La musculation fait de plus en plus d’adeptes. Mais pourquoi valorisons-nous tant les corps musclés ? Réponses du sociologue Guillaume Vallet.

Guillaume Vallet est sociologue spécialiste de l’histoire de la pensée économique, du genre et du corps. Pendant 25 ans, il a également pratiqué la musculation. Dans son livre La Fabrique du muscle qui paraîtra le 21 octobre 2022 aux éditions L’échappée, il tente de répondre à une question : pourquoi cherche-t-on toujours plus de muscles ? Entre la multiplication des salles de fitness, les maisons équipées d’appareils, les corps sculptés exposés sur les réseaux et la vente à gogo de macronutriments… L’usine à muscles bat son plein. Si « le corps parfait » s’inscrit dans une indéniable construction identitaire, il serait aussi perçu comme le dernier bastion de notre souveraineté, un capital à valoriser et à rentabiliser. Dans un monde incertain soumis aux excès du capitalisme, la production de muscle serait la dernière ressource des individus désireux d’exercer leur liberté et de jouir d’un sentiment de contrôle.

Pratique-t-on la musculation de la même manière d’un pays à l’autre ?

Guillaume Vallet : Entre l’inconstant, la notion de travail et ce qu’elle implique : se construire dans l’effort, maîtriser le corps que l’on produit pour mieux se l’approprier et trouver du sens. Partout j’ai trouvé l’idée qu’il y aurait une voie de salut dans la formation. En lien avec cette idée, la notion d’aller au-delà et toujours plus. Cela passe par la fréquence des entraînements, le rythme imposé lors de la séance, la recherche de la performance et son suivi rigoureux. On observe dans la salle tout un rituel qui renvoie davantage à une organisation très poussée que l’on retrouve dans le monde du travail plutôt qu’à un hobby. Pourtant, ce monde de la musculation est en constante évolution : nous n’avons pas les mêmes attentes autour du corps et du muscle qu’il y a un siècle, voire 20 ans. La musculation, par exemple, est beaucoup moins à la mode aujourd’hui que le crossfit ou les sports de combat. Si un certain brassage des disciplines s’opère, c’est toujours dans une certaine maîtrise de la masculinité, à laquelle la notion de muscle reste affûtée. Cependant, et malgré cette caractérisation, la musculation est un phénomène de masse qui touche aussi bien les hommes que les femmes. Quant aux différences, elles s’expriment en termes de degré plutôt qu’en termes de nature. En Amérique du Nord, par exemple, le corps et le sport sont véritablement les organisateurs de la vie économique, sociale et même culturelle.

Vous parlez de « revanche sur le corps » et de « capitalisme des vulnérabilités », de quoi s’agit-il ?

G. V. : Ce que j’appelle « le capitalisme des vulnérabilités » est apparu dans les années 80. C’est un capitalisme qui produit de plus en plus et de manière endogène des vulnérabilités, de la fragilité et de l’incertitude. Les crises financières, causées par la spéculation, ont affecté la vie des gens. Notre rapport au corps a également été aggravé par les pandémies : celles-ci ne sont pas par nature extérieures au système économique, mais induites par la période de l’Anthropocène, par l’idée que l’homme peut contrôler la nature, pour aller de plus en plus loin et de plus en plus vite. Notre façon de produire et de concevoir l’économie a apporté des externalités négatives qui nous affaiblissent en tant qu’individus et en tant que système. Enfin, la vulnérabilité est un état où l’individu se retrouve dans un entre-deux : il peut être intégré dans des sphères rassurantes alors qu’il se retrouve parfois à certains endroits dans le dérapage ou l’exclusion. Qu’est-ce qui apparaît alors comme une voie de salut, comme une ancre ? Le corps C’est la ressource que nous possédons, grâce à laquelle nous pouvons lutter contre l’extérieur. De plus, le corps à modeler apparaît comme un important vecteur de santé. Depuis la pandémie, on assiste à une explosion du nombre de joggeurs dont la motivation est l’accès à la santé immédiate.

