DISTRIBUTION. Wesley Fofana : "Avec la génération qu'on avait à l'ASM, on aurait dû gagner plus de titres"

Le 18 juillet, Wesley Fofana a annoncé sa retraite. Samedi dernier, il était présent à Marcel-Michelin pour dire au revoir aux fans de l’ASM. Dans le cas du Midi Olympique, les trois quarts du XV de France centre (48 sélections) et Clermont (13 saisons en pro) ont accepté de renoncer une dernière fois à ses souvenirs, blessures physiques ou psychologiques et à son évolution. Satisfait, il referme le livre d’une carrière atypique, souvent glorieuse et parfois bouleversée.

Le 18 juillet, vous avez annoncé votre retraite. Mais quand as-tu pris ta décision ?

Au cours de la saison, la décision mûrissait lentement dans ma tête. J’en ai longuement parlé avec le président Guillon, bien avant qu’il n’en parle dans la presse. L’idée a fait son chemin. Au début, je pensais que c’était une telle possibilité. Puis c’est devenu concret. J’ai toujours respecté mon corps, il a toujours été important pour moi. Je devais me regarder en face. Ce corps souffrait clairement. Je devais écouter ça.

Cette retraite était-elle une nécessité, une contrainte ou vraiment un choix ?

Cela reste un choix. Le président me l’a toujours laissé. Mais comment mon corps souffre-t-il et rechute-t-il… Il est temps.

Avez-vous eu des douleurs quotidiennes ?

Pas tous les jours. Parfois, je faisais des préparatifs de cinq semaines pour revenir de ma blessure. Tout allait bien. Aucune douleur, rien. Et enfin, avant mon retour, les ischio-jambiers pétaient encore sur quelque chose de faux, totalement inoffensif.

Ces rechutes à répétition ont-elles finalement affecté votre motivation ?

Non, et j’ai mis du temps à m’en rendre compte. Je suis toujours au fond, j’investis à 100% et je ne recule pas toujours. J’avais encore un an de contrat et les gars, un groupe avec lequel je voulais toujours vraiment jouer.

Alors quel a été le déclencheur ?

Ce sont plutôt mes proches du secteur médical qui essayaient petit à petit de me faire comprendre qu’il fallait que je pense à la fin. Que les tendons n’en veulent plus. Le muscle est complexe, très fragile. Encore plus d’ischio-jambiers.

Avez-vous une explication rationnelle à ces rechutes musculaires ?

Si je savais comment l’expliquer, je serais encore à la recherche de solutions ! Nous avons essayé beaucoup de choses dans le domaine de la science pour me guérir. Nous avons utilisé des électrodes pour mesurer la contraction de mes fibres musculaires pendant les sprints. Il n’a rien révélé. Avec « Raph » Aubin (kinésithérapeute de l’ASM, passé au Stade Français cet été), on a essayé de développer une force très intense des ischio-jambiers. J’avais atteint un niveau plus que satisfaisant, mais je n’avais toujours pas réussi. Voilà, c’est comme ça. Il fallait juste l’accepter.

Payez-vous des enjeux de rugby pro et la première moitié de votre carrière où vous avez beaucoup joué ?

Sûrement. Il est difficile de dire le contraire. Ça peut être le bonheur en cas de catastrophe, je vois que les nouvelles générations sont mieux protégées, mieux encadrées. Il y a des semaines de repos avant les dates internationales, il y a beaucoup de rotations pendant les tournées estivales… C’est bien pour eux. A mon époque, la volonté commune club-national de faire attention aux joueurs était moindre. Cela dépendait de la bonne volonté de chacun. Aujourd’hui, nous avons affaire à des détails, et notre corps nous le fait payer. Ce n’est pas sérieux. Surtout, nous avons compris que la nouvelle génération utilisait un cadre plus favorable.

