J’ai employé toute ma jeunesse à l’art et à la religion. C’était vraiment notre pain quotidien à la maison ; Je suis le dernier d’une famille de quatre personnes. Nous allions régulièrement à l’opéra, au théâtre ou au cinéma. A chacun de nos voyages, nous avons visité des musées et des églises.

Et, dans la voiture, nous avons écouté les réflexions du Père Paul Baudiquey sur les œuvres de Rembrandt, notamment Le Retour du Fils de Troie, véritable icône dans notre famille. « Les regards de l’amour sont les seuls qui nous donnent de l’espoir », a-t-il déclaré. Mot fort ! Il est mentionné à la fin de l’adaptation contemporaine de la parabole faite par mon ami Amarú Cazenave en 2014, et dans laquelle Michael Lonsdale jouait le père, et moi le fils. Comme la taille, tout, dans mon enfance, était déjà en germe.

• STEPHEN GRANGIER POUR DANGER

Les origines d’une vocation

Mon premier choc artistique et spirituel s’est passé à l’église de la Sorbonne, à Paris. J’avais 12 ans. Des photographies de la Pieta de Michel-Ange, par Robert Hupka, étaient exposées, et elles étaient sublimes. J’étais ébloui, touché au plus profond. Cette expérience a façonné mon regard, elle m’a ouvert à la beauté. Elle m’a marqué à jamais, tout comme celle après laquelle j’allais vivre à 13 ans sur le tréteau.

Je faisais du théâtre depuis la maternelle, mais cette année-là j’ai eu le rôle principal dans Le Chapeau de paille italien, d’Eugène Labiche. Deux heures de spectacle, 300 spectateurs, cinq représentations : ce n’était rien pour les enfants que nous étions ! Mais dans mon costume trois pièces, j’étais comme un poisson dans l’eau. Le jeu était explicite. Joie pure.

Cependant, l’appel du théâtre en tant que profession et carrière n’était pas si clair. Adolescente, je rêvais de m’impliquer dans l’humanitaire pour aider mon prochain et vivre l’Evangile. Je suis donc allé étudier pour travailler dans l’aide aux pays en développement. Puis mon rêve naïf de « sauver le monde » s’est brisé jusqu’à ce qu’il explose en plein cours de ma maîtrise à la Sorbonne. Cette désillusion a été causée par un revirement intérieur. Je ressentais de plus en plus le besoin d’embrasser une carrière créative et d’agir localement. Le théâtre s’est alors imposé comme la voie la plus claire, la plus naturelle.

Dans le théâtre, un sens du sacré, du mystère

A l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris, j’ai découvert chez beaucoup de mes professeurs un sens du sacré, du mystère, parfois même une quête spirituelle et une soif globale de transcendance. Ils pratiquaient leur art et leur pédagogie avec une grande noblesse et une belle sensibilité, avec à cœur l’élévation du corps et de l’âme. Ces artistes-artisans m’ont éveillé à un nouveau chemin artistique fait d’humilité, d’abnégation totale, d’effort et de patience. J’entends encore notre professeur de respiration nous expliquer que dans 10 ou 15 ans nous ne ferons que commencer à maîtriser notre instrument. Comment ne pas faire le lien avec la vie chrétienne qui, elle aussi, est un travail de longue haleine, un apprentissage permanent ?

Contre toute attente, ma formation théâtrale est venue nourrir et inspirer ma vie de croyant. Mon cœur chrétien a parlé de ce que mes professeurs m’ont enseigné. Il y avait des vérités profondes dans leurs enseignements que je pouvais transférer dans mes habitudes de croyant. L’art de la répétition, par exemple, qui, au théâtre, doit être une perpétuelle réinvention de la vie. Lorsque je récite le Notre Père tous les dimanches à la messe, parfois machinalement, suis-je attentif et présent à ces paroles qui touchent tout mon être ? Est-ce que je vis avec eux ? Qu’en est-il de mon corps : est-il investi quand je prie, quand je marche sur la ligne de communion ?

Il faudrait une catéchèse physique pour apprendre à se comporter physiquement à la messe. Nos liturgies sont des expressions sacrées après tout ! Nous devons prendre soin de sa beauté car « le Verbe s’est fait chair » (Jean 1:14), c’est donc par notre corps et par nos sens qu’il vient aussi à notre rencontre. Mon premier renouveau dans la foi est aussi lié à cet aspect de l’incarnation. Je venais de l’apprendre lors d’une messe animée par la communauté de Saint-Jean. Lorsque le corps du Christ a été élevé, tous les frères et sœurs sont tombés à terre, et j’ai été frappé par ce signe. Dès le début de mes 20 ans, avec mon style rasta et mes dreadlocks, j’ai soudain pris conscience de la présence réelle de Dieu, le Seigneur devant qui tout genou doit fléchir.

