Dans la classe de cm2 de Mme Bazile, à l’école élémentaire Lucien-Gayadine de Larosière, certaines journées débutent en créole. Tour à tour, les voix des enfants répètent : « Jodila sé lendi 17 òktòb 2022 », qui se traduit par « Aujourd’hui, c’est le lundi 17 octobre 2022 ». Puis, devant les rangées de polos verts – l’uniforme de rigueur – l’enseignant lit un texte en créole, demande les réponses en français, alterne les langues et suscite l’intérêt des élèves.
« Pendant les cours bilingues, en général, on les entend plus attentivement », précise le professeur. Si, ce matin-là, le cours était consacré au français et à la compréhension d’un texte, toutes les disciplines fondamentales, que ce soit les mathématiques, l’histoire ou la géographie, sont régulièrement étudiées en créole. « C’est une richesse à apprendre. Les esprits qui maîtrisent plusieurs langues sont plus aiguisés, ils intègrent plus rapidement les informations », sourit Mme Bazile. L’école Lucien-Gayadine, en 2013, a été parmi les premiers établissements à mettre en place des classes bilingues français-créole, du CP au cm2, qui concentrent aujourd’hui la moitié des 272 élèves.
Mauvaise réputation
Les professeurs saluent un bilan « très positif » : « Le créole permet de surmonter certaines difficultés, notamment dans la compréhension des textes. En comparant les deux langues, en traduisant, les élèves arrivent à une meilleure connaissance et maîtrise du français », précise Mme Bazile, qui ajoute que c’est aussi une bonne préparation à l’apprentissage d’autres langues. Surtout, l’enseignement bilingue permettrait de réduire les inégalités, notamment pour les élèves qui ne parlent que le créole.
Ces derniers, en revanche, sont plutôt rares, la langue ayant longtemps eu mauvaise réputation aux Antilles françaises. « Il est parfois encore associé à l’esclavage, à cette image d’une « petite langue », socialement et politiquement inférieure au français », regrette la directrice de l’établissement, Sandra Anaïs. « On a donc remarqué, chez certains parents d’élèves, des réticences vis-à-vis de l’enseignement du créole à l’école », rapporte-t-elle encore. Pour étayer ces propos, Mme Balize prend l’exemple d’un enfant de sa classe qui « refuse » d’apprendre la langue. « Les parents n’y sont pas favorables, donc… Très souvent, on retrouve dans la bouche des enfants le discours des anciens », commente le professeur, qui veut pourtant croire à « une évolution progressive des mentalités ».
Contrairement à d’autres langues régionales, enseignées de longue date – la première classe basque bilingue a été créée en 1983, lors de la construction de la première école corse en 1996 – le créole guadeloupéen a été exclu des espaces publics, et relégué aux discussions intimes et connues. . . Il a fallu attendre les années 2010 et à la demande d’un syndicat local, le Syndicat du personnel de l’éducation de Guadalupe (SPEG), pour qu’il soit défendu « pour renforcer l’identité culturelle et linguistique des élèves ». Depuis, les petites victoires se succèdent : en 2018, les filières bilingues, assurant la continuité des apprentissages dans toute l’école, ont été ouvertes et proposées à près de 400 élèves. Et en 2020, le créole devient le sujet d’une spécialité au baccalauréat.