Dornes, un mercredi d’octobre. Dans le brouillard qui s’enroule autour des arbres de la place de la mairie en foulards gris, seul brille le soleil jaune de La Poste.

Du lundi au samedi, Aurélie Gauthier et Brigitte Bouchoux éclairent les habitants qui errent dans les sombres allées des démarches administratives dans ces immeubles au comptoir de service français.

« On reçoit beaucoup de pauvres qui n’ont pas d’ordinateur ou qui sont très démunis avec internet », explique Aurélie Gauthier. Elle et sa collègue accompagnent les usagers dans leurs relations avec toute une équipe de partenaires, de Pôle Emploi à l’assurance maladie en passant par les allocations familiales.

Répondre à de multiples demandes

Face à l’essor des usages de la dématérialisation, de nombreux citoyens poussent contre la porte de l’espace des services français comme s’ils se réfugiaient sous la pluie battante des pixels.

Les agents sont également transformés en véritables couteaux suisses, prêts à trancher les problèmes. « Parfois, les gens n’en peuvent plus… Nous pouvons tout résoudre en une heure. » Et puis nous suivons le temps. Pour la retraite par exemple, je les accompagne tout au long de la procédure, je ne les abandonne pas en cours de route ?! » assure Aurélie Gauthier.

Phares de la nuit numérique, Aurélie Gauthier et Brigitte Bouchoux voient autant de personnes âgées débarquer avec leurs smartphones tactiles que de jeunes peu friands d’outils informatiques, ne sachant pas boucler un CV. « C’est sûr, on ne s’ennuie pas… »

C’est certes vertueux, mais ce n’est pas une solution universelle

Le déploiement des services français, désormais au nombre de 32 dans la Nièvre, visait à répondre à la rareté des services publics et aux difficultés rencontrées par une partie de la population pour accéder à ces services, y compris en ligne. Par exemple, depuis La Charité-sur-Loire il faut désormais se déplacer jusqu’à Cosne ou Nevers pour des rendez-vous physiques concernant des démarches administratives. « Et les transports ont un prix… », précise le maire Henri Valès.

« Je dois vous dire que je n’ai pas vu les premières inaugurations comme des victoires », a déclaré la sénatrice Nadia Sollogoub. «Mais nous devons trouver des solutions. C’est vertueux, certes, mais ce n’est pas une solution universelle et cela ne doit pas se substituer aux services publics. »

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Ces derniers transforment donc leurs méthodes de travail et s’adaptent à ce nouveau monde de flexibilité et d’itinérance. Valérie Oppin, contrôleur des finances publiques, se déplace chaque semaine depuis deux ans dans quatre départements français de la Nièvre.

Pour elle, la qualité du contact est supérieure à celle des anciennes trésoreries, du fait du temps qu’elle peut consacrer aux usagers. « Nous minimisons la taxe. Il y a un visage humain qui vous répond, les personnes que je reçois ne partent jamais sans comprendre. Beaucoup plus est suivi ici que dans les grandes constructions, où vous n’êtes qu’un numéro. « Si elle aime cette autonomie, « c’est vrai qu’on n’est plus assis là dans de grands bureaux où le collègue d’à côté peut vous aider. »

Le Sénat formule des préconisations

Une « dimension humaine » est néanmoins soulignée par un rapport remis cet été par la commission des finances du Sénat. Ce document contient plusieurs recommandations pour améliorer l’efficacité du réseau. La liste comprend le renforcement de la communication au niveau local.

