Le désir est l’essence même de l’espèce humaine, mais cet éternel gourmand est insatiable. Dans son dernier opus, Chérissez votre désir et vivez à ras bord !, l’auteur Frédéric Lenoir raconte, de Platon à aujourd’hui, le rapport problématique de l’Homo sapiens au désir, cette pulsion innée, inscrite au plus profond de notre Gênes.

Ah, désir, quand tu nous tiens ! A première vue, on pense à un nouvel ouvrage d’un philosophe et sociologue français entièrement consacré aux poussées de libido, mais il n’en est rien. Chez l’homme, le désir est omniprésent, du sexe au ventre, de la reconnaissance sociale à l’ambition professionnelle.

« Les animaux n’ont que des désirs primaires, tels que manger, boire et dormir, qui cessent lorsqu’ils sont satisfaits. Chez l’homme, la notion de désir est infinie et s’étend à toutes les dimensions de son être et de ses interactions sociales », précise Frédéric Lenoir.

Un problème qui découle notamment du fameux « bug humain » – longuement décrit par le journaliste Sébastien Bohler dans son livre du même nom. L’humain est à la merci de son striatum, le cerveau reptilien enfoui sous la matière grise, qui le rassasie d’une généreuse dose de dopamine à chaque fois que son désir primordial est exaucé… jusqu’au suivant. D’où le sentiment d’exaltation après avoir acheté une voiture rutilante, après une nouvelle conquête amoureuse, avoir obtenu une promotion ou gagné contre une équipe adverse.

Quid du désir ?

Platon a décrété que l’homme serait l’esclave de cette pulsion dévorante qui lui fait désirer ce qui lui échappe. Depuis l’Antiquité, explique Lenoir, les philosophes associent le désir à la passion destructrice, une pulsion qui mène à l’envie, à la jalousie, à la destruction, voire à la perte.

Chez l’homme, la notion de désir est infinie et s’étend à toutes les dimensions de son être et de ses interactions sociales.

« Les anciens codes de sagesse prônaient donc le contrôle, voire l’éradication, du désir. Puis Aristote a plutôt décrit le désir comme une force interne chez les gens, leur inculquant un désir constant d’apprendre, de découvrir, etc. Il a dit.

Mais bientôt ce rapport problématique au désir obligera la plupart des religions à le réglementer, à l’encercler.

Des sept péchés capitaux de la religion chrétienne, destinés à supprimer les pulsions charnelles, à l’ascèse du bouddhisme, les religions ont cherché à encadrer le désir sous toutes ses formes, soutient Lenoir. « Le droit civil a ensuite repris bon nombre de ces lois religieuses. Il y avait une méfiance à l’égard des désirs, en particulier des désirs naturels, comme la sexualité. »

Parce que la rareté est le carburant du désir, l’interdiction imposée à quelques désirs en est vite devenue l’accélérateur, explique Lenoir.

Désir d’autrui

Fait intéressant, le désir se concentre souvent sur ce que le voisin a, note l’auteur du livre Nurture desire and live to burst!. La reconnaissance sociale étant au centre des besoins primaires des personnes, l’objet de leur désir est essentiellement mimétique et largement issu de la construction sociale, précise Frédéric Lenoir.

« Le pouvoir du striatum (qui régule nos besoins primaires) est renforcé par ce désir mimétique qui nous fait vouloir ce que les autres veulent », souligne Lenoir.

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George Bernard Shaw a résumé ainsi les deux tragédies majeures auxquelles l’humanité est confrontée : « D’abord, ne pas obtenir ce que vous voulez le plus, puis l’obtenir. D’où la spirale inflationniste imprimée dans le désir, décuplé par le consumériste qui tire le striatum avec de plus en plus d’objets de désir, pris pour des besoins.

Loin d’apaiser son striatum, le contemporain n’est souvent qu’à un clic de l’obscur objet de ses désirs. « Aujourd’hui, c’est le consumérisme qui uniformise les désirs, ce n’est plus une religion. Vous ne voulez naturellement pas une Rolex. C’est devenu un signe de reconnaissance sociale. »

Même notre modèle économique repose sur ce fameux moteur du désir, miné par les génies du marketing et de la publicité, explique Frédéric Lenoir. A ce rythme, nos pseudo-envies vont bientôt faire exploser la planète.

A voir la plupart de nos souhaits – nos souhaits – exaucés si rapidement, nos voisins sont souvent en fait de vrais souhaits, estime Frédéric Lenoir. Une baisse généralisée de la libido est également observée chez les jeunes exposés à trop de tout, à la pornographie banalisée, à la satisfaction trop rapide des désirs, au chatouillement par simple répétition de clics.

« Le succès de la pornographie reflète le véritable épuisement du désir sexuel, car eros a de plus en plus besoin d’être chatouillé », dit-il.

Faire renaître le réel désir ?

« Redonner conscience à nos désirs est un acte de résistance ! Il faut se recentrer sur ceux qui apportent le vrai bonheur, sortir du striatum qui apporte une récompense immédiate, se tourner vers les désirs de connaissance, de liens humains, de créativité, qui apportent des joies plus profondes. Il s’agit d’apprendre à rediriger nos désirs », explique Lenoir.

Un souhait déjà exprimé par Aristote et Epicure, bien avant que Rolex, Tesla et consorts ne croisent nos wishlists.

Éternel optimiste, Frédéric Lenoir estime qu’il est possible de retrouver cet « élan de vie », alors que de plus en plus de personnes et de jeunes aspirent à autre chose que la poursuite béate du bonheur socialement prescrit. « Jung dit que les jeunes se projettent dans les désirs des autres, puis vers 30-50 ans ils éprouvent une profonde insatisfaction et se demandent comment être heureux. Lorsque nous sommes dans une tristesse chronique, c’est que nos désirs sont mal orientés », estime le philosophe.

« Beaucoup de jeunes refusent désormais de travailler toute leur vie pour payer la banque et se contentent de moins pour avoir une meilleure qualité de vie », ajoute-t-il. Ce mouvement, encore timide, va se propager par des catastrophes, estime-t-il.

Catastrophes ? Oui, rien de moins. C’est ce que Hans Jonas appelle l’éthique de la catastrophe, explique Lenoir, qui considère que les retournements ne se produisent qu’en temps de crise.

« Lorsqu’il n’y a pas d’obstacles, vous ne changez pas. Nous restons maintenant. Le destin du monde dépend de ce changement radical de l’objet du désir, avoir ou être ? Il existe une solution, mais jusque-là, nous avons peut-être subi des catastrophes. Prendre conscience de ses désirs est le plus grand défi de notre époque. »