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mercredi 2 novembre 2022 à 15h35

La Mission interministérielle de surveillance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a été contactée 4 020 fois en 2021, soit une augmentation de 33 % des saisines en un an. Le cadre note l’émergence de « gourous 2.0 » surfant notamment sur les inquiétudes nées pendant la crise sanitaire.

Bain froid, jeûne et jus de carotte : selon les conseils donnés par ce « naturopathe » sur YouTube, Instagram et Facebook, la recette contre le Covid-19 est d’une simplicité déconcertante. D’autant que, selon l’un de ses homologues, un « coach en développement personnel », l’épidémie est le résultat d’un gigantesque complot visant à injecter un « gel nanotechnologique » dans le but de contrôler les citoyens. A chaque fois, ces discours sont accompagnés de propositions de formation coûteuses et de mises en garde contre ceux qui ne partagent pas le même état d’esprit.

« Créer les conditions de l’isolement »

Ces exemples, qui figurent dans le rapport de la Mission interministérielle de surveillance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), rendu public ce mercredi 2 novembre, témoignent de l’émergence de ce que l’organisation appelle des « gourous 2.0 » : des manipulateurs isolés et autonomes surfant dans le contexte de la santé. « La crise provoquée par le Covid-19 a déstabilisé de nombreuses personnes qui se sont égarées dans une société complexe et interconnectée, où l’information coexiste avec la désinformation », analyse le rapport. En 2021, l’organisme a reçu 4 200 références, soit une augmentation de 33,6 % par rapport à 2020. 744 de ces demandes concernaient des problèmes de santé. Un phénomène décrit comme « aux proportions inquiétantes », lié, entre autres, à la désertification médicale.

Dans les cas évoqués plus haut, les internautes reçoivent une formation de plusieurs centaines d’euros, afin, promettent les auteurs, d’accéder à de vraies solutions pour rester en bonne santé. Peu à peu, les membres de son auditoire abandonnent les traitements de médecine traditionnelle et s’isolent de leur entourage. Or, souligne le rapport, « les pratiques non conventionnelles deviennent sectaires lorsqu’elles tentent de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée qui vise à l’exclure de toute forme de rationalité et à créer les conditions de son isolement ». Un principe qui permet, dans la mesure du possible, de tracer une frontière entre libre arbitre et influence sectaire.

« Le confinement a contribué à ce que les gens passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, d’une part, et, d’autre part, à ce qu’il y ait peut-être une plus grande demande de formation en matière de bien-être. porte ouverte à de nouveaux phénomènes, à de nouvelles vulnérabilités », analyse Sonia Backès, secrétaire d’État à la Citoyenneté. Ces techniques de manipulation peuvent avoir des conséquences fatales, comme dans le cas de ce patient décédé après trois mois en réanimation : il avait suivi une formation rémunérée en 1 500 euros dans lesquels on lui conseillait de ne prendre aucune précaution contre le virus.Ou ce « naturopathe, dont au moins deux patients sont morts d’un cancer : il les invitait à soigner la maladie avec le jeûne, les jus de légumes et les huiles essentielles.

« Vente multi-niveaux »

Si les multinationales de la spiritualité « Témoins de Jéhovah » ou « Scientologie » sont toujours d’actualité, la Miviludes souligne, dans son rapport, l’émergence de ce qu’il appelle un phénomène « gazeux » : « Le groupe est là, mais il est mobile, changeant, impalpable. Ses membres adhèrent ou se dissocient facilement », selon les réunions en ligne. D’où la difficulté d’identifier les victimes, dont la plupart restent, de l’aveu même de la Mission interministérielle « totalement indétectables », d’autant plus que les « gourous 2.0 « font confiance à leur isolement » Ces personnes sont intimement convaincues d’avoir été triées sur le volet par un leader quasi messianique et d’appartenir à une communauté unique et sélective. Ils seraient privilégiés. Pour l’apaisement, le bien-être, voire un simple sentiment d’acceptation, ils font peu à peu taire leur individualité pour se fondre dans une relation de soumission absolue. La façon dont le groupe est construit en opposition à l’ordre établi, basé sur des vérités alternatives, est en contradiction avec le reste du monde », décrit le rapport.

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Outre l’émergence de ces conseils santé, le rapport de la Miviludes indique s’intéresser aux « ventes multiniveaux », objet de 86 références en 2021. Le principe est de recruter des vendeurs qui parrainent eux-mêmes de nouveaux revendeurs, contre une rémunération sur les ventes réalisées par leurs recrues. S’il n’est pas nouveau, ce phénomène inquiète le public qu’il touche de plus en plus : les jeunes de 16 à 25 ans, « séduits à l’idée de devenir ‘trader’ à leur compte et ‘s’enrichir en toute autonomie, notamment grâce aux crypto-monnaies' ». Les « coachs » proposent des cours en ligne, incitent les jeunes à investir leur épargne, à abandonner leurs études ou leur emploi et, petit à petit, amènent leur public à rompre avec le cercle familial, proposant même des « kits » d’expatriation.

La Miviludes cite l’exemple d’un « coach » qui propose une formation en finance au prix de 200 euros pendant quatre heures : « Les jeunes seraient invités à mettre en vente leurs ressources financières ou leurs actifs. Incités à garder le secret sur leurs activités, ils adopterait un discours totalement étranger à ses proches mêlant théorie du complot, misogynie et prise de position anti-vaccin. L’homme ne s’arrête pas à l’éducation financière : une grande partie de ses conseils tourne aussi autour de la sexualité. Comment étrangler la copine' », précise le rapport de la Miviludes.

« On assiste en effet à une évolution de la sensibilité des jeunes à ces questions, ce qui nous amène à nous poser la question de la construction d’une forme d’esprit critique. C’est vrai que les jeunes sont énormément sur les réseaux sociaux, et « c’est là que ils obtiennent les informations. Et il est parfois difficile de faire la distinction entre une information vérifiée et une information non vérifiée du tout. Et donc on a enfin la possibilité d’entrer dans les foyers des jeunes. peut-être plus important que chez les personnes âgées », déplore Sonia Backès.

Des réunions dédiées à la lutte contre les phénomènes sectaires devraient se tenir au cours du premier trimestre 2023, en lien avec les ministères de l’Éducation et de la Santé, afin de mettre en pratique un ensemble de mesures permettant, notamment, de sensibiliser les plus jeunes en risque d’influence sectaire et revoir le système législatif.

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