Un simple bout de papier glissé dans le passeport et une phrase douloureusement laconique : visa refusé. Plus de six mois après avoir vu son dossier rejeté par l’ambassade de France à Tanger, Mounia Benmansour n’en revient toujours pas. « Ça fait 25 ans que je vais en France et j’obtiens toujours un visa quand j’en cherche un », raconte le médecin. Au Maghreb, l’histoire de Mounia n’est pas isolée. A partir de septembre 2021, Paris a décidé de diviser par deux le nombre de visas accordés aux Marocains et Algériens, et de 30% aux Tunisiens. Il s’agit d’une mesure de représailles contre les autorités locales qui refusent de délivrer les passeports consulaires nécessaires au retour des étrangers refoulés de France.
« Le problème est politique, analyse Pierre Vermeren, professeur d’histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il y a de la colère de la part de la police française qui ne peut pas renvoyer des criminels marocains dans leur pays. Rabat a laissé un certain nombre de » indésirables » partent pendant le hirak du Rif (le soulèvement populaire dans le nord en 2016 et 2017) et ne prend pas en charge les enfants des rues de Tanger et de Casablanca qui s’installent en France et deviennent des enfants non accompagnés.
Prisonniers de cet arrêt, des milliers de Marocains se voient refuser un voyage en France, deuxième partenaire commercial du royaume et premier à se rendre dans la diaspora. C’est quelque chose qui incite à la colère et au ressentiment. « Désormais, je ne veux plus entendre parler de la France ni de l’espace Schengen, jure Mounia Benmansour. Dommage, je vais dépenser mon argent ailleurs ! »
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Etudiants, médecins, artistes, fonctionnaires ou chefs d’entreprise ont rencontré la même direction. A tel point que le porte-parole français du Medef s’en est plaint en août. « Il est important et urgent de fixer et de faciliter les visas pour nos partenaires commerciaux marocains, a déclaré Fabrice Le Saché sur Twitter. Il n’y a pas de commerce sans circulation des personnes. »
« Une punition collective »
Jusqu’à présent, 30 à 40 % des demandes de visa ont été rejetées, selon une personne proche du dossier. En dessous de l’objectif de 50 % fixé par l’Elysée, mais suffisant pour affecter la relation entre Paris et Rabat, il est déjà faible. En 2019, le dossier de Pegasus, du nom de ce logiciel espion israélien utilisé par plusieurs pays, dont le Maroc, était brûlant. Et pour cause, des recherches ont montré que des personnels de la sécurité royale ont utilisé ce cookie pour accéder aux téléphones de l’opposition, de journalistes mais aussi de responsables gouvernementaux et de gouvernements étrangers… dont celui d’Emmanuel Macron. « Cette affaire a laissé des traces », glisse la source marocaine à demi-voix.
Pas seulement cela : l’activisme diplomatique français visant Alger offense le rival marocain. Le président français et son Premier ministre ont déjà effectué deux visites officielles en Algérie depuis fin août et ont salué le « nouveau partenariat ». Les comparaisons sont faites rapidement avec le Maroc, où Emmanuel Macron n’a pas mis les pieds depuis quatre ans.
La maison royale est la plus impatiente depuis que la France refuse de changer sa position sur le Sahara occidental, une région au statut irrégulier selon l’ONU, exprimée par le Maroc et les séparatistes du Front Polisario, soutenus par Alger. « La délivrance d’un visa avec plus de pouvoir, vu comme une sanction commune, est indéniable, selon le politologue marocain Mustapha Sehimi. Mais surtout, Rabat attend que Paris réévalue sa politique envers le Sahara [occidental], l’Espagne et l’Allemagne. » Après les États-Unis, ces deux pays européens ont soutenu l’autonomie du Sahara occidental sous la domination du Maroc.
Dans son discours à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, tenu le 20 août, le Roi Mohammed VI (« M6 ») a exhorté les pays alliés du Maroc à « clarifier » leur position dans la région. Une déclaration qui n’est pas reprise en France. Emmanuel Macron, qui a évoqué un voyage au Maroc « fin octobre » ne manquera pas de sujets de conversation avec « M6″… Si le roi décide de l’inviter.
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