Pendant 18 mois, il a été le « Mr. Vaccin » contre le Covid, un interlocuteur bien entendu du ministre de la Santé. La dissolution en juillet du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, qui a été remplacé par le Comité de surveillance et d’anticipation des risques sanitaires mis en place le 29 septembre, a rendu sa liberté à Alain Fischer, 73 ans, professeur d’immunologie pédiatrique et chercheur dans le domaine de la thérapie génique. .

Covid, grippe, nouvelles variantes… Alain Fischer veille sur tous les virus. Le vendredi 7 octobre, à 14h30, il débarque pour l’une des premières rencontres de Futurapolis Santé, un événement de deux jours avec conférences à l’Opéra Comédie de Montpellier pour apprendre « les grandes leçons du Covid » auprès d’experts ouverts à tous.

Ils viennent à Montpellier pour parler des leçons du Covid. Que retenez-vous de ces dix-huit mois que vous avez passés à la tête du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale au cœur de l’épidémie ?

Premièrement, l’épidémie n’est pas terminée, même si l’on peut espérer ne plus voir de variantes susceptibles de provoquer de nombreux cas graves, mais nous ne sommes pas totalement immunisés. Le deuxième point est qu’il y a eu une adaptation des vaccins, avec des recherches très actives en ce moment, notamment sur les vaccins bivalents qui seront disponibles la semaine prochaine. Il existe également des tentatives de recherche pour aller plus loin, notamment sur des vaccins muqueux qui pourraient être administrés par inhalation nasale. Ils pourraient également présenter un intérêt car ils pourraient réduire le risque d’infection.

On en parle depuis longtemps, êtes-vous au courant ?

Il y a beaucoup de choses en cours et il y a même des vaccins qui ont été approuvés en Chine, on ne sait pas quoi en penser. Mais en tout cas, ce type de vaccin est actuellement en essais cliniques. Il est trop tôt pour dire si cela fonctionnera, mais si c’était le cas, ce serait bien. Ils doivent être pris en plus d’autres vaccins, et non à leur place. Afin d’avoir une immunité complète et notamment de se protéger des formes sévères, il vous faudrait toujours les vaccins que vous connaissez. Mais ce serait bien de pouvoir combiner les deux. Il est possible que cela soit possible dans les mois et peut-être les années à venir. Quoi qu’il en soit, c’est une piste de recherche intéressante.

Comment ressortez-vous personnellement de ces mois en pleine crise à la tête du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale ?

Nous avons joué un rôle consultatif et technique auprès du gouvernement pour l’aider à prendre des décisions, je pense que cela a plutôt bien fonctionné. La force était que nous étions un groupe pluridisciplinaire, avec des regards différents, des scientifiques, des médecins, des spécialistes de la vaccination mais aussi des médecins généralistes, des pharmaciens, des chercheurs en sciences humaines et sociales qui apportaient un éclairage pour comprendre comment les gens réagissent, comment… mieux gagner leur confiance… et aussi des représentants de la société civile et des associations de patients qui ont aggravé les difficultés. C’était bien que nous soyons pluridisciplinaires. Nous étions indépendants et avons pu répondre rapidement aux questions que nous posait le gouvernement. Nous avons travaillé avec une certaine efficacité je pense pendant 18 mois. Il fallait constamment s’adapter. C’était presque « top ».

Était-ce quelque chose de nouveau ?

La France a toujours eu des experts scientifiques conseillant le gouvernement à des degrés divers, mais c’est quand même une première d’avoir l’avis scientifique d’une part et l’avis sur la stratégie vaccinale d’autre part. Peut-être faudrait-il en tirer des leçons pour l’avenir, ce qui est déjà le cas, puisqu’au lieu de ces deux conseils, le gouvernement a créé le Comité de surveillance et d’anticipation des risques sanitaires, qui devrait élargir le champ de travail des scientifiques impliqués pour inclure tous les types de risques pour la santé et d’être proactif pour pouvoir réagir à de futures pandémies ou éventuellement à d’autres risques pour la santé. C’est une bonne leçon à tirer de cette pandémie et une bonne évolution à mon sens.

Nous avons navigué dans l’incertitude

Derrière la communication très calme entre vous, y a-t-il eu des moments de tension, de doute, d’insécurité ?

Nous avons navigué dans l’incertitude. C’est caractéristique de situations très évolutives et nous avons été confrontés à une nouvelle maladie infectieuse sans avoir de données définitives pour savoir s’il fallait faire ceci ou cela. Il y a eu très souvent des situations où on nous a donné une opinion sachant que nous étions dans cette incertitude que nous pouvions nous tromper. Et il fallait aller vite. C’était différent de ce que fait la Haute Autorité de Santé, qui donne des conseils, mais dans une situation non urgente. On n’avait pas toujours tous les éléments, on n’y pouvait rien.

