A l’occasion du 60e anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, l’abbé Michel Viot, prêtre du diocèse de Paris et auteur, nous livre, dans un entretien accordé au Zenit, ses réflexions à partir de son expérience spirituelle et pastorale.

Zenit : Mon père, 60 ans se sont écoulés depuis le début du Concile Vatican II. Comment pouvons-nous comprendre et vivre les développements actuels dans l’Église et dans le monde ?

Père Michel Viot : Il faut comprendre les évolutions dans leur contexte historique respectif et les ramener à la vie ecclésiale dans une dynamique de continuité. Les pontificats de François et de Benoît XVI ne contredisent pas leurs prédécesseurs. Ils utilisent simplement des moyens différents, selon les circonstances. Ils appartiennent à d’autres époques, s’adressent à des pays très différents : l’Église française n’absorbe pas la vie de l’Église universelle. Les questions françaises diffèrent de celles des États-Unis, d’Italie ou d’Allemagne, sans parler des églises plus jeunes d’Afrique ou d’Asie.

Quels sont aujourd’hui les grands enjeux de l’accomplissement du Concile ?

M. V. : Notre Église est aujourd’hui confrontée au risque d’Églises parallèles, où le Concile Vatican II est considéré avec mépris comme une rupture avec le passé. Si la forme liturgique a subi des modifications importantes, ni le fond théologique ni la forme n’ont changé de manière significative. Le rite baptismal actuel semble avoir réduit les exorcismes, probablement sur recommandation de théologiens peu informés de la portée liturgique et pastorale de leur choix. Néanmoins, il les contient sous une forme modifiée, et le geste de base reste valable. Il en va de même pour le rituel de la consécration épiscopale, fondement constitutif de l’Église : à travers les onctions, l’essentiel est préservé. Le grand défi, c’est l’unité comme fruit d’une herméneutique de la continuité, comme disait Benoît XVI.

Le Concile Vatican II a-t-il donné lieu à d’éventuelles ambiguïtés d’interprétation ?

M. V. : On a vraiment vu monter des courants théologiques – notamment en France, celui du Père dominicain Jean Cardonnel de la province de Toulouse, qui aura marqué de nombreux disciples qui sont allés très loin dans une interprétation libérale du Concile. On peut parler d’un conseil mal expliqué devenu parallèle.

De plus, des observateurs protestants au Concile, comme le luthérien Oscar Cullmann et le réformé Hébert Roux, adhèrent plus strictement aux textes du Concile et les comprennent mieux.

Ce qui existait au Concile de Trente et manquait à Vatican II, c’était un ordre religieux, comme celui des Jésuites, pour déployer toutes les potentialités de l’œuvre de l’Esprit Saint à travers les Pères conciliaires.

Mais à ce courant de brèche libérale on ne saurait reprocher son franc-parler, où l’on peut reconnaître le caractère du pape François.

La France a connu une forte vague de déchristianisation dans les décennies qui ont suivi le Concile. Le concile n’a-t-il pas déstabilisé les croyants ?

M. V. : La déchristianisation a commencé avant le Concile, vers 1960. L’Église française traversait une crise, une sorte de syndrome de Vichy : pour rester dans la légalité, l’Église s’était alignée sur le pouvoir de la France depuis la capitulation, en d’autres termes, à la dictature « légale » du Maréchal Pétain. A la fin de la guerre, le général de Gaulle avait demandé la démission de 60 évêques et du nonce apostolique, Monseigneur Valerio Valeri. Cependant, son successeur, Monseigneur Angelo Roncalli, futur Jean XXIII, égalisa et obtint la retraite anticipée de 3 évêques. Frappé par son passé, humilié, le clergé préfère se retirer de la scène publique et s’enterrer dans l’anonymat.

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Lors des guerres coloniales, en 1956, le clergé réagit vivement contre la colonisation française. Les jeunes recrues sont sermonnées non seulement contre la politique du général de Gaulle, mais aussi contre l’héritage culturel français et son œuvre civilisatrice parmi les peuples.

Après la révélation de l’humanisme athée de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir et la psychanalyse de Michel Foucault, mêlée à la propagande communiste anticléricale, le mouvement révolutionnaire de mai 1968 s’est concentré sur les universités, réalisant la destruction de la morale – quelque chose d’anormal Jules Ferry n’avait pas osé toucher. La future intelligentsia a été formée à la décadence morale.

L’idéal perdu du catholicisme français ne se trouve pas dans les écrits de Charles Maurra, mais dans la profonde méditation que Georges Bernanos a produite sur les idéaux de l’Évangile et de l’Église.

La voie synodale en Allemagne n’a-t-elle pas voulu anticiper le synode sur la synodalité ? Pourquoi l’unité est-elle plus menacée en Allemagne que dans la démarche du pape François ?

M. V. : En tant qu’ancien évêque protestant, avant de revenir à l’Église catholique, j’ai pu observer le paysage religieux allemand. Au nom de l’œcuménisme, l’Église catholique allemande glisse insensiblement vers la création d’un second protestantisme, dont la gouvernance – contrairement à la synodalité catholique – est d’ordre consultatif et délibératif. Cependant, en Allemagne, nous voyons le luthéranisme en déclin constant. L’essor qu’il avait connu en République démocratique allemande (RDA), créant des espaces de liberté d’expression par rapport au régime totalitaire, s’est estompé avec la chute du communisme.

La voie synodale allemande aura sans doute des conséquences sur la question des impôts pour l’Église (Kirchensteuer) : la compromission du pouvoir politique, si l’Église en Allemagne s’éloignait de Rome elle pourrait rester, celui qui, en s’assurant l’adhésion du plus grand nombre de fidèles, permet financièrement l’entretien des œuvres. Or, selon le concordat, cet impôt n’est pas attribué à la conférence épiscopale : il n’est effectif que dans la communion de l’évêque avec Rome. En ce sens, une voie synodale divergente peut conduire à la faillite.

D’autre part, l’Église trouvera toute sa force et son rayonnement renouvelés dans la communion des évêques et de leur Église particulière avec l’évêque de Rome. D’où l’importance d’associer tout le peuple à la mission de l’Église universelle.

Commentaires recueillis par les éditeurs

Pour en savoir plus : Père Michel Viot, La Révolution chrétienne, entretien avec le Père Guillaume de Tanouarn, édition de L’Homme nouveau.