Perché sur l’une des falaises spectaculaires de la vallée du Rift, à environ 2400m d’altitude, le village d’Iten, dans le monde de la course à pied, est plus qu’un simple village de coureurs au Kenya. C’est un mythe. Championne de France de double de cross-country (2021 et 2022), Manon Trapp est actuellement sur place pour réaliser un rêve à double face : fouler le sol d’un champion d’athlétisme et mener des enquêtes de terrain liées à ses études de Master. Montagnes à l’Université Savoie Mont-Blanc. Le demi-fondateur américain d’Aix-les-Bains a accepté de partager son quotidien avec les lecteurs du Stade. Pour son quatrième et dernier carnet, il relate son séjour de cinq semaines avec une pointe de nostalgie.

Dans mon questionnaire adressé aux sportifs étrangers venus s’entraîner à Iten, je posais cette question : si vous aviez une baguette magique, qu’ajouteriez ou modifieriez-vous à votre séjour ? La réponse la plus répétée est : « Je veux rester plus longtemps ». Comment l’expliquer ? Peut-être parce que l’exposition à l’altitude met du temps à s’adapter. Mais cette affirmation exprime surtout un attachement sentimental au lieu et au mode de vie qui s’est développé à Iten. Dans cet autre espace-temps, nous nous permettons d’avoir du temps, de courir et de nous reposer, de discuter et de rencontrer d’autres personnes, de faire et de ne penser qu’aux choses qui comptent. Nous avons vite été emportés par la mentalité locale, qu’un Kényan a très bien résumée pour moi par : « Je ne pense pas à demain », qui est de s’inscrire corps et âme dans le présent. Cette idée nous séduit et dès qu’on essaie ce rythme simple, le cœur l’adopte et l’idée de s’en séparer est déprimante. Le rythme de vie est déterminé par la nature, les saisons et les tâches à accomplir, peu importe l’horaire. Une grande partie de cela a à voir avec le fait de grandir dans un milieu rural. Je pense que dans ce parcours sportif il y a une forme de retraite spirituelle en libérant le corps et les contraintes du quotidien. On prend le temps de se laisser surprendre et de se surprendre. Nous laissons ensuite le pas et l’esprit s’échapper sur le chemin du murram, le sol de gravier de fer qui devient l’objet d’une longue méditation. Nous avons apprécié les rituels partagés par tous les coureurs venus à Iten : courir, manger, dormir. Bercé par les heures du lever et du coucher du soleil. S’il y avait un endroit magique à Iten, c’était au pied d’une pente raide, quand le soleil était faible. Au View Point Café, nous avons bavardé tout en surplombant la vallée de Kerio, sauvage à sa base, où les sentiers sont minimes. Le temps passe et en même temps vieux seules des falaises qui s’étendaient sur des kilomètres s’étendaient dans toute la vallée. Cela ressemblait à un énorme nuage projetant son ombre, mais ce n’était pas le cas. Seul le signal de la nuit qui approchait et annonçait que la belle journée sportive était terminée.

Aller à Iten, à mon avis, c’est comme écrire quelques pages de son propre roman d’initiation en tant que coureur de moyenne ou longue distance. Les hauts plateaux kenyans nous enseignent de nombreuses valeurs dont l’esprit collectif, l’humilité, le dépassement de soi et l’écoute de soi… Beaucoup disent qu’Iten est un incontournable dans la vie d’un coureur passionné. Vous pouvez en apprendre beaucoup sur le monde en courant. Corps élancés sur les chemins, les rues, entre les champs ou les maisons, nous quittons la lumière à la rencontre d’autres univers que nous découvrons à travers cette locomotion ancestrale. L’expérience de voyager à travers la course, avec les simples faits de la course, offre la possibilité de tout absorber et offre la possibilité de passer du temps en contact avec l’environnement et les personnes qui l’habitent. Ce n’est pas comme dans une voiture où l’on est coupé de l’extérieur, en ne faisant que traverser, ou en ne s’arrêtant qu’à certains points, là on est complètement immergé dans l’espace. Ainsi, en restant quelques semaines sur le site, il a été possible de distinguer de mieux en mieux les traits du visage d’Iten, jusque dans les moindres détails. Petit à petit, on commence à comprendre de mieux en mieux son caractère, unique en son genre. Iten devient comme une personne que nous rencontrons régulièrement, et nous finissons par vraiment l’apprécier.

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Pour ma part, je suis content d’avoir vécu cinq semaines de pur bonheur perché en hauteur, à courir en toute liberté. Je peux prendre le temps de m’entraîner, découvrir, habiter le petit Kenya parfois, profiter au maximum de cette aventure humaine multiculturelle. Ce n’est qu’un adieu, car comme beaucoup d’étrangers qui ont mis les pieds ici, ils reviennent le mois ou l’année qui suit, poussés par un appel mystique de ce coin du monde extraordinaire. J’ai certainement ramené chez moi des souvenirs qui resteront gravés à jamais, et côté matière mes chaussettes et chaussures blanches sont tachées de terre ocre, qui a été usée par des kilomètres de voyage et dont les semelles sont pleines d’histoires. Dans ma valise un peu de farine d’ugali et de fruits exotiques pour emmener mes proches en voyage, pour ramener un petit goût du Kenya en France mais je ne manquerai pas de leur dire que ce n’est qu’un aperçu de l’artificiel, il faut aller chez C’est connaître l’ambiance, sentir les odeurs et la poussière, partager le quotidien des locaux, même de leurs propres yeux. Parce qu’on peut raconter avec des étoiles dans les yeux des histoires ponctuées d’anecdotes, illustrées de photos, rien ne remplace l’expérience humaine que chacun chez Iten peut vivre.

Je tiens tout particulièrement à remercier Jean-François Pontier pour son encadrement, son soutien et son organisation toujours au top, ainsi que son aide précieuse à mon mémoire de recherche. Un grand merci également à tous ceux qui voudront bien répondre à mes questions. Une pensée également à tous les coureurs que j’ai rencontrés, avec qui j’ai partagé de superbes séances, qui me poussent vers le haut dans une envie commune de m’entraîner au mieux de mes capacités.

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Crédit photo : Alanis Duc, Romain Meunier et Manon Trapp