« C’est toujours cruel de savoir qu’une brasserie va fermer, surtout en Alsace, regrette Dominique Baudendistel, président des Brasseurs d’Alsace. C’est très difficile à accepter sachant que Heineken l’Espérance existe depuis 50 ans. Depuis l’annonce du projet de fermeture de la brasserie de Schiltigheim d’ici trois ans, les réactions sont aussi vives que l’amertume d’un véritable désarroi. Les élus locaux de tous bords dénoncent cette décision et soutiennent les 220 salariés dont l’emploi est menacé. Sa production annonce-t-elle la bière de l’influence de la boisson made in Alsace en France ?

Plus qu’une question « d’honneur », ce sont, pour l’heure bien sûr, les répercussions économiques qui inquiètent élus, syndicats et brasseurs. Ce projet de sortie « fragiliserait le tissu économique de la cité brassicole historique, dénonce la Fédération PCF du Bas-Rhin, et fragiliserait la filière brassicole de notre région en licenciant des centaines de salariés dans un contexte de crise économique ». D’autres s’inquiètent davantage d’une nouvelle disparition symbolique sur le territoire bas-rhinien, suite à l’annonce du siège d’Adidas à Strasbourg, qui serait un signe de manque d’attractivité.

Une crise, mais pas la première dans le monde de la bière en Alsace, qui a même connu une période plus critique avec des fermetures successives, dans l’ordre, des bières Mutzig, Adelshoffen, Schultzenberger-Fischer. « Une période de vide avec des fleurons qui ferment et sans relève derrière, pas même les brasseries artisanales qui font aussi partie du décor aujourd’hui », rappelle Dominique Baudendistel, également PDG de la brasserie Licorne. Une brasserie basée à Saverne (Bas-Rhin), la troisième avec l’équivalent de 400 millions de demi-produits par an.

Ce dernier rappelle que Heineken, avec sa grande enseigne sur la tour qui surplombe la ville de Schiltigheim, finit par avoir « une image très internationale. Je pense qu’il y avait un plus grand attachement régional aux brasseries comme Schützenberger. La résonance ne sera pas la même. Mais si le fait est que 220 emplois, dans une brasserie alsacienne, sont menacés », insiste-t-il. « Mais l’image de Heineken, une usine à Schiltigheim, ne mettra pas en péril la pérennité du monde des brasseries en Alsace. Parce qu’il y en a d’autres, et que la plus grande brasserie de France, Kronenbourg, est en Alsace, à Obernai, il y a La Licorne à Saverne, Météor à Hochfelden et de nombreuses microbrasseries ou brasseries artisanales de taille moyenne, qui comptent beaucoup aujourd’hui ».

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La plus grande région brassicole de France

Si pour le président des brasseurs d’Alsace ce départ est évidemment un mauvais signe, il rappelle que l’Alsace restera la plus grande région brassicole de France. « Mais ce sera en dessous du niveau de 50 % de la production nationale. C’est une barre un peu symbolique que nous avons réussi à maintenir pendant de nombreuses années malgré les fermetures successives », a déclaré le président. «Là, le volume va baisser car Heineken c’est 1,5 million d’hectolitres par an, l’équivalent de 600 millions de demi-bières. Jusqu’à présent, nous étions, selon les périodes, entre 55 et 57 % de la production en France. La participation de Heineken est forte. Nous allons donc passer sous la barre des 50 %, mais nous avons encore beaucoup de marge de manœuvre pour rester la première région brassicole de France. »

Pour autant, ce départ annoncé de Schiltigheim dans trois ans devra tenir compte de la forte mobilisation qui s’opère. Et quelques espoirs naissent. En effet, Heineken évoque la création d’une microbrasserie Fischer à Schiltigheim, même si la quantité de bière produite sous cette marque ne correspond pas vraiment à une microbrasserie, mais plutôt à une brasserie de taille moyenne. Dans le monde de la bière, on parle aussi d’un « projet intéressant » qui serait en cours, près de Schiltigheim…

En tout cas, le départ d’une grande brasserie « comme si elle n’avait pas été créée depuis longtemps » doit rendre nécessaire « de fédérer davantage la communauté brassicole alsacienne », conclut le président des brasseries. La particularité de l’Alsace c’est aussi d’avoir ce mélange entre de très, très grands groupes et des brasseries indépendantes de taille moyenne, des brasseries artisanales. Et c’est une richesse forte. 🇧🇷