Les Gilets jaunes bouclent quatre ans
Manifestations des gilets jaunes à Metz le 16 décembre 2018.
Samedi 17 novembre 2018, près de 300 000 gilets jaunes manifestent en France contre la vie chère. Quatre ans plus tard, que reste-t-il de ce mouvement ? Répondez avec Nathalie Maier, l’une des premières militantes du rond-point d’Aumetz.
Les Gilets jaunes bouclent quatre ans
Samedi 17 novembre 2018, près de 300 000 gilets jaunes manifestent en France contre la vie chère. Quatre ans plus tard, que reste-t-il de ce mouvement ? Répondez avec Nathalie Maier, l’une des premières militantes du rond-point d’Aumetz.
« Qui est si en colère contre nous pour avoir fait ça ? Nous ne savons pas. Tout ce que nous savons, c’est que c’est la vingtième fois qu’il est détruit. Cette fois, on y a mis le feu… » Pour Nathalie Maier, fataliste, cette cabane érigée sur la D16, à l’intersection de la D906 et de la D952, vers Esch-sur-Alzette, n’aurait pas dû renaître de ses cendres. De toute façon, ce n’était pas fait pour durer. Ses bâtisseurs ont vu à travers cet ensemble de bibelots, symbole d’une lutte éphémère, mais forcément victorieuse. Ce jeudi 17 novembre, le mouvement des « Gilets jaunes » souffle ses quatre bougies. Mais est-ce un anniversaire ou une fête ?
Ce même jour de 2018, pour affirmer leur ras-le-bol face à la hausse du prix du carburant – et plus généralement de la vie – 282 000 Français décident de bloquer le pays. Pour ce faire, ils occupent des ronds-points. Ce jour-là, la France est inactive. Nathalie Maier, elle bat son plein. Pour cette Boulangeoise, alors employée dans une station-service à Esch-sur-Alzette, c’était une évidence. « Je ressentais cette colère depuis des années, alors le 17 au matin, je suis allé voir Jean-Pierre, mon voisin, en lui disant : ‘prends un thermos de café, allons nous promener et allons-y’ jusqu’à ce que on croise des gilets jaunes. Votre première rencontre avec ces purs et durs sera à vingt bornes. A Briey.
Les exigences, j’ai très bien compris, mais passer des jours et des nuits sur un rond-point… Alex Maier
Les exigences, j’ai très bien compris, mais ensuite passer des jours et des nuits dans un rond-point…
« Quelques jours plus tard, se souvient Nathalie, j’ai appris qu’un groupe s’était créé à Aumetz. J’y suis allé, genre, pour voir. Et je suis toujours là… » Du haut de ses 51 ans, cette mère célibataire est restée fidèle à la cause. Une union à laquelle Alex, sa fille, alors âgée de 24 ans, était opposée. « A l’époque, je ne travaillais pas et je me disais qu’avec la proximité du Luxembourg, on n’avait pas pitié. Les exigences, j’ai très bien compris, mais ensuite passer des jours et des nuits dans un rond-point… » « C’est vrai que deux fois par semaine, je rentrais du boulot pour récupérer Laïka, mon Rottweiler, et j’allais au rond-point. Pas exactement pour dormir, mais pour marquer notre présence et protéger la cabine. Et ce jusqu’à 8h du matin quand une autre équipe a pris le relais. Quand j’y pense, Laika nous a beaucoup aidé à quelques reprises… »
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Spiritueux et spirituel
Entre Nathalie et Alex, ce malentendu conduira, comme dans de nombreux foyers, à une rupture. « On a fini par ne plus se parler », confie la seconde, un peu gênée de voir sa mère rejoindre un univers qui à ses yeux est plus spirite que spirituel. Sa mère nuance : « Je ne me reconnaissais pas là-dedans et, très vite, entre ceux qui venaient boire et les profiteurs, il a fallu faire un écrémage. Mais le mal était fait, les médias ont joué dessus pour nous discréditer… »
Quand on entend quelque chose sur une chaîne d’information, on suppose qu’il faut comprendre le contraire…Nathalie Maier