Il y a quelques années vous nous disiez qu’une carrière qui se termine à 35 ans sera bientôt l’exception que les carrières seront plus courtes. Ces événements peuvent ralentir ce phénomène…

Je ne sais pas. Regardez, le championnat vient de commencer et il y a des blessés partout. Moi, un garçon de 35 ans, je n’ai pas réussi à les joindre. Et puis les internationaux sont protégés, mais les autres ? A Clermont Judicaël (Cancoriet) il joue beaucoup et n’est pas protégé. Il n’y a pas non plus de vérité absolue, c’est aussi une question de biologie, de génétique. En revanche, tous ceux qui veulent une carrière aussi longue devront subir des blessures graves. Cela me semble inévitable.

Vous renoncez à un an sur votre contrat. Vous avez peut-être aussi choisi de rester pour en profiter…

Bien sûr, mais ASM a été très correct avec moi. Il n’y a jamais eu d’impasse, la relation avec le club a toujours été saine. Si je devais perdre mon salaire annuel, je me poserais bien sûr des questions. Ce n’est pas le sujet. Par conséquent, ce résultat était le meilleur pour moi et pour le club.

Dans notre chronique, le président Jean-Michel Guillon déclarait en mars : « Un joueur comme Wesley, avec ce passé glorieux et tout ce qu’il a pu apporter au club, doit aussi réfléchir à la question de son départ. Tout le monde aimerait que cela soit fait à l’avance, pas comme un joueur dont on ne parle que des blessures. Était-ce aussi votre reflet, l’image que vous alliez laisser derrière vous ?

Absolument pas. Ma sortie, je m’en fous. Je m’en fous et je l’ai dit au président dès le début. Je suis une personne assez discrète et réservée. Soigner ma sortie, l’image que je laisse derrière moi, n’est pas important pour moi. Et je me fous de ceux qui ont pu mal parler de moi et souvent sans le savoir tout au long de ma carrière.

Il vous reste encore 255 matchs professionnels, dont 48 sélections en équipe de France. Pas mal pour quelqu’un qui n’avait même pas d’ambitions professionnelles…

Je m’en fiche non plus. Cela n’a aucune influence sur moi. J’ai fait ce que j’aimais, et je me suis réveillé heureux chaque matin parce que j’avais beaucoup de plaisir à faire ce que je faisais. C’est important, pas les chiffres et les statistiques.

Alors que doit-on retenir de vous ?

Si les gens se souviennent d’un bon gars et de quelques sourires que j’aurais pu leur offrir, ça va. (Il rigole)

Quelle a été la chose la plus dure à vivre : l’annonce de la retraite pour la famille, les coéquipiers ou les supporters samedi dernier au stade ?

La famille, ce n’était pas dur, ils étaient très contents d’avoir arrêté. (sourire) Dans le club, ils ont compris aussi, et ça a marché. Au stade ? J’ai été surpris par l’enthousiasme, toute cette attention portée sur moi… C’était plus touchant.

Comprenez-vous que vous avez marqué l’histoire de votre club ?

Pas du tout. Je ne calcule pas ces choses. Et j’aimerais apporter plus à ce club… (soupirs) Si je regarde ma carrière, il y a des lacunes. Des petits endroits où il manque quelque chose, ici et là.

Bien sûr. C’est mon grand regret.

Quand tu es jeune, quand tu te prépares pour les finales, tu prends ça un peu trop à la légère. Tu te dis qu’il y en aura plein d’autres et tu n’écoutes pas les anciens qui te disent : « tout donner, ça peut être le dernier ». Au moins j’étais comme ça. J’aurais pu mieux faire. Avec la génération qu’on avait à l’ASM, on devrait décrocher plus de titres. Beaucoup plus.

2013 et la finale perdue de la Coupe d’Europe à Dublin, est-ce le souvenir le plus douloureux ?

Étrangement, non. Il fut un temps où nous étions les plus proches, mais j’étais jeune, j’avais moins de perspectives. Je ne l’ai pas vécu aussi violemment. 2015 encore une finale perdue contre Toulon. Cette fois, ils nous dominent clairement, et pourtant j’ai eu beaucoup plus de mal avec ça. J’ai vieilli, j’étais plus conscient de l’importance de perdre en finale. D’ailleurs, dans cette logique, le plus difficile de tous a été la défaite en Top 14 face à Toulouse en 2019. Dernier.

