Les blessures graves ne sont pas traitées par électrochocs. Premièrement, il faut créer un climat psychologique de confiance et de calme pour les patients. C’est pourquoi il ne fallait pas attendre des participants au premier Conseil européen organisé après le coup du Brexit qu’ils prennent des décisions radicales. Réuni à Bratislava le 16 septembre, ce sommet des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne (UE) n’avait qu’un statut informel et s’est tenu à vingt-sept – et non vingt-huit – en l’absence de nouveau locataire. 10 Downing Street, Theresa May. Et ce même si le Royaume-Uni est toujours membre officiel de l’UE.

Les blessures causées par la victoire du « Leave » au référendum britannique du 23 juin n’étaient nullement cicatrisées et s’ajoutaient aux trois autres principaux sujets de préoccupation des dirigeants européens : la gestion des flux de migrants, la réponse aux menaces terroristes et la poursuite de la stagnation économique dans une grande partie des pays de l’UE et en particulier dans la zone euro. Sur aucun de ces thèmes, il n’aurait été possible d’aboutir à des positions consensuelles allant au-delà des engagements à mieux s’écouter entre gouvernements, ce qu’Angela Merkel a cru pouvoir appeler « l’esprit de Bratislava ». Clairement insensible à cet esprit, Matteo Renzi, avait quelque peu disqualifié le sommet en le réduisant à « une agréable croisière sur le Danube », en référence au dîner sur un bateau fluvial auquel le gouvernement slovaque avait convié ses invités. Le président du Conseil d’Italie a peut-être une série télévisée américaine, La Croisière s’amuse, qui a connu un énorme succès mondial à la fin du siècle dernier. Dans ses 249 chapitres, il y a une fin heureuse pour les idoles qui sont attachées ou déliées à bord d’un bateau de croisière de luxe. Ce qui n’est pas garanti après Bratislava car l’histoire de la construction européenne n’est pas écrite par un scénariste…

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Au-delà du contenu d’éventuelles politiques communes, la question qui se pose est plus fondamentale : peut-on trouver des formes de décision adaptées à une configuration à 27, 28 États, voire plus si l’UE devait encore s’élargir ? Et quel lien avec les gouvernements nationaux, les seuls qui, pour les citoyens, aient une légitimité démocratique ? La réponse apportée jusqu’à présent par les accords est le libre-échange à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE, ce qui revient à éluder et retirer toute autorité politique de ses prérogatives. Pourtant, cette réponse néolibérale mondiale est de plus en plus rejetée par l’opinion publique car elle équivaut à du dumping social et fiscal, ainsi qu’à de plus grandes inégalités. Quant à la zone euro à 19 Etats, elle ne fait que renforcer ces défaillances.

Ces derniers mois, on assiste à une sorte de retour en politique sous la forme d’une « régionalisation » de l’UE, non seulement géographique, mais aussi associative. Par exemple, le groupe dit « de Visegrad » (Pologne, République tchèque, Hongrie et Slovaquie) s’est ouvertement opposé à l’imposition de quotas de réfugiés fixés par la Commission. Dans le domaine économique, sept gouvernements des pays du Sud de l’UE (Grèce, France, Italie, Portugal, Espagne, Chypre et Malte), réunis à Athènes le 9 septembre, ont exigé la fin de l’austérité imposée par l’Allemagne. Ces différentes géométries pourraient se multiplier à l’avenir et conduire à une remise en cause de l’architecture européenne actuelle et même de ses finalités.

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22 septembre 2020 | Bernard Cassen