Vous ne regarderez plus l’étang de Corra à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) de la même manière. Cette promenade est le point de rencontre des libertins de la région.
Pour les non-initiés, l’étang de Corra, dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), est un lieu de promenade, apprécié pour sa quiétude et la beauté de son paysage. Parfait pour se détendre en famille. Pour un petit cercle d’initiés, c’est aussi et surtout un lieu de plaisir sexuel, où l’on se tient discrètement derrière un arbre, avant de reprendre sa journée comme si de rien n’était.
Un lieu de drague discret
Situés en bordure de la N184, ces 16,5 hectares abritent un grand étang entouré d’un chemin et d’une forêt. Les deux parkings à l’entrée accueillent des dizaines de libertins tous les jours, de jour comme de nuit. Le site, répertorié sur le site lieudedrague.fr parmi 10 000 autres adresses en France, dont plusieurs dizaines dans les Yvelines (voir encadré), est très fréquenté. Sa notoriété dépasse même les frontières du département.
Ce qui attire votre attention au premier abord, c’est que vous y rencontrez beaucoup d’hommes célibataires. « Marcher », « faire du jogging », « faire du vélo », « promener le chien » sont des explications de leur présence ici, pour leur entourage et pour celui qui leur pose la question. En observant un peu, on se rend compte que la plupart d’entre eux ont une idée en tête.
« Il vient depuis un moment, il fait beaucoup de vélo. Mais quand il peut jouer discrètement, il joue. Beaucoup de motards viennent ici pour flirter avec d’autres hommes », décrypte pudiquement Patrick (tous les noms dans cet article), un habitué bisexuel de Corra, parlant d’un vieux monsieur à vélo dans les bois.
Le parking sur la droite est principalement fréquenté par des homosexuels. A toute heure, des hommes attendent dans leurs voitures, tandis que de petits groupes discutent ici et là sur l’asphalte. Lorsqu’ils concluent, il reste à l’abri des regards indiscrets, dans la forêt adjacente, après une petite partie de cache-cache le long des chemins forestiers. Des emballages de préservatifs abandonnés témoignent de l’activité.
« C’est une façon de rencontrer les autres », explique Anthony, 33 ans, qui habite près de Mantes-la-Jolie. Je cherche des gars de mon âge, mais la moyenne ici est élevée. »
Bisexuels qui s’ignorent ou simples opportunistes ? Étonnamment, une partie importante de ceux qui consomment se définiraient comme hétérosexuels. « Lundi j’ai rencontré un homme marié dans une grosse berline. Il voulait un petit cadeau avant de rentrer chez lui, confiait il y a quelques semaines Serge, retraité gay de 68 ans et habitué de longue date. Beaucoup sont frustrés, non ils n’ont plus rien à la maison. Ils se voient dans l’alliance, dans le siège auto de l’enfant. »
Fréquenté par beaucoup d’hommes mariés
Mathieu, en pleine séparation de sa femme, est l’un d’entre eux. Vendredi, il a passé l’après-midi et la soirée sur ce parking, dans sa voiture à écouter de la musique, à boire des bières et à sniffer de la cocaïne. « Beaucoup viennent ici pour chercher des partenaires et se retrouvent avec des hommes », s’amuse le quadragénaire, venu « se changer les idées ».
Dans ce haut lieu de la sexualité débridée il y a aussi… des nudistes. A un bon kilomètre du lac, au milieu d’une clairière isolée, les hommes s’affolent sur l’appareil le plus simple. La « zone de bronzage », comme on l’appelle, existe depuis des décennies et est fréquentée par un noyau dur d’environ 50 personnes. L’un d’eux, à notre arrivée, remet rapidement ses bas et fait semblant d’être ignorant. « Je reste à l’écart et garde mon slip », explique l’homme de 58 ans.
Un peu plus loin, au bout d’un chemin, nous rencontrons deux hommes dont l’un est complètement nu. Pierre, la soixantaine, ne s’en cache pas : le bronzage n’est qu’une activité secondaire. « En semaine, il n’y a que des retraités. Le week-end, il y a des jeunes. Avant, un couple venait régulièrement faire l’amour en public. Mais ce sont surtout les hommes qui fréquentent la clairière. »
Le parking à gauche est dédié aux plaisirs hétérosexuels : sexe en groupe, exhibitionnisme ou encore candaulisme, l’habitude de prendre plaisir à regarder son partenaire faire l’amour avec d’autres. Même en journée il n’est pas rare de rencontrer des couples, à l’attitude sans équivoque, qui cherchent à attiser des « affaires », sans forcément agir.
« Je viens ici pour regarder, parfois je touche », avoue un cycliste à la retraite de 75 ans, faisant le geste de se caresser les fesses avec les mains.