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« J’ai commencé à mettre de l’ordre dans ma vie »

Je dois beaucoup aux mouvements issus du Renouveau charismatique. En assistant à leurs réunions, je me suis peu à peu rendu compte de mes incohérences. Mes yeux se sont vraiment ouverts avant les JMJ de Madrid à l’été 2011. J’étais partie en mission à Barcelone avec le mouvement Anuncio. Un soir, alors que nous nous promenions dans les rues pour inviter les jeunes à une veillée de prière, nous avons croisé un groupe d’étudiants français.

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L’un d’eux a dit : « Je suis chrétien aussi, mais je n’ai pas le temps : nous allons dans un club. « Ce type, on aurait dit que c’était moi ! Jusque-là, je pensais que Dieu m’avait béni dans tout ce que je faisais. Mais non! Il ne suffit pas de se dire chrétien et d’avoir une croix autour du cou. Nous devons vivre en harmonie avec ce que nous voulons ou exigeons. J’ai alors commencé à mettre ma vie pour arrêter de trop m’éparpiller et m’ancrer davantage dans le Christ.

Si le travail quotidien de comédien a renouvelé ma pratique religieuse et mon rapport à la parole de Dieu, je n’ai pas tout de suite eu envie de participer au théâtre chrétien. J’étais plus réticent car les initiatives portées par les croyants sont souvent synonymes de volontariat et de manque de professionnalisme… Cette démarche me semble contre-productive. A mon avis, il faut d’abord développer ses talents et ses compétences, chercher à exceller dans sa discipline, puis décider de capter enfin pour transmettre un message de foi. C’est après cinq ans de formation et plusieurs années de travail dans des projets très variés (surtout des auteurs contemporains) que j’ai accepté des textes chrétiens. The Goldsmith’s Shop, de Karol Wojtyla, en faisait partie en 2014.

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De Charles de Foucauld à Jacques Fesch

La rencontre fatidique a eu lieu avec Charles de Foucauld, un frère universel, célibataire sur la scène créée par Francesco Agnello avec l’acteur Damien Ricour. Lorsque Damien est tombé malade, et quelques mois seulement avant sa mort, il a proposé à Francesco que je le remplace. Je le remercie encore de m’avoir confié ce rôle qui m’a changé artistiquement et spirituellement. Parce que non seulement j’ai beaucoup appris et progressé en tant qu’acteur, mais j’ai été bouleversé, Saint Charles de Foucauld est revenu.

Pour la première fois de ma carrière, j’étais à ma place artistique et au cœur de ma vie. Il y avait un alignement similaire. A un moment, je ne jouais plus, j’y jouais. Quand, par exemple, je disais la fameuse prière de renoncement, je ne récitais pas un texte : je méditais. J’ai prié avec ses paroles pour ceux qui étaient présents dans la salle et dans la communion des saints…

Être acteur, c’est toucher toute l’humanité, pas la juger, plutôt que la défendre. C’est chercher l’autre, le glorieux comme le dernier. L’aimer, le connaître de l’intérieur, entrer dans sa peau, dans son voyage unique. Le travail de cette incarnation fait inévitablement bouger les lignes en vous. Il réveille parfois des choses enfouies, le pose devant vous, vous pose des questions de près : que ferais-je à la place ? Qu’est-ce que j’ai fait? Et n’ai-je pas aussi ce côté obscur ? Martin Steffens a écrit un essai dont le titre pourrait être la devise de l’humoriste : Rien d’inhumain ne m’est étranger (Points to Live). Cette phrase s’applique parfaitement au projet personnel que je mène depuis trois ans, En cinq heures, un sur scène à partir de tous les écrits carcéraux de Jacques Fesch.

D’abord, comme lui, de Saint-Germain-en-Laye, du même milieu, je pourrais être Jacques Fesch. J’aurais pu glisser dans une énorme erreur d’enfance et commettre l’impardonnable : tuer un homme après un braquage raté. Je savais que Jacques Fesch avait rencontré le Christ en prison et que son journal de prison avait une fécondité spirituelle incroyable, Dans cinq heures je verrai Jésus. Quoi de mieux que le théâtre pour plonger dans l’histoire de ce bon larron du 20e siècle, me nourrir de lui et lui donner vie ?

Vers un Jacques Fesch contemporain

« Le but de mon projet était clair dès le départ : sortir Jacques Fesch des circuits ecclésiastiques afin de communiquer son passage des ténèbres à la lumière à un large public. Une communauté qui ne va pas dans les églises, mais qui va au théâtre. Aussi dès le début, j’ai eu l’intuition de rendre ce qu’il avait grandi à la prison, d’aller vers le Jacques Fesch d’aujourd’hui. C’est donc en prison que j’ai commencé à jouer, et je continuerai. Les prisonniers se sentent honorés de leurs difficultés et certains sont liés au message chrétien. « Je sais maintenant que nous ne serons jamais traités de manière décisive », m’a dit l’un d’eux. »

Dans cinq heures, Fitzgerald jouera Berthon, samedi à 19 heures jusqu’au 10 décembre au théâtre La Flèche à Paris (11e).