Sortant d’une audience du pape François au Vatican le 14 novembre, l’écrivain franco-belge Éric-Emmanuel Schmitt l’a assuré : « La littérature est un pont de sens, et peut-être de foi. Un moment intime, un moment d’introspection, de lecture peut vraiment s’avérer être un lieu de rencontre avec Dieu ou d’éveil spirituel.
L’écrivain catholique a-t-il une responsabilité et la foi donne-t-elle une mission dans l’univers littéraire ? Le journaliste et chroniqueur Michel Cool croit fermement « au pouvoir des auteurs aujourd’hui dans le domaine de l’évangélisation ». Face à un public « en désarroi » et à une civilisation « en grande mutation », il voit même un « formidable défi » pour les auteurs chrétiens : « marquer la rupture avec le bavardage ambiant, les invectives, les mots creux, une saturation des mots qui perdent leur Ecrire pour que la parole soit entendue, et non le bruit ». Celui qui organise aussi des retraites monastiques annuelles pour journalistes et écrivains va encore plus loin dans la responsabilité de la plume : « Nous n’écrivons pas pour nous-mêmes. L’auteur chrétien écrit à transmettre, il est mû par un besoin brûlant de communiquer ses raisons d’espérer avec des mots « qui ont du sens, qui apportent de la lumière, de la profondeur ».
Refus d’une propagande au service de la foi
Docteur en lettres et écrivain, Claire Daudin se montre plus prudente, refusant de faire de l’évangélisation le but de la littérature. « Exprimer sa foi, témoigner du sens qu’elle donne à sa vie, comprendre le monde, s’engager pour l’histoire : oui. Mais pas forcément « en vue de » », précise le spécialiste Charles Péguy. « Généralement », note-t-elle, « les auteurs s’efforcent d’écrire des livres qui reflètent leur monde intérieur ». En ce sens, Bernanos a refusé d’appliquer des « méthodes de propagande » au service de la religion ». Claire Daudin insiste sur le témoignage libre de la foi. « Ou plutôt, ça coûte cher », corrige-t-elle, citant l’exemple de Péguy, qui subit « l’incompréhension de ses proches, le ridicule de ses adversaires, et les félicitations dont il se passerait ».
Cependant, elle reconnaît qu’une rencontre spirituelle peut avoir lieu autour d’un livre : « Une œuvre littéraire peut accompagner les lecteurs dans leurs épreuves de toute nature, exprimer les mots de leur souffrance, les projeter dans l’intrigue, les personnages, les propres émotions de l’auteur. « Alors cet ancien commissaire de police qui a prétendu que Péguy ‘sauvait sa vie' », évoque-t-elle. « Quelle a été sa tragédie ? Quel texte a-t-il lu ? Peut-être a-t-il été ranimé par la flamme de l’espoir de la petite fille, « tremblante à tous vents, troublée au moindre souffle » ? C’est son propre mystère, que Péguy ne pouvait prévoir. »
Les mots peuvent guérir, soulager, caresser
Si l’on dit que les mots tuent, « ils peuvent aussi guérir, soulager, pardonner », ajoute Michel Cool. Beaucoup ont été sauvés par la bibliothèque ». Mais pour que la littérature puisse créer des passerelles vers la soif spirituelle qui s’exprime dans la société, une nouvelle génération d’écrivains doit inventer une nouvelle manière de « raconter l’aventure chrétienne », selon l’ancien éditeur. « Nos paroles sont sans doute fatiguées aujourd’hui, nous ne pouvons plus rien dire, véhiculer l’enthousiasme chrétien. Mais malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile, et j’ajouterai : si je n’annonce pas l’Evangile avec des mots qui touchent, qui parlent. Je peux encore écrire, mais si je ne transmets rien, c’est pour rien, c’est une langue morte. Michel Cool note que s’adresser à un public de masse déchristianisé demande « beaucoup de travail, d’humilité, d’exigence, pour être à la portée de ceux qui nous liront ». Il s’agit de « connaître nos contemporains, afin d’aller les comprendre dans ce qu’ils recherchent, et d’être en empathie avec ce monde ».