La nuit, la température monte un peu plus, comme en témoignent les nombreux témoignages recueillis. Les hommes passent leurs soirées sur ce parking, seuls dans leur voiture, à attendre des « couples », aujourd’hui moins nombreux car désormais, ce type de rencontre s’organise davantage via Internet.
Mais il y a toujours des fans, comme en témoignent Kevin et Mehdi, vingt ans. Depuis quelques mois maintenant, les deux jeunes hommes s’installent régulièrement à Corra le soir pour fumer leur joint. Ces simples téléspectateurs, pour qui il ne s’agit pas de consommation, ont assisté à des scènes dignes du porno.
« Un couple s’était garé. Quand ils sont sortis de leur voiture, c’était comme un signal. Tous les garçons avaient peur. Il en a fini cinq ou six, pendant que son mari regardait », raconte la première. « Quand elle a fini, le mari l’a prise en photo », poursuit la seconde, médusée.
En quête de piment dans leur vie
David, 40 ans, au visage carré et à la voix grave, fréquente l’endroit dans le dos de sa femme depuis 20 ans. Il vit une cinquantaine d’aventures avec des inconnus, dans ce parking ou après les avoir suivis jusqu’à l’hôtel. « Je viens de temps en temps, ça a un côté excitant », raconte ce père de famille, qui ne manque pas d’anecdotes. Je me souviens d’avoir fait l’amour avec une femme sur une table de pique-nique au milieu de la nuit. Son mari regardait. Il y avait une dizaine de gars qui attendaient derrière moi. »
Qui sont ces couples ? Impossible d’approcher. Selon plusieurs habitués, ils ont entre 25 et plus de 60 ans et sont plutôt issus d’une classe sociale élevée, selon le modèle de leur voiture. « Souvent, ce sont des gens qui cherchent à pimenter leur vie sexuelle. Ou des maris impuissants qui veulent plaire à leurs femmes. La seule limite ici est le consentement de chacun », explique un initié.
Plus étonnant encore, certains promeneurs sont à mille lieues d’imaginer ce qui se passe à quelques mètres d’eux. « Nous n’avons jamais rien vu d’étrange », a déclaré un retraité, accompagné de sa femme et de sa petite-fille. « C’est vrai qu’on voit beaucoup de voitures garées la nuit quand on passe le long de la route. On se posait la question », ajoute sa femme.
Sophie, une petite brune de Saint-Germain, lit un livre au bord de l’étang. « Une fois, je me suis senti en insécurité. Un garçon au regard pervers m’a demandé avec insistance ce que je faisais là », déclare-t-il.
L’Etang du Corra rassemble une petite communauté soudée, des gens fidèles qui sont là depuis des années. Tout le monde se connaît et s’appelle par des surnoms, liés au véhicule dans lequel le porteur voyage. Le site a certainement une dimension sociale. Pour certains adeptes, le sexe est accessoire. Ils cherchent plutôt à écouter, considérer et tuer la solitude.
Des dizaines de lieux coquins dans les Yvelines
Le site lieudedrague.fr répertorie ces lieux, département par département. En France, il y en aurait 10 000. « On le trouve dans la grande majorité des pays. La plupart sont à l’extérieur : parcs, forêts, parkings, plages. »
Il en existe plusieurs dizaines dans les Yvelines : une petite forêt à Follainville-Dennemont, les toilettes du Carrefour Sartrouville, un parking à Chambourcy, des toilettes publiques dans un parc à Versailles, une route isolée à Paray-Douaville, une station-service à Maulette, un parc public à Trappes, les abords de l’ancien siège Mercedes à Rocquencourt, une aire de repos à Épône…
Attention aux maladies
Les utilisateurs du site laissent des commentaires pour annoncer leur visite ou expliquer ce qu’ils ont vu la veille. Cela donne une idée de l’activité de chaque site.
« Je viens surtout pour des rencontres humaines, pour discuter avec des gens de mon âge », raconte Frédéric, bisexuel, la cinquantaine. J’ai toujours été célibataire et isolé. Cet endroit m’a sorti de mon isolement. Je n’ai pas l’occasion de rencontrer des gens quotidiennement et je n’aime pas les sites de rencontres. Je privilégie le contact humain. Anthony acquiesce : « Je me suis fait de vrais amis, des gens qui m’ont aidé. Je peux rester debout jusqu’à 5 heures du matin à discuter, pas de sexe. »
Mais l’endroit s’avère aussi être un nid de maladies. L’association de prévention CI mène périodiquement des opérations de dépistage des IST, avec des résultats encourageants. Dans les lieux de rencontre en plein air comme celui-ci, le taux de nouvelle infection par le VIH, le virus du sida, est d’environ 9 %, contre 0,2 % dans la communauté gay parisienne, 0,6 % au centre de dépistage, 1,6 % dans les facultés et les centres commerciaux. Ce spécialiste ne cesse de répéter le même mot d’ordre : « Cover ! »