Posté

le 30/08/2022 à 07:00

Découvrir les origines du développement personnel et comprendre ses conséquences sur nos sociétés contemporaines, tel est l’enjeu du documentaire pédagogique d’Arte, L’Entreprise du bonheur, le mardi 30 août à 20h50.

Un marché de 3 milliards de dollars

« Souriez à la vie et la vie vous sourira », « chaque jour est une nouvelle opportunité » ou encore « le bonheur est en vous », autant d’aphorismes qui boostent notre psychisme de manière positive. Shelfhelp (s’aider soi-même) se traduit par le terme « développement personnel », qui montre cette idée que l’on peut trouver en soi des ressources de bonheur et de bien-être. Le Business du bonheur, documentaire très complet réalisé pour Arte par Jean-Christophe Ribot, retrace l’histoire de cette pensée positive, nouveau mantra de nos sociétés occidentales.

Rendre les gens heureux est devenu un métier légitimé par l’expérience personnelle d’un self-made man et d’une entreprise rentable. Anthony Robbins, l’un des entraîneurs les plus célèbres au monde, facture entre 6 000 et 10 000 dollars dans ses séminaires d’une semaine, pour un service psychologique fourni. 70 000 formateurs seraient officiellement répertoriés dans le monde pour un marché représentant 3 milliards de dollars.

Lisez également un manuel de pensée positive pour survivre à la rentrée

Un pied de nez à Freud et à l’étude des névroses

Les coachs sont désormais en concurrence avec les youtubeurs : l’arrangement heureux de la Japonaise Marie Kondo, les conseils de Lise Bourbeau et l’attitude positive de Lena Panic situations des réseaux sociaux et de l’édition. On peut apprendre à devenir un être humain archétypal extrêmement heureux. Rien qu’aux Etats-Unis, on dénombre plus de 80 000 références sur le sujet, précise-t-on dans L’affaire du bonheur, sur Arte.

Le développement personnel n’est pas qu’une mode. Elle s’appuie sur la véritable science de la psychologie positive lancée par Martin Seligman, chercheur et professeur d’université américain, grand spécialiste de la dépression. En rupture avec le freudisme, la psychologie positive tente de pallier le manque de résultats concrets de l’étude des névroses et des traumatismes de l’enfance. Donald O. Clifton, professeur de psychologie, a fait fortune avec une méthode qui permet de développer ses 5 forces intérieures parmi les 34 proposées. Commercialisée par la société de gestion Gallup, son approche psychologique a été adoptée par 90% des 500 plus grandes entreprises américaines qui valorisent le sens des responsabilités et du leadership.

À Lire  Vous ne devinerez jamais jusqu'où Lidl peut vous emmener en voyage

Lire aussi Julia de Funès : « La tour entre deux tours ou la majesté des brutes »

Quand le BIB nargue le PIB

La psychologie positive trouve aussi son développement dans l’éducation des enfants. La psychologue et enseignante Lea Waters a mis en place des techniques qui permettent aux enfants de mettre des mots sur leurs émotions pour mieux les identifier et pouvoir les réguler.

En Europe, le concept de psychologie positive s’est infiltré dans la gestion d’entreprise, gérant l’humeur et le bonheur des employés qui apparaît comme un investissement pour une meilleure productivité. Le directeur du bonheur représente le visage heureux de l’entrepreneuriat. Si le documentaire d’Arte donne la parole au psychiatre Christophe André, chanteur de psychologie positive, il fait aussi place à la critique. La sociologue Éva Illouz, auteure de Happycracy, tempère l’enthousiasme : « Cette positivité est un autre nom pour la sagesse et la discipline. Nous acceptons, et grâce à l’alchimie du positivisme, nous voyons même des opportunités de se développer et de prospérer.

Philosophe et auteure de Développement personnel (Im) – La réussite d’un simulacre, Julia de Funès explique : « Il n’y a rien de plus impersonnel que le développement personnel. Elle s’appuie toujours sur le même ressort psychologique, ce que Freud appelait « le narcissisme des petites différences ». On vise l’accomplissement par des artifices joyeux : poufs colorés, toits végétalisés, baby-foot, smoothies bio… On noie la négativité avec « Language Soupline », en adoucissant la réalité avec des mots doux ».

Martin Seligman a trouvé un puissant allié en Grande-Bretagne, en la personne de Sir Richard Layard, économiste et fondateur du CEP (Centre for Economic Performance) qui a réussi à inscrire le bien-être dans les statistiques nationales. L’indicateur PIB (Produit Intérieur Brut) est désormais aligné sur le BIB (Bonheur Intérieur Brut). Paradoxalement, la détresse psychologique au travail et les cas d’épuisement professionnel n’ont jamais été aussi nombreux.