Chez Viktor Orbán « Hongrie » au scandale !
Rien ne va plus entre la Hongrie et la marque de bière Heineken. Ce n’était déjà pas vraiment le grand amour depuis le début de l’affaire opposant Heineken et sa marque Ciuc, distribuée en Hongrie, à la brasserie magyare Csiki (une affaire de traduction que nous vous expliquerons un peu plus bas) vendue en Roumanie et très populaire parmi les expatriés hongrois (qui représentent 6% de la population roumaine), mais là, c’est devenu la guerre pure et simple.
Le parlement hongrois s’apprête en effet à voter une loi interdisant l’utilisation commerciale des symboles totalitaires. De la croix gammée à la paire marteau-faucille, qui bien sûr passe d’un coup à l’étoile rouge, symbole du communisme.
Si l’on peut un tant soit peu comprendre l’existence d’un tel projet de loi, surtout dans un pays victime des régimes nazi et bolchevique, les motifs de ce texte seraient bien moindres qu’il n’y paraît, et viseraient directement la marque Heineken. Viktor Orbán, le président hongrois, est en réalité plutôt du type chauvin et protectionniste (euphémismes diplomatiques pour ne pas dire raciste et nationaliste). Bien sûr, on peut ajouter « en colère » parmi ses qualités. Déjà sujet à polémique concernant certaines lois ciblant spécifiquement les entreprises étrangères, ce texte sur les symboles visera particulièrement le brasseur néerlandais en représailles à l’affaire Ciuc vs Csíki. Allez, parce que tu es mignon, on va tout t’expliquer pour comprendre les tenants et les aboutissants de la saga.
Un grand néerlandais contre un petit roumain
Revenons à cette affaire a priori à l’origine du projet de loi. En 2014, une brasserie hongroise située à Sânsimion, en Transylvanie, en Roumanie, a sorti une bière blonde appelée Igazi Csíki Sör. La Transylvanie est bien en Roumanie, mais c’est une région majoritairement peuplée de Hongrois expatriés ou historiques. D’où la forte culture hongroise qui y règne.
La Roumanie dans son ensemble est un pays amateur de bière, où l’on compte une vingtaine de brasseries dont les produits sont distribués presque dans tout le pays. Parmi elles, quatre appartiennent au groupe Heineken, qui y concentre près de 30 % du marché de la bière, et qui y commercialise une bière blonde dénommée Ciuc Premium. Ainsi sur les étagères on retrouve Ciuc et Csíki. Problème, le mot Csíki en hongrois se traduit par Ciuc en roumain. Pour la petite histoire, c’est le nom historique d’un coin des Carpates à l’époque du Royaume de Hongrie, un coin que l’on retrouve depuis 1918 en Roumanie (révisez vos cours d’histoire, bon sang !).
Csiki et Ciuc sont dans un bateau
Bref, Ciuc et Csíki sont côte à côte dans les magasins. Sauf que le groupe Heineken n’aime apparemment pas ça, décidant de poursuivre en justice la brasserie Lixid Project qui produit Csíki pour l’interdire purement et simplement à la vente, car son nom rappelle trop Ciuc et pourrait causer du tort au consommateur. Un premier jugement rejette Heineken, suivi d’un appel, qui échouera également, et d’un jugement en faveur du défendeur. Et c’est ainsi que Csíki continue tranquillement sa production et sa distribution. A part ce boom, il fallait s’y attendre, quand on pèse près de 20 milliards d’euros, on ne se laisse pas faire comme ça !
Heineken fait appel à l’OHMI, essentiellement l’Office de la propriété intellectuelle de l’UE, en bons lobbyistes qu’ils sont, pour contrefaçon de marque.
Un boycott est alors mis en place en Roumanie et en Hongrie, exhortant les amateurs de binouze à ne plus acheter les marques du géant néerlandais.
Budapest voit (l’étoile) rouge
Janvier 2017, boom à nouveau, l’OHMI, devenu EUIPO, prend finalement parti pour Heineken et ordonne aux tribunaux roumains de faire leur travail, à savoir que la petite brasserie Lixid Project dispose désormais de 30 jours pour interdire les produits Csíki et détruire tous les objets de production et dérivés. Fin de l’histoire, Goliath vient de vaincre le pauvre petit David.
Le gouvernement hongrois s’en mêle, le président Orbán, qui comme mentionné plus haut n’aime pas que ses citoyens soient attaqués, propose alors de promulguer une loi bannissant les signes qui pourraient rappeler les différentes dictatures que le pays a connues. Visant directement Heineken, cette proposition (qui n’aurait de toute façon pas beaucoup de chance d’aboutir comme loi, on verra pourquoi un peu plus tard) commence à faire parler, et se concentre sur Ciuc vs. Le cas Csíki avec le hongrois. Des protestations ont éclaté et en février, ils ont reculé, mais toujours là, la brasserie a sorti Igazi Sör, la même bière, avec la même recette, la même étiquette, mais avec un nom différent. Nous nous remettons tant bien que mal de cette déception judiciaire et nous lançons même la bière sous un autre nom en Hongrie car nous nous sommes fait de nombreux amis là-bas avec cette affaire.
Mais l’histoire n’est pas finie : Le 27 mars 2017, le Lixid Project annonce sur sa page Facebook que des discussions pacifiques sont en cours avec Heineken Romania pour enfin faire vivre en harmonie les deux bières.
