Tanguy Châtel, sociologue, est l’auteur de Vivre jusqu’à la mort. Accompagner la souffrance spirituelle en fin de vie, Albin Michel, 248 pp., 19 €.
La croix : « A quoi bon », « Autant en finir »… Ces mots expriment, selon vous, une affliction spirituelle. Que veux-tu dire ?
Tanguy Châtel : La souffrance spirituelle est une notion admise dans le cadre général des soins palliatifs. Si l’on part de l’étymologie, « spirituel » vient de « souffle ». Par ailleurs, le mot « religion » vient de relegere, qui signifie « relire », mais aussi de religare, « relier ». La souffrance spirituelle tourne autour de ces deux notions de continuer à ressentir le souffle et la connexion. Au moment du dernier souffle, qu’est-ce qui donne souffle à la vie ? Comment est-ce que je me sens connecté à moi-même, aux autres, à Dieu peut-être ?
Comment répondre à ce trouble ?
T. C. : La souffrance spirituelle n’est pas une souffrance à laquelle on met fin, mais une souffrance qu’on traverse, accompagnée. La première condition est de soulager la douleur physique de la personne, car la douleur prend toute la place quand ça fait mal. Alors la souffrance spirituelle est beaucoup plus facile à gérer que vous ne le pensez. Il éveille une qualité de présence qui nous permettra de profiter encore de quelque chose de très profond dans l’existence. La fin de vie n’est pas un temps mort. La personne peut encore vouloir donner un sens à sa vie in extremis, non seulement sur le plan philosophique, mais en faisant l’expérience de ses sens et de ses affects, toucher, odorat, tendresse… Parfois des personnes témoignent que ces derniers instants ont, pour eux, le plus de valeur car ils y ont vécu une réconciliation ou fait des découvertes incroyables.
Comment réduire davantage cette souffrance aujourd’hui ?
T. C. : L’important est de développer correctement les soins palliatifs. Aujourd’hui, la moitié des personnes qui devraient recevoir des soins palliatifs n’en reçoivent pas. Du coup, les gens sont mal accompagnés et l’image odieuse de la fin de vie que cela perpétue conduit à des appels à la légalisation de l’euthanasie.
Une telle légalisation bloquerait la surprise du lendemain. L’expérience des soins palliatifs montre que de nombreuses personnes ayant demandé l’euthanasie, dès que leurs souffrances sont soulagées, trouvent de bonnes raisons de vivre le lendemain et le surlendemain, avec des choses très simples comme profiter d’un ciel bleu ou de la visite d’un petit-enfant .
Certains pensent qu’une fois l’euthanasie planifiée, les étapes qui la précèdent peuvent ajouter une dimension spirituelle supplémentaire à la fin de vie. Je suis plutôt en désaccord avec cette vision car je la trouve très programmée. Quand on programme sa mort, on a l’idée que sa vie ne sera plus intéressante, qu’elle ne pourra plus être une source de surprise. Mais si nous revenons à l’expérience du souffle, la dimension spirituelle est intrinsèquement celle qui va nous surprendre. Le souffle ne se maîtrise pas, il est le bienvenu.
PODCAST – « Le métier de croque-mort »