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Les failles du capitalisme nous mènent donc à… faire du muscle ?

G. V. : Bien sûr, tout ne vient pas du capitalisme, mais les incertitudes créées par le système renvoient les individus à leur corps. Nous sommes entrés dans une phase où nos institutions traditionnelles sont inadéquates, voire défaillantes. L’État se désengage, et délègue de plus en plus à l’individu. Au fond, se répand l’idée qu’il faut devenir « l’auto-entrepreneur », ou que dans un monde en semi-échec, seul l’individu survit. A ce titre, le corps apparaît comme une ressource primordiale pour atteindre cet objectif.

La peur de l’effondrement joue également un rôle d’après vous ?

G.V. : Bien sûr. Depuis de nombreuses années, je suis émerveillé par la dimension presque militaire des pratiques que j’observe dans le milieu. Cela se traduit par l’apprentissage des techniques utilisées (faire travailler le corps dans de petits espaces, travailler en cardio, etc.), la répétition des mouvements, la fréquence et l’intensité des séances qui entraînent le corps à survivre dans des conditions extrêmes. – risquer parfois le mal – lui apprendre à y faire face, à être réactif, prêt… Prêt à quoi ? Vous ne savez pas trop, mais il y a souvent cette ambiance feutrée qui donne l’impression que les participants s’entraînent pour résister à un choc, une crise majeure… Pour moi, c’est évidemment lié au contexte angoissant de l’environnement. question Cela s’exprime par l’appétence généralisée pour les sports de combat, dont beaucoup sont d’origine militaire, comme le Krav-maga, une technique de défense dans l’armée israélienne, ou le grappling, terme qui désigne l’ensemble des pratiques pour combattre au sol dans le but de soumission. l’adversaire (clé articulaire, strangulation, etc.) Rien d’étonnant dans un monde où l’homme est de plus en plus livré à lui-même.

Les débats autour de la musculation posent souvent la question : est-ce un sport de gauche ou de droite ? Qu’en pensez-vous ?

G. V. : Le droit incarne un certain ordre, une volonté d’œuvrer pour la sécurité. Le corps va participer à cette récupération. L’individu n’applique pas seulement les idées d’un système : il se les applique à lui-même, il se donne des règles à suivre par rapport à son corps, qui permettent au système de se réguler. De ce point de vue, le muscle est à droite. Dans tous les cas, une autre partie du corps va tirer le muscle vers la gauche : l’assimilation du corps comme seule ressource à notre disposition. Le désir de s’approprier son corps peut naître d’un sentiment d’inégalité, du désir de créer un espace de liberté, de se connecter aux autres et à la nature. Il faut aussi tenir compte de l’interférence gauche/droite et de l’adhésion très différenciée autour du rapport au corps. Par exemple, certains ouvriers dont le vote se téléporte désormais à droite se reconnaissent dans des valeurs très concrètes de sécurité et de défense : cela les conduit à privilégier les sports de combat (dans une optique défensive…) ou la musculation, pour « machiner » et obtenir ce. vengeance Au sein du CSP+, certains dirigeants de droite voient dans le rapport au corps un moyen de développer leur confiance en soi et de s’affirmer en réunion… Enfin, rappelons que dans les systèmes autoritaires ou totalitaires, le corps est encore utilisé pour celles-ci. fin de commande, sécurité et immuabilité. C’est aussi de la musculation : une statue qui ne bouge pas…

Les hommes se préparent à la fin du monde, mais ils veulent aussi être beaux, non ?

G. V. : Les hommes sont soumis à des canons de beauté et des injonctions esthétiques différents, ce qui était moins le cas auparavant. Pour moi, le phénomène est à nouveau lié au capitalisme… Des coachs et des marques de compléments alimentaires se sont déployés sur les réseaux sociaux pour les transformer en espaces marchands. Les vulnérabilités sont donc investies par les entreprises. Dans sa ligne de mire : les jeunes, particulièrement touchés par ces nouvelles injonctions, parfois inaccessibles et dangereuses.