Huw Merriman, président du British Transport Committee, avait écrit début septembre au PDG d’Eurostar inquiet des décisions en cascade de la compagnie ferroviaire et, notamment, de la suppression des arrêts entre le Royaume-Uni et la France. Des mesures non sans conséquences, notamment dans le sud-est de l’Angleterre. En effet, les dessertes des gares britanniques d’Ashford et d’Ebbsfleet ont été suspendues jusqu’en 2025 au moins, voire 2026, tandis que la liaison entre Londres et Disneyland Paris sera interrompue à partir de 2023, sans date de reprise possible.

Dans une lettre de réponse, Jacques Damas, qui quittera ses fonctions de PDG fin septembre et sera remplacé par Gwendoline Cazenave, a tenu à s’expliquer. « Je comprends parfaitement la déception que beaucoup ressentent face à la fermeture continue des gares du Kent et en effet les récentes annonces concernant Disneyland Paris, une destination populaire pour nombre de nos clients britanniques, y compris ceux d’Ashford », a-t-il écrit dans l’introduction de sa lettre. datée du 26 septembre, reconnaissant « également l’impact économique d’une telle décision sur le sud-est de l’Angleterre et la perte de choix pour les voyageurs ».

La crise sanitaire et les conséquences migratoires post-Brexit comme principales raisons avancées

Comme première explication, Jacques Damas rappelle qu’Eurostar a beaucoup souffert de la pandémie de Covid – évitant de justesse la faillite – et des restrictions de déplacements entre les deux pays. « Nous avons vu nos revenus baisser de 95% sur 15 mois en 2020-21 et avons été durement touchés par la vague Omicron en décembre 2021 et début 2022, dont les restrictions ont eu un impact supplémentaire d’au moins 50 M£ », affirme le directeur général de la compagnie ferroviaire, soulignant que, contrairement aux compagnies aériennes qui ont reçu un soutien de 7 milliards de livres sterling, « Eurostar n’a reçu aucun prêt garanti par l’Etat ». « Nos actionnaires ont investi 250 millions de livres sterling supplémentaires dans l’entreprise (près du double du montant total historique versé en dividendes). Mais Eurostar avait besoin de trouver 500 millions de livres sterling supplémentaires de dette commerciale pour survivre. Cette dette commerciale a un coût considérablement plus élevé et Eurostar doit continuer à respecter les ratios financiers exigeants de ces prêts », a-t-il déclaré.

Autre raison de la suppression de ces trois services, la mise en place de contrôles supplémentaires aux frontières en raison des nouvelles réglementations migratoires post-Brexit. « Comme environ 40 % de nos clients sont des citoyens britanniques, cela a entraîné une augmentation significative des délais de traitement dans les gares. L’estampillage des passeports britanniques par la police continentale ajoute au moins 15 secondes aux temps de passage des frontières pour les passagers individuels. Les systèmes automatisés comme les portails électroniques sont moins performants », explique Jacques Damas.

Le directeur général avoue que la compagnie ferroviaire a modernisé les portillons électroniques (e-gates) à St Pancras et que de nouveaux portillons électroniques seront désormais installés à Paris Gare du Nord. « Nous allons également installer, côté français, une cabine de contrôle supplémentaire à Londres (où l’espace est extrêmement limité) », poursuit Jacques Damas dans sa lettre. Mais cela ne suffirait pas. « La capacité de détection aux heures de pointe est inférieure d’environ 30 % à ce qu’elle était avant le Brexit. Même avec toutes les cabines occupées, St. Pancras peut actuellement accueillir un maximum de 1 500 passagers par heure contre 2 200 en 2019 », ajoute le patron, « la conséquence immédiate est que nous ne sommes actuellement pas en mesure de répondre à la forte demande sur nos principales liaisons. .. relier les capitales La réouverture des gares intermédiaires (où la demande et les rendements sont beaucoup plus faibles) aggraverait encore la situation car elle priverait la London Border Patrol de ressources vitales. La réalité des chiffres de fréquentation est telle qu’un policier contrôle 5 à 10 fois plus de passagers dans nos grands terminaux que dans les gares intermédiaires.

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“Nous devons facturer des prix plus élevés à nos clients”, reconnaît Eurostar

En plus de ces deux raisons, le PDG d’Eurostar cite le fait que l’entreprise a eu du mal à recruter des ingénieurs de maintenance pour son dépôt principal de Temple Mills à Stratford. « De ce fait, certains de nos trains ne sont pas prêts à l’heure, ce qui provoque des retards dans les départs qui se répercutent tout au long de la journée », explique Jacques Damas, qui souligne qu' »Eurostar n’a licencié aucun personnel opérationnel pendant la pandémie, mais nous avons peiné pour remplacer ceux qui sont partis, ce qui a entraîné une pénurie d’effectifs et de compétences. Une campagne de recrutement a été lancée depuis le printemps pour recruter plus de 40 ingénieurs.

Dans un tel contexte, l’entreprise ferroviaire ne pouvait poursuivre son développement. « Nous devons concentrer les services sur les grands axes qui génèrent plus d’argent et font payer plus cher nos clients », reconnaît Jacques Damas, « l’objectif de cet effort est de gérer et de réduire les dettes que nous avons dû contracter ». Et le PDG prédit que l’avenir de l’entreprise pourrait encore être difficile. « La pandémie s’est certes atténuée, mais le risque demeure. L’incertitude concernant le « système d’entrée et de sortie (EES) » de l’UE plane sur nous. Ce système, dont la mise en place est prévue pour 2023, exigera que les personnes entrant dans l’Union européenne en provenance de pays tiers communiquent, avant leur voyage, leur numéro de passeport et leurs données biométriques, y compris leurs empreintes digitales, afin qu’elles puissent être enregistrées dans un base de données. . Cela permettra aux autorités de déterminer automatiquement combien de jours le voyageur peut rester dans l’espace européen.

L’impact de la crise énergétique et la hausse du coût de la vie sont également des craintes pour Eurostar, qui pourrait voir son nombre de réservations chuter, les usagers ne pouvant plus se permettre des prix de billets toujours plus élevés, comme l’a reconnu plus haut le PDG. « Dans le même temps, l’entreprise elle-même fait face à près de 100 millions de livres sterling de pressions inflationnistes croissantes », ajoute le futur ancien patron d’Eurostar dans sa lettre. Il appartiendra donc à sa successeure Gwendoline Cazenave, première femme nommée administrateur de l’entreprise ferroviaire depuis sa création en 1994, de gérer cette situation. Le nouveau PDG prendra officiellement ses fonctions le 1er octobre.

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