« C’est vrai que dans notre pays il y a encore des gens qui essaient de mettre des chèques dans la boîte aux lettres de l’ancien bâtiment du Trésor qui a été fermé l’an dernier », a déclaré Maryse Peltier, maire de Corbigny. « Le changement n’est pas facile à accepter. »

« Les services de la France ne sont pas suffisamment reconnaissables dans le paysage », reconnaît Nadia Sollogoub. « Nous avons également besoin de services de qualité et hyper compétents. Car n’oublions pas qu’on parle souvent de fraude, mais il y a des situations de pauvreté dues au non recours à la loi, est-ce un vrai sujet ?! »

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Les cartes grises sont l’usine à gaz…

Alors du côté des 81 agents nivernais, la polyvalence est de mise. « Pour les CPAM, le CAF est assez classique, explique Aurélie Gauthier. Et parfois, c’est un petit effort. « Vous vous renseignez progressivement sur les retraites. Par contre, les cartes grises, c’est l’usine à gaz… On est un peu livrés à nous-mêmes. »

Le personnel d’accueil est tenu de fournir des informations de « niveau 1 ». Pour les cas plus complexes « appeler une amie » Brigitte Bouchoux et Aurélie Gauthier : « Nous avons des correspondants avec nos partenaires. Ils s’en sortent très bien. Ils savent qu’on ne les appelle jamais pour rien : si oui, alors on a déjà tout essayé ? Je leur dis souvent qu’ils ne sont pas des super-héros », raconte Alexandra Bonneau, animatrice au service France.

« Accueil », « médiation », « maîtrise substantielle des procédures » et « accompagnement social » des missions : on comprend le commentaire des sénateurs qui appellent à « la stabilisation des équipes », « mieux les former et ces métiers devenus incontournables « , en limitant les contrats à court terme et les prestations sociales.

Mieux soutenir les collectivités ?

Concernant les points de vigilance, il convient également de noter que la charge des services français pour les collectivités territoriales s’alourdit. « Avec la hausse des prix de l’énergie, nous sommes assez impuissants », explique le maire de La Charité, qui ne nie pas l’utilité sociale d’une telle structure.

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Aussi, le rapport du Sénat demande que la participation conjointe de l’Etat et des opérateurs soit de 50% du coût minimum d’un espace (aujourd’hui les coûts de fonctionnement annuels moyens de France Services sont de 110 000 euros).

Quand le mot « maison » disparaît de leur nom, France Services garde la porte ouverte. Il reste à tous les hébergeurs à travailler ensemble autour de la table pour qu’ils n’aient pas seulement une fonction d’abri précaire face aux vents violents de la numérisation.

Former les agents à être très polyvalents

Avec la dernière vague de certifications, tous les agents des services français de la Nièvre seront formés d’ici la fin de l’année.

Les frais pédagogiques de la formation sont intégralement pris en charge par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT). Obligatoire, il est divisé en deux modules.

« On part d’un terrain d’entente », indique Cécile Marceau, cheffe de département nivernaise. « L’objectif est de leur apprendre leur métier de réceptionniste dans un service gouvernemental. Bien reçu est une chose, mais la personne doit aussi repartir avec les informations pour lesquelles elle est venue. Les étudiants participent d’abord à un webinaire pour se familiariser avec la plateforme d’agent.

Ils poursuivent par 15 heures de formation au sein du CNFPT. Ils y abordent divers points, des « qualités nécessaires à l’exercice du poste » aux « bases de communication » en passant par « la définition du reporting et de ses composantes ». Identifier et comprendre les attentes des usagers, adapter leur accueil aux différentes situations, autant de compétences à acquérir.

Deuxièmement, « les agents suivent ce qu’on appelle un SPOC, un cours en ligne fermé à un groupe. Ils ont quelques semaines pour compléter cette dernière partie, qui porte sur les enjeux et les bonnes pratiques de la médiation numérique. »

Tout ça, « c’est extrêmement compact et demande beaucoup de polyvalence. Les agents peuvent s’appuyer « sur des souvenirs, ils savent à qui s’adresser en cas de questions ». Elle, ou plutôt elle, ce métier s’adresse particulièrement aux femmes.

C’est en tout cas pour Cécile Marceau un « dispositif intéressant de sensibilisation d’un public qui rentre directement, sans concurrence. Il n’est pas rare de les revoir plus tard… »