Invisible et tellement visible parfois. Chuchoté jusqu’à l’inévitable gaffe : « ça fait longtemps ? » Ce regard qu’on a sur vous, on s’y habitue, ça ne tient pas… Le modeste « ça », c’est la différence qu’on appelle le handicap, qui touche environ 12 millions de personnes en France. Il se décline en cinq catégories : moteur ; sensoriel (visuel, auditif); psychique (pathologies perturbant la personnalité) ; (déficience intellectuelle) et les maladies invalidantes (Définition-Classification des handicaps, CIH et OMS). Par ailleurs, 2,7 millions de personnes en âge de travailler (15-64 ans) ont une reconnaissance administrative d’un handicap et, parmi elles, 42% des personnes sont actives. Leur taux d’emploi est de 36 % et leur taux de chômage de 14 % (INSEE, enquête Emploi 2020). Pourtant, le taux de chômage est de 7,1 % en France métropolitaine au troisième trimestre 2022. Certains, malgré les obstacles, ont démoli le plafond de verre. Frédéric Ewald, malentendant, est un top manager au MMA.

Manager sans téléphone jusqu’en 2015

« J’ai perdu l’ouïe vers l’âge de 5 ans et j’ai très vite suivi une rééducation orthophonique : c’est grâce à elle que je parle aujourd’hui. Je suis sourde profonde, c’est-à-dire que j’entends grâce aux appareils. Sans eux, je n’entends rien », confie ce directeur du réseau d’agences MMA, qui gère aujourd’hui près de 200 personnes et supervise le réseau de plus de 1 000 agents. Même avec les appareils, il a besoin de lire sur les lèvres : il n’arrive pas à faire un appel téléphonique ou utiliser des outils de communication à distance, il n’entend pas les paroles d’une chanson et un film doit être sous-titré. Un hommage fort, « à mes parents et ma sœur qui m’ont permis une éducation aussi normale que possible ». il n’entendait pas les professeurs dos au tableau, ou avait du mal à les entendre : « J’arrivais à récupérer les leçons de mes camarades et j’avais quelqu’un chaque semaine qui suivait ma progression par rapport au programme ».

A l’issue de ce parcours extraordinaire, le bac, l’Ecole Centrale de Nantes, puis une licence de droit et un cursus d’actuariat. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », écrivait Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles. Frédéric Ewald en est l’illustration. « J’ai dû travailler différemment, trouver des solutions : c’est ce qu’on appelle la « compensation mentale » qui permet de récupérer ce qu’on a perdu ou ce qu’on n’a pas. ». Entré dans le monde du travail en 1997, chez Covea (groupement de 22 000 salariés auquel appartiennent les compagnies d’assurance MMA, GMF et MAAF) en tant que technicien en assurance, il a rapidement managé des équipes en assurance-vie. « Mon handicap ne me permettait pas d’utiliser un téléphone mais en travaillant en équipe, en faisant des réunions et en organisant le travail, j’ai pu facilement surmonter ce handicap et gravir les échelons ».

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Limiter au maximum la nécessité de faire appel aux autres

En 2015, la plateforme « Tadeo » lui permet enfin d’appeler : l’équipe transcrit la conversation sur l’ordinateur en temps réel. « Cela a changé ma vie, beaucoup de choses sont devenues possibles. » Mais, à l’heure de la crise sanitaire et par vidéo, il utilise trop ce service et en explose le coût. Il découvre alors l’application « Roger Voice » qui sous-titre les appels téléphoniques via l’intelligence artificielle, 7j/7, 24h/24, sans surcoût. « Avec ces deux systèmes, je peux avoir une vie professionnelle presque normale. » Il est également épaulé par une assistante très efficace. « J’ai réussi à rendre mon handicap le plus invisible possible. Je limite au maximum le recours aux autres. Je veux être traité comme tout le monde. Cela fonctionne grâce à la bienveillance des autres : mes managers, mes collaborateurs et voire toute l’entreprise ». Un modèle d’inclusion, grâce au travail RSE (responsabilité sociale et environnementale) de Covea. Comme la compensation verbale demande beaucoup de concentration et d’énergie, Frédéric Ewald déconnecte avec humour : « Je suis sourd mais j’écoute ! ». Il parle souvent en public. « Je suis très exposé. Je revendique la persévérance, l’endurance et le travail : ce sont des qualités que le handicap a forgées en moi ». A ceux qui hésitent à embaucher des personnes en situation de handicap, il répond : « Regardez ce que la personne peut apporter comme plus-value à l’entreprise et à l’équipe. Elle n’est ni différente ni semblable aux autres. C’est ce qui fait sa richesse ! »

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