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C’était tout le contraire de Toulouse, pas de soucis. Mais j’ai aimé la façon dont nous avons construit notre saison. Chut, laissant la lumière aux autres. On s’est dit qu’on resterait dans cette position et qu’on gagnerait tout au final. C’était une super équipe, une belle aventure, une belle histoire. Le titre de la Challenge Cup, c’était quelques semaines plus tôt et même s’il ne s’agissait que d’un « petit doublé », on avait l’occasion de marquer l’histoire du club. Mais Toulouse nous a dominés. Ce final m’a pris très, très longtemps à l’accepter et à le digérer. Demandez à Franck (Azéma), il vous dira combien de temps j’ai mis pour me lever.

J’entends souvent un discours comme celui-ci : « Wesley, tu es tombé sur la mauvaise génération. Je déteste ça ! Pas? Pas. J’étais là où je devais être quand je devais être. Je ne crois pas au hasard et en plus, j’ai adoré chaque minute de la France quinzième. Bien sûr il y a eu des défaites, des matchs manqués, d’autres que j’aimerais jouer. Mais j’appréciais ce groupe. J’ai rencontré des gens formidables. Je ne regrette rien.

Même la coupe du monde au Japon ?

Que regretteriez-vous ? Je ne pouvais pas jouer et je l’ai dit. J’étais honnête. Indiquer.

Avez-vous déjà pensé en voyant l’équipe de France actuelle que ce serait amusant d’être là ?

C’est dans le domaine acide. Je n’ai rien. Ils sont fabuleux, ils jouent très bien. C’est maintenant à leur tour de jouer. Voici leur histoire. Et je ne peux pas les aider à part leur interdire tout amusement, où qu’il se trouve. Qu’ils aiment tout à chaque minute. Parce que c’est beau, mais court.

Au rugby, quelle rencontre avec les gens vous a le plus marqué ?

Je n’aime vraiment pas ce genre de choses parce que tu oublies toujours quelqu’un qui finit par t’en vouloir. (sourit) Si je devais en choisir un, je dirais Vern (Cotter). Il est unique et peut faire peur quand on ne le connaît pas. Mais pour moi, il a une place spéciale, unique. Tout le monde sait que j’étais plus proche de Franck (Azéma), mais Vern m’a laissé sortir et m’a fait confiance quand j’étais un morveux. Je pense qu’il est très strict, mais rétrospectivement, j’ai compris qu’il était très patient avec moi en premier lieu. Il a cru en moi quand j’ai merdé. Je manquais les entraînements, j’étais systématiquement en retard aux entraînements de musculation, je ne venais pas le lundi. Quand il m’a crié dessus, j’ai répondu avec une attitude plutôt distante, voire arrogante. Néanmoins, il a persévéré avec moi. C’est quelqu’un de spécial. Dès que je peux, je leur rends hommage, à lui et à tous ses états-majors ultérieurs.

Pourquoi cette arrogance, cette rébellion ?

Le rugby, je ne voulais pas en vivre. C’était une limite pour moi. Enfant, je voulais juste faire du sport et être avec mes amis. S’ils jouaient au basket, j’allais au basket. Au football, je suis allé au football. Quand ils sont allés au rugby, je les ai suivis. J’avais des qualités naturelles, des installations sportives, donc je m’amusais partout. Et au collège, la seule section sportive était le rugby. Nous sommes donc allés au rugby. Le coach, Serge Collinet, m’a poussé à venir et ne m’a jamais lâché. Alors j’ai commencé.

