Les articles précédents de la série nous ont montré qu’une législation sur le lobbying en cours d’élaboration est généralement payante. La désinformation est parfois plus efficace que la persuasion. L’utilisation des médias et la production de fake news contribuent au succès d’un nombre croissant de campagnes de lobbying.

Incliner la sphère publique, un lobbying à la source

Une campagne de lobbying efficace ne cible pas toujours uniquement les décideurs politiques. Une manière pertinente d’éluder les décideurs politiques est d’influencer directement l’opinion publique, une manœuvre qui vise à conditionner la prise de décision publique. En tant que moyen de diffusion d’idées et d’informations, les « laboratoires d’idées » ou groupes de réflexion occupent une place prépondérante dans l’espace médiatique européen. Le petit nombre de médias paneuropéens et leur modèle économique offrent une place de choix aux think tanks de la bulle européenne.

Ces think tanks n’ont pas vocation à remplir un rôle de lobbying, mais le besoin de visibilité et le mouvement d’institutionnalisation des think tanks ont favorisé une forme de spécialisation. Ces laboratoires ne défendent pas nécessairement des intérêts commerciaux mais embrassent au contraire une vision de la société. Cette ligne contribue à la fois à justifier la singularité de chacun des think tanks et à biaiser le contenu de certaines publications. Les think tanks occupent une position en dehors du lobby et des médias. Ils n’exercent pas leur influence directement sur les décideurs politiques, mais sur l’opinion publique.

Avisa partners, le lobbying par la désinformation

Certains acteurs, aux dénominations vagues – agence de communication, conseil en intelligence économique ou encore agence d’influence – ont investi. En plein essor depuis plusieurs décennies, le business de l’influence est sans cesse à la recherche de nouveaux espaces à défricher. L’influente agence parisienne « Avisa Partners » se présente sur son site comme « une société d’intelligence économique, de commerce international et de cybersécurité ».

Une pratique différente du lobbying, dans la mesure où les employés de ces agences ne sillonnent pas les couloirs du Parlement européen et n’obtiennent pas de rendez-vous avec les fonctionnaires de la Commission. Les pratiques d’Avisa Partners sont au mieux discutables, au pire choquantes. Révélées par le quotidien Fakir et corroborées par une enquête de Médiapart, les méthodes d’Avisa Partners reposent sur un vaste réseau de production d’informations et d’infiltration médiatique. La production d’informations est la stratégie adoptée par Avisa Partners pour satisfaire les demandes de ses clients, clients allant des grandes entreprises françaises et internationales aux Etats non démocratiques (Kazakhstan, RDC, Qatar, etc.). Cependant, la rubrique « éthique » du site d’Avisa Partners précise qu’elle ne vend pas ses services à n’importe qui : « Avant chaque nouvel engagement contractuel, Avisa Partners se réunit avec son comité d’éthique pour valider la possibilité que le groupe de s’engage dans une nouveau client ou une nouvelle mission.

Fakir et Mediapart exposent les méthodes utilisées par Avisa Partners pour façonner l’information sur des enjeux cruciaux pour leurs clients. Car oui, les commandes sont similaires à celles reçues par les consultants en affaires publiques pour une campagne de lobbying classique. Seulement ici les lobbyistes ne le sont pas. Avisa Partners commande les articles directement auprès des journalistes, sans hésiter à les modifier ultérieurement en fonction de la commande reçue. Le but? Inonder les médias d’informations favorables au parrain. Tribunes, publications sur des sites participatifs (les blogs Mediapart, Le Figaro, Huffington Post, etc.) ou encore lettres de lecteurs, les manières d’investir l’espace médiatique sont multiples. Dans un reportage pour Complément d’Enquête, Sylvain Pak recueille le témoignage d’un journaliste qui a écrit des centaines d’articles, tous mis directement au service d’EDF. La précarité croissante des jeunes journalistes facilite l’embauche de rédacteurs (rémunérés entre 60 et 150 euros par article).

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Ces contributions ne sont pas de simples commandes, certains articles sont intentionnellement trompeurs et en fait inexacts. Mediapart recense plus de 600 fausses contributions postées par de faux profils qui se présentent généralement comme des experts dans leur domaine (cadres, universitaires, scientifiques, etc.). STOP SUR IMAGES découvre même, au cours de son enquête, l’existence de faux médias, liens privilégiés de la société de désinformation créée par Avisa Partners. Une pratique troublante tant sa force de conviction dépasse l’entendement. Car l’usine à fausses informations ne connaît pas que des motivations commerciales.

Le marché du référencement et de l’information

La pratique du lobbying évolue rapidement, au point d’investir continuellement dans de nouveaux espaces. L’écriture fantôme s’avère être un excellent moyen de gagner en visibilité et d’occuper l’espace public. Une pratique qui résonne avec celle du netlinking.

En particulier, bénéficier d’un maximum de liens vers un site contribue au bon référencement de ce dernier. La présence de ces liens dans le maillage texte permet d’offrir un meilleur référencement (optimisation des références dans les moteurs de recherche) pour le client. En travaillant son référencement SEO, un site améliore forcément sa visibilité. Le SEO représente aujourd’hui un enjeu décisif pour un lobbying efficace. Un bon référencement assure la notoriété, mais aussi une reprise des arguments développés par le site en question.

C’est particulièrement le cas pour une société de charter de jets privés qui a utilisé l’écriture fantôme et le réseautage pour conduire leur recommandation. « J’ai travaillé pour une compagnie d’aviation privée afin d’améliorer leur référencement naturel. Le but était d’améliorer leur position dans les résultats des moteurs de recherche, en écrivant des articles contenant un lien Internet vers le site de l’entreprise », témoigne un ancien collaborateur. Il n’est pas journaliste et a été embauché principalement en raison de sa maîtrise de l’allemand « J’ai reçu une offre à laquelle j’ai postulé en un seul clic. L’offre était assez intéressante et bien payée à 10 centimes le mot, le prix élevé payé pour un traducteur ».

Non signés, les articles s’apparentent à une communication qui sert directement les intérêts de l’entreprise « Les sujets des articles étaient divers et variés, mais ils n’avaient pas de réel intérêt et fonctionnaient comme des coquilles vides. » Tous les articles demandés ont pour but de mettre en valeur cette compagnie de jets privés, notamment en faisant la promotion des prétendus bienfaits du carburant propre. « Il a simplement été écrit dans un allemand correct afin que l’algorithme de référencement de Google assimile les hyperliens vers la compagnie aérienne aux titres des sujets d’articles. »

Un lobbying indirect qui démontre l’existence d’un véritable marché de l’information. Les médias numériques sont au cœur de cette stratégie avec le risque particulier de s’appuyer sur de faux médias. Dans ce cas, les sites sur lesquels les articles étaient publiés n’étaient souvent que des façades, échangeant leur visibilité pour héberger des articles.