Y a-t-il eu des moments plus tendus que d’autres, avec plus de doutes ?

Surtout au début de l’épidémie, alors qu’il s’agissait de savoir si les données sur l’efficacité de la vaccination recueillies dans les essais cliniques des différentes sociétés pharmaceutiques étaient confirmées dans la vraie vie. Il y a toujours cet «écart» que nous voyons pour l’intérêt pour certains médicaments.

De plus, le vaccin AstraZeneca provoque très rarement des cas graves de thrombose, ce qui a soulevé beaucoup de soupçons sur ce vaccin. Une telle situation n’est pas facile à gérer, il faut savoir bien expliquer les choses, le niveau de risques, la notion de bénéfice/risque, ce qui est absolument nécessaire pour prendre une décision.

Et quand on a vu une vague du variant sud-africain arriver en Moselle au printemps 2021, on s’est demandé s’il était aussi sensible au vaccin que les autres, s’il fallait prendre des mesures particulières pour la population. plusieurs fois, toujours dans l’Incertain et forcément avec une certaine tension. Et c’est reparti.

Vous donnez toujours l’impression de traverser tout cela avec beaucoup de calme, mais était-ce parfois la tempête en vous ?

La tempête, le mot est un peu fort, mais des questions bien sûr. Notre tâche était de faire passer un message correct à la population, mais qui n’ait aucune raison de paniquer. Il faut dire des choses, parfois « je ne sais pas », avec les données dont on dispose. En général, cela aide à dédramatiser les situations, mais pas toujours. Il vaut mieux faire de la pédagogie de cette façon qu’en tension.

La reprise épidémique actuelle est assez logique

Vous avez beaucoup travaillé avec des professionnels…

Oui, avec beaucoup de monde, j’en ai rencontré beaucoup, avec des médecins, des associations de patients, des Ehpad. Nous avons plus ou moins réussi. Là où nous n’avons pas eu de succès, c’est dans l’outre-mer. Les messages que nous avons pu faire passer n’ont pas créé un minimum de confiance. Quant à la vaccination, nous nous sommes retrouvés avec un échec assez gros, alors qu’il est satisfaisant pour la grande ville.

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Avez-vous vous-même été confronté à l' »Antivax » ?

Moins que je ne l’aurais pensé, pas trop. Quelques messages ici et là.

La reprise actuelle de l’épidémie vous inquiète-t-elle ?

C’était prévu. Pour l’instant, nous assistons à une reprise, indéniable mais pas très forte, avec la même variante BA5 qui a fait rage plus tôt dans l’année. C’est assez logique. Parce que le temps passe et que notre immunité moyenne collective baisse, d’autant plus que les gens sont sous-vaccinés. Deuxièmement, nous entrons dans une période où le climat est plus propice au virus. Troisièmement, nous avons un peu baissé notre vigilance sur les gestes barrières, qui sont tous utiles.

Ce que l’on peut espérer tant qu’il n’y aura pas de nouvelles variantes, c’est que l’on maintienne une immunité qui évite des hospitalisations excessives dans des situations graves. Pourtant, les personnes à risque et les professionnels de la santé doivent recevoir une quatrième dose, ou une cinquième pour ceux qui ont déjà reçu la quatrième, pour réduire le risque. Il y a encore des gens qui sont hospitalisés et des centaines meurent chaque jour. Nous ne sommes pas dans la perspective d’une 8ème vague très sévère, mais cette vague existe et elle aura des conséquences, il faut se protéger. Si aucune nouvelle variante ne suit, il ne s’agit pas d’une situation qui nécessite des mesures particulières. Le petit risque que nous ne pouvons totalement écarter est l’arrivée d’une nouvelle variante plus résistante. Ce n’est pas le scénario le plus plausible, mais il faut être vigilant.

Alors les plus faibles doivent faire leur rappel, l’action commence lundi.

Oui, et aussi la grippe, dont la campagne démarre quelques jours plus tard, toujours avec la même cible prioritaire. Vous devez faire les deux.

Êtes-vous inquiet pour Khosta-2, ce nouveau coronavirus découvert chez des chauves-souris en Russie ?

Vous n’avez pas à vous inquiéter chaque fois qu’un nouveau virus apparaît. Nous n’avons pas encore fini de le découvrir ! Rien de spécial à dire pour le moment.

Pouvez-vous prendre du recul aujourd’hui ?

En tant qu’immunologiste, ces questions m’ont toujours intéressé. Mais pas dans la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés ces derniers mois, nous devions nous assurer de ne pas manquer une version importante, mais tous ne sont pas créés égaux.