Bien sûr par accident. Mais vous pourriez aussi tomber amoureux du sport tout de suite…

Tout s’est passé très vite. Je ne suis pas comme Morgan (Parra) qui s’est démené et dès son plus jeune âge pour vivre en tant que joueur de rugby professionnel. Moi, rugbyman, je suis tombé sur moi quand j’avais 14 ans, avec mes amis. A 18 ans, je suis venu à Clermont. Je suis resté seul dans cet appartement. Il n’y avait plus d’amis et je me demandais ce que je faisais là. Ma réaction a été celle-ci : la rébellion. Un petit défaut. Les amis que j’ai rencontrés étaient à Hopes. Donc je n’aimais pas m’entraîner avec des professionnels. J’y mettais clairement de mauvaises intentions.

Vous avez enfin fait carrière. De quoi êtes-vous le plus fier?

(soupirs) Pfff… Je n’y pense pas.

Rien n’y vient. Les souvenirs vont et viennent parfois, mais je ne les compile pas. Je ne les dessine pas à la demande.

Vous évoquez bien plus facilement le regret que l’orgueil, les échecs que les réussites…

(rires) Vous me demandez de me souvenir et la première chose qui revient, ce sont les déceptions, les choses à ma portée et que j’ai ratées. C’est qui je suis… Je ne cours pas après les honneurs et les hommages. Si je devais citer un point positif ce serait : Saint-Étienne en demi-finale de Coupe d’Europe (2015) face aux Sarrasins. L’ambiance dans le stade était absolument folle, incroyable.

Vous avez déjà adopté une approche très spirituelle dans votre carrière. Dites-nous…

Ça m’est aussi arrivé. Mais la différence avec le rugby, c’est que ça va durer toute ma vie.

Approche purement personnelle ou sportive, préparation mentale ?

Uniquement personnel. Cela m’aide dans mon quotidien. Je n’en parle pas beaucoup et je n’aime pas trop en parler.

Cette approche est-elle bien acceptée dans le vestiaire du rugby, connu pour être extraverti et plutôt conservateur ?

Comme je l’ai dit, ce sont des choses très personnelles. Chacun a ce qu’il doit avoir quand il doit l’avoir. Mais c’est intime. Je n’en ai pas parlé, je n’ai pas partagé grand-chose avec mes coéquipiers. Au vestiaire, chacun a droit à une vie personnelle.

également la paternité. C’est important pour tout le monde, mais semble prendre le pas sur tout le reste…

Mes enfants sont tout pour moi. Plus la vie avance, plus le lien affectif se renforce et à un moment donné les voyages ou les invitations en équipe de France deviennent… (hésite) pas « gênant », je n’aime pas cette idée. C’est un grand mot. Mais il ne reste que du bonheur, et il y a aussi un chagrin d’avoir quitté mes enfants. Cela a également contribué à ce que je dise, « peut-être devons-nous mettre fin à cela maintenant ». Tout le monde ne se sent pas comme ça. Je ne juge personne. Je l’ai senti. Quand j’ai dû m’opérer du cou, j’ai dit au chirurgien : « J’ai des enfants, donc s’il y a le moindre doute, le moindre risque, j’arrête tout. En lui écrivant ce message, j’ai regardé mes enfants à la maison.

Je me prépare à entrer à l’école de kinésithérapie, espérons-le en septembre 2023 à Vichy. Maintenant, j’aurai plus de temps pour ça.

Allez-vous rester en contact avec le rugby ou, au contraire, allez-vous passer à une autre vie ?

Je suis un accro du sport. Il m’appellera à un moment donné. Je sais cela. Rugby ou tout autre sport, je suis complètement ouvert d’esprit. Mais j’aime trop ça.

Après toutes ces années de blessures et de galères, parfois dans le doute, Wesley Fofana est-il un homme heureux ?

J’ai de la chance dans la vie de ne pas croire au hasard. Tout ce qui m’arrive, j’y ai pensé et préparé. Ce qui est arrivé à Virimi (Vakatawa), par exemple, doit être très dur à supporter. Ce n’est pas mes affaires. J’ai fait mon choix et je ne me plains pas. Maintenant, le rugby est terminé, mais tout le reste continue.