.
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Quels sont les symptômes auxquels les femmes doivent faire attention?
D’où l’intérêt de faire connaître, tant aux soignants qu’aux patients, les signes qui doivent alerter. Les femmes cardiaques ont souvent des symptômes atypiques. Cependant, ils les ignorent et les minimisent. « Une douleur à la jambe, les gens vont dire que c’est de l’arthrose, de la fatigue, c’est l’âge, des problèmes digestifs, ils pensent qu’ils sont gros, regrette le médecin. En consultation ça fait peur. »
Que doit alerter ? « Dans 1 cas sur 2, ce sont les mêmes symptômes que chez l’homme : douleur, sensation qu’on serre la poitrine, irradie vers le bras et la mâchoire, nuance Claire Mounier-Véhier. On a envie de partir… »
Mais dans l’autre moitié des cas, les femmes auront des signes différents qui sont beaucoup plus difficiles à détecter. Et très variées : palpitations, essoufflement, tiraillements intermittents, transpiration sans raison apparente, douleurs au ventre, au cou, à la mâchoire ou au haut du dos… . Deux symptômes importants avec ces signes gastriques doivent alerter : la sensation d’épuisement d’un effort minimal et l’anxiété », un vrai symptôme qu’il ne faut pas négliger. « Cette petite alarme qui nous dit que ce n’est pas une indigestion normale. »
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Les antécédents gynécologiques, un pan de la vie à ne pas oublier
Mais ces crises cardiaques ne touchent pas n’importe quelle femme. « Les plus à risque sont les fumeurs, ceux qui ont du cholestérol (1 femme sur 2 après la ménopause), ceux qui font de l’hypertension (1 femme sur 2 après la ménopause), ceux qui sont en surpoids (1 femme sur 2 après la ménopause) les femmes ménopausées n’ont pas de facteurs de risque ! »
« Lorsqu’elle entre en ménopause, si la femme n’est pas attentive à son hygiène de vie, une carence en oestrogènes peut provoquer une prise de poids abdominale qui favorise les plaques de cholestérol et la raideur artérielle », précise le cardiologue. chez les femmes de plus de 65 ans, il apparaîtra plus rapidement, car l’artère est plus fine. »
Mais ce n’est pas seulement la date de vos dernières règles qui compte pour savoir si vous êtes à risque de crise cardiaque. Toute votre histoire gynécologique peut avoir un impact : quelle pilule contraceptive vous avez prise et pendant combien de temps, vous avez eu des grossesses multiples, un diabète gestationnel, une endométriose… avec vos médecins. « Quand je demande à une femme de 70 ans quand elle a eu ses premières règles, elle me dit : ‘C’est trop loin !’, avoue Claire Mounier-Véhier. Elle aime utiliser cette analogie pour expliquer clairement aux patients : ‘Le risque c’est comme un panier, vous y mettez vos antécédents cardiaques, vos antécédents gynécologiques, votre équilibre actuel, votre poids, votre taille, vos chiffres de tension artérielle… En fonction de votre panier, je choisis le bon examen qui conditionnera le bon de réduction qu’est la prescription. le but est que vous payiez le moins possible !” Car en ce moment, la facture reste élevée pour les femmes, souvent victimes d’infarctus.
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Pourquoi les femmes sont-elles moins bien traitées?
Une fois le diagnostic posé, le traitement trouvé, ils ne sont toujours pas tirés d’affaire… « Les sutures sont plus compliquées, les ponts, la greffe du cœur aussi, car les artères sont plus fines », explique Claire Mounier- Véhicule. , les outils étaient dimensionnés pour les hommes. Mais avec l’augmentation du nombre de femmes souffrant d’infarctus, il a fallu adapter principalement les stents, ces minuscules tubes expansibles qui maintiennent l’artère ouverte et que l’on implante lors d’un pontage. « La miniaturisation a été faite », assure le cardiologue.
« Les dossiers épidémiologiques montrent qu’elles n’ont pas la même prescription que les hommes pour la même pathologie, ce n’est pas normal. Nous sommes plus exigeants sur les contraintes que nous imposons aux hommes ! » C’est aussi la faute des patients, qui auront du mal à suivre un traitement lorsqu’il n’est pas bien dosé. « Beaucoup de femmes ne viennent pas en cure, mais c’est le moment où on réajuste le traitement », insiste-t-il. Avec deux risques : soit ils arrêtent d’eux-mêmes certains médicaments car ils provoquent des effets secondaires, soit ils suivent le traitement à la lettre, mais avec un dosage insuffisant.
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Pourquoi meurent-elles davantage que les hommes de crise cardiaque?
Une étude de 2017 a révélé que les femmes, un an après une crise cardiaque, étaient plus susceptibles de mourir que les hommes. Logique dès lors qu’on sait qu’ils sont moins bien diagnostiqués, moins bien soignés. Et qui ont adopté les mêmes (mauvaises) habitudes que les hommes : tabac, sédentarité, stress…
De plus, des études épidémiologiques ont prouvé que le tabac, le cholestérol, le stress, le diabète sont plus toxiques pour les artères des femmes que pour les hommes. « Le prix à payer pour une femme qui s’expose à des facteurs de risque est plus important, mais à l’inverse, modifier son hygiène de vie est plus efficace que pour un homme !, précise le médecin.
Enfin, « quand une femme tombe au sol, on pense à un malaise vagal et non à un arrêt cardiaque : des études montrent qu’elle est moins massée qu’un homme, insiste le cardiologue. Et en plus, elle a des seins ! » De nombreux témoins n’osent donc pas déshabiller une femme et toucher son sein pour lui sauver la vie. « De plus, les modèles sur lesquels nous nous entraînons sont toujours des hommes. Nous avons donc ajouté un soutien-gorge, pour que les gens s’entraînent et n’aient plus à toucher les seins d’une femme au sol. »