Les arguments selon lesquels Didier Raoult prétendait que l’hydroxychloroquine était efficace n’ont pas tenu une seconde

Et vous, avez-vous tout de suite remarqué qu’il y avait un problème avec Didier Raoult à l’IHU de Marseille ?

Je me souviens de discussions à l’Académie des sciences à propos de leur premier article affirmant que l’hydroxychloroquine était efficace contre le Covid. Nous avons vu qu’il était bourré d’erreurs. On ne peut pas dire que l’hydroxychloroquine soit inefficace. Mais on peut dire que les arguments de Didier Raoult pour affirmer son efficacité n’ont pas tenu une seconde. C’est tout à fait clair. Malheureusement, il y a eu une certaine négligence parmi nous tous, et j’y reviendrai. Je pense que nous sommes tous coupables de laisser faire, dans la communauté scientifique, et ça s’est propagé bien au-delà de nous dans le monde politique, ça fait mal, c’est clair que beaucoup de gens là-bas l’ont suivi, le suivent encore. C’est aussi une leçon à tirer pour l’avenir. La liberté d’expression existe, mais l’opinion et l’interprétation des faits ne sont pas les mêmes. La communauté scientifique doit intervenir lorsqu’un de ses membres semble déraper. Il n’y avait pas que lui, il y avait aussi M. Perronne. Précisément parce que nous devons être plus présents auprès des politiciens, il est difficile de prendre des décisions sans expertise.

Vous aviez déjà une expérience politique, vous étiez dans l’équipe de campagne de Martine Aubry, et là aussi vous aviez un rôle quasi politique…

Avec Martine Aubry, ça n’a pas duré longtemps, moins d’un mois. Il s’agissait ici d’une expertise scientifique, d’un rôle politique au sens le plus large du terme.

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« J’avais le vertige » : Olivier Véran raconte comment il a frôlé le burn-out pendant la pandémie de Covid

Olivier Véran évoque dans ses mémoires le moment où il s’est senti proche du burn-out, cela vous est-il arrivé ?

Non… Honnêtement, être ministre est beaucoup plus difficile qu’être scientifique. La décision qu’il a prise l’a engagé, nous l’avons conseillé. Il est beaucoup plus facile de conseiller que de décider.

Tu étais Mister Bubble Babies, tu es devenu M. Vaccin »… avez-vous trouvé le juste équilibre ?

Je ne suis ni l’un ni l’autre. C’est vrai que le cœur de mon travail, ce sont les « baby blisters », je n’aime pas trop ce terme, les enfants immunodéprimés. Je continue à travailler dans ce domaine. Je ne suis pas « Monsieur Vaccin » non plus parce que je n’ai pas encore décidé… tout s’enchaîne parce que les deux matières sont l’immunologie. C’est mon domaine.

Le poste de ministre de la Santé vous a-t-il été proposé ?

Bien sûr que non ! Il n’y a absolument aucune raison.

Quel est ton « après » aujourd’hui ?

Je suis à la retraite depuis un moment, mais je reste intéressé par les patients, fais de la recherche et suis vice-président de l’Académie des sciences, il y a beaucoup de questions sur le rapport entre science et société sur lesquelles nous reviendrons. Tout cela m’occupe pas mal.

Vous avez repris votre chronique dans les médias, un de vos derniers articles porte sur l’épidémie de peste. Dans sa passionnante « Histoire des épidémies » (1), rééditée à l’occasion de la pandémie de Covid, Jean-Pierre Dedet, qui vit à Montpellier, évoque aussi les épidémies de peste, de grippe, de choléra… et rappelle que chacun d’un radical ont été suivis de changements dans la société. tu y crois

Oui, avec des nuances. Ce n’est pas le cas de la peste, qui a tué la moitié de la population au 14ème siècle et bien d’autres plus tard… les conséquences sont évidentes, mais elles ne sont pas de la même ampleur que les épidémies ou pandémies précédentes. Notre société ne sera pas radicalement différente.

Et nous ne vivons pas une révolution que nous n’imaginons pas…

Non, je ne pense pas que nous ayons une meilleure prise de conscience de ce qui pourrait être un risque grave pour la santé de type pandémie et c’est tout, je ne suis pas sûr que cela aille beaucoup plus loin que cela.

En conférence à Futurapolis, organisé les 7 et 8 octobre à Montpellier

J’ai été très intéressé par ce travail riche et dense, mais c’est bien aussi que les choses aient une fin, que d’autres s’y accrochent. Je suis très favorable aux missions qui ne durent pas trop longtemps et où les personnes impliquées se renouvellent, il n’y a pas d’irremplaçables, c’est l’évolution des choses.