Claire Daudin, pour sa part, est favorable à laisser toute la liberté au lecteur et à l’auteur, sans enfermer les livres dans l’étiquette « catholique ». « La littérature, comme tous les arts, échappe au dogme, elle n’est jamais seulement confessionnelle, et si elle l’est, elle ne prétend pas l’être », explique-t-elle. Un livre, une chanson peut nous mettre en contact avec Dieu, mais pas nous présenter telle ou telle Église, telle ou telle religion ». Se référant au journal d’Etty Hillesum (1914-1943), Une vie perturbée, les écrits mystiques d’une jeune femme juive qui n’a reçu aucune éducation religieuse, Claire Daudin ajoute : « Le Dieu qu’elle trouve au fond d’elle-même, qui lui fait trouver « la vie est belle » malgré les affres du temps et le conduit au don de lui-même en soutien à ses semblables dans le camp de Westerbork, c’est celle de la Bible, celle de Dostoïevski et de Rilke, les auteurs qu’elle lit. qui ne peut pas l’aider, mais qu’elle aidera à survivre dans les cœurs humains.
Avec le Saint-Esprit qui fait feu sur tous les cylindres, même une lecture qui semble éloignée des valeurs chrétiennes peut « provoquer la conversation et paradoxalement être évangélique », proclame la libraire Anne-Sophie Chauvet, auteure de livres pour la jeunesse. Dans ce mystère de la littérature, Michel Cool accorde une place particulière aux poètes qui, sans théoriser ni créer d’idéologie, peuvent toucher la beauté et la sensualité de leur art. « Il y a une voie royale pour le christianisme là-bas. Il faut trouver un langage qui parle au cœur, au corps, aux sens, et non plus un langage sec, une doctrine planifiée, devenue comme un arbre sec ». Michel Cool rêve tout haut d’un petit prince chrétien, qui touchera le public avec des mots simples, puisque l’écrivain est un croyant qui « n’en sait pas beaucoup plus que les autres » mais qui « veut partager l’amitié qui l’aide à vivre et fait lui heureux ».
Le meilleur conseil pour les lecteurs et les écrivains en herbe ? « Lis ce que tu veux, ce qui t’attire, ce qu’un ami te recommande… Il n’y a pas de frontières en littérature, ni spatiales, ni temporelles, ni religieuses ! « , raconte Claire Daudin. En tout cas, insiste-t-elle, « on n’écrit pas forcément pour notre temps ; plus souvent vos contemporains vous comprennent mal ou ne vous comprennent pas. C’est pas sérieux. La littérature est constituée d’œuvres qui ont traversé le temps et trouvent des échos dans le présent.
Salon Littéraire Ecriture Sainte & Spiritualités se déroule le dimanche 27 novembre à l’Hôtel de Ville du 6ème arrondissement de Paris, de 14h à 18h. Aux côtés de l’invité d’honneur, l’écrivain Louis-Philippe Dalembert, plus de 70 auteurs dédicaceront leurs livres, dont Gaële de la Brosse, Jean Lavoué, Olga Lossky, Anne Soupa, Guy Aurenche, Colette Nys-Mazure.
La table ronde portera sur « La spiritualité des femmes » à 15h30.
À lire
→ Un essai dans lequel Claire Daudin éclaire la manière dont une personne peut vivre son engagement chrétien et sa vocation d’écrivain : Dieu a-t-il besoin d’un écrivain ? Péguy, Bernanos, Mauriac (Ed. du Cerf, 2006).
→ La page où Charlotte Jousseaume présente ses livres et annonce les ateliers d’écriture qu’elle anime : charlotte-jousseaume.fr
→ Sur son blog, Anne-Sophie Chauvet partage son amour des livres et ses meilleures lectures, notamment pour les plus jeunes : Mabibliothequeideale.fr