Et le lendemain, la même page Facebook annonce officiellement la hache enterrée :
« HEINEKEN Roumanie et Lixid Project SRL régleront leur différend en cours.
HEINEKEN Roumanie et S.C. Lixid Project SRL a le plaisir d’annoncer qu’après des discussions constructives, les deux marques ont l’intention de résoudre leur différend sur le nom Csiki Sor.
Dans les accords, HEINEKEN Roumanie donne son consentement à Lixid Project SRL pour la coexistence des marques Ciuc et Csiki et confie à Lixid Project SRL la commercialisation de la bière Csiki Sör. En contrepartie, les deux parties renoncent à toutes poursuites judiciaires et poursuites en rapport avec ce litige commercial.
Une étoile neutre
L’accord comprend des compromis des deux côtés et permet aux deux entreprises de continuer à renforcer leurs relations avec leurs consommateurs, leurs employés, leurs partenaires commerciaux et la communauté locale. Les deux entreprises décident maintenant de mettre leurs différences derrière elles et de se concentrer sur ce que nous faisons le mieux et ce que nous aimons le plus : brasser de la bière. «
Sans oser l’avouer, ce deal pour Heineken est avant tout passé pour apaiser le gouvernement hongrois, car oui, c’est bien un problème de logo. Heineken n’envisage pas de se débarrasser de son étoile rouge, qui n’a absolument aucune connotation politique à sa base.
En effet, l’étoile rouge était utilisée depuis le début des années 1930 par la marque, bien avant qu’elle ne devienne le symbole du communisme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Si l’on suit la chronologie de ce symbole chez Heineken, l’étoile était utilisée dès le début de la marque, en 1883 (au moins), juste en contour noir. Il est devenu rouge après un essai d’une étiquette rectangulaire pour le marché néerlandais au début des années 1930. Cette étoile rouge est restée sur les étiquettes de la marque jusqu’en 1951, date à laquelle ce symbole a été approprié par le régime communiste. Pour y faire face, Heineken décide alors d’alléger son étoile en ne gardant que son contour rouge afin qu’aucun lien ne puisse être fait entre la marque et la politique.
Il faudra attendre 1991, année de l’éclatement du bloc communiste, pour que la marque remette son étoile rouge intégrale sur son étiquette.
Mais au fait, pourquoi une étoile ?
Aujourd’hui encore, l’étoile rouge est portée par certains pays communistes, comme Cuba et la Chine. Mais Heineken refuse de voir sa star associée au communisme.
Rouge, verte, crotte d’oie ou à pois roses, l’étoile est un symbole qui apparaît souvent dans le monde de la bière : pour comprendre cela, il faut remonter au moins au XIVe siècle, lorsque l’étoile à six branches était le signe des brasseurs, symbole alchimique, représentant les éléments et les étapes nécessaires à la fabrication d’une bonne bière et à la protection des brasseurs. Cette étoile, qui ressemble à l’étoile de David mais n’a aucun lien avec le judaïsme, orne encore certains logos de bières et enseignes de brasseries, notamment en Alsace. L’utilisation de ce symbole a commencé à décliner à la fin du XVIIIe siècle, probablement après le Congrès de Bâle en 1897, qui a officialisé l’étoile à six branches comme symbole du judaïsme. De nombreux brasseurs ont alors adapté leur étoile en la réduisant à 5 branches afin de ne pas être associée à la religion.
Avant-guerre, Tigre Bock de Kronenbourg, par exemple, avait cette étoile sur ses côtes.
Moralité de l’histoire
Qu’elle soit à 4, 5, 6, 8 ou 10 branches, l’étoile est l’un des symboles les plus complexes du monde de la sémiologie et est très présente dans le monde des marques et des logos. L’affaire Heineken est pour nous l’occasion de préparer prochainement un article sur l’utilisation de ce symbole dans les logos.
Au-delà du différend juridique, qui se termine clairement bien pour tout le monde, les deux brasseries s’efforçant de vivre en harmonie dans le meilleur des mondes (la bière), ce qui frappe dans toute cette histoire, c’est l’impression (pas ce que nous buvons), que le gouvernement de la Hongrie a pu mettre sur le groupe néerlandais. Menacer une marque de bannir son logo apparemment anodin équivaut à une censure étatique au plus haut niveau.
Et Heineken n’aurait pas été le seul concerné. Le chef du groupe parlementaire du parti du président hongrois, Lajos Kosa, a admis que le projet de loi devrait être affiné afin de ne pas pénaliser « les marques qui utilisent l’étoile rouge, mais pas comme un symbole totalitaire », faisant notamment référence à l’eau minérale San Pellegrino. . , également distribué en Hongrie. Un double discours, qui ne tient donc pas compte de l’histoire de la marque de bière.
Les clubs de football (Red Star FC, Red Star Belgrade, pour ne citer qu’eux), San Pellegrino, Converse, Macy’s (même si Macy’s en Hongrie n’est pas là demain) sont autant de marques qui seraient donc pénalisées par cette mesure, tout se moquant de un couple un peu trop arrogant.
Alors que le procès entre Heineken et le projet Lixid s’est terminé d’avance, le projet de loi est toujours pendant dans les couloirs de Budapest. À suivre. En attendant, ça donne soif, mais avec modération.