Quand on entend quelque chose sur une chaîne d’information, on suppose qu’il faut comprendre le contraire…
Du côté des médias, Nathalie se méfie d’elle en tant que Covid-19. Sa préférence va aux « indépendants » où « il y a encore de vrais journalistes, qui font leur vrai travail ». Sinon, Nathalie dit s’informer « d’une autre manière ». « Grâce à Facebook, nous avons des vidéos de l’Assemblée nationale et de ce qui s’y passe… En général, nous ne croyons pas tout ce qu’on nous raconte. De plus, quand on entend quelque chose sur une chaîne d’information, on suppose qu’il faut comprendre le contraire… On va beaucoup plus loin, on va chercher l’information à la source. Nous nous tournons souvent vers les médias étrangers. Ils sont neutres et indépendants… »
Aumetz dans le New York Times
Août 2019. Pour comprendre le phénomène des gilets jaunes, le New York Times dépêche Norimitsu Onishi à Aumetz. Nominée en 2017 au prix Pulitzer pour un reportage dédié aux personnes âgées au Japon, la reporter va se fondre dans le décor. « Il est resté trois jours avec nous, discutant, nous écoutant pour nous comprendre. Il a vraiment fait un super reportage ! » s’extasie Nathalie, persuadée que le passage dans les colonnes du célèbre quotidien américain illustre l’indélébile du mouvement : « Les Gilets jaunes ont marqué l’histoire ». Sans changer de cap, elle serait tentée d’ajouter : « Non c’est faux, avoue-t-elle sur un ton aigre-doux. A l’époque, le mouvement s’est mis en place parce que le diesel coûtait environ 1,50 euro. On ne peut pas dire que ça marchait… »
Quand les gens s’arrêtent, quand ils s’arrêtent pour discuter, ils sont souvent surpris de voir qu’on parle normalement… Nathalie Maier
Quand les gens s’arrêtent, prennent le temps de parler, ils sont souvent vite surpris de constater que l’on parle normalement…
Une de ses satisfactions est d’avoir vu sa fille comprendre son engagement au point d’embrasser la cause à son tour. « Le Covid nous a rapprochés », raconte Alex, déjà devenue maman à son tour, dont les premiers pas, gilet jaune sur le dos, remontent au port obligatoire du masque dans les écoles. « Je ne me voyais pas laisser ma petite fille avec un masque en classe. Alors, j’ai rejoint une manifestation, puis une autre et une autre… »
Pour Alex, c’est donc une révélation : « J’ai compris pourquoi ma mère passait autant de temps avec eux. Pourquoi avait-elle besoin de les voir. Ils sont devenus comme des membres de notre famille. Plus encore que notre propre famille. Ce sont peut-être de grands mots, des mots forts, mais j’ai passé la plupart de mes week-ends avec eux… »
Le café avec les gendarmes
Une « famille » choisie et assumée contre vents et préjugés. En parlant de quoi, se sentaient-ils étiquetés comme « rares » ? « On a cette image de cassos, d’alcooliques et de paresseux… Mais quand les gens s’arrêtent, prennent la peine d’argumenter, ils sont souvent vite surpris de voir qu’on parle normalement… » Il y a eu des dialogues. Surtout avec les forces de l’ordre. « Lorsqu’ils passent près de la cabane, confie Nathalie, les gendarmes locaux allument les gyrophares, vous saluent et parfois même s’arrêtent pour un café et une petite conversation. Que nous disent-ils ? Je ne veux pas trahir leur devoir de réserve, mais disons simplement qu’ils nous comprennent… »
Avec la police et les CRS, le dialogue semble rompu. « J’ai toujours été un fervent partisan de la police, mais après avoir vu ce que j’ai vu pendant les manifestations, ce n’est plus possible… » A propos des « violences policières », un terme qu’Emmanuel Macron reconnaîtra – même, Nathalie ne traîne pas et se réjouit presque d’avoir rencontré, un jour, un jeune policier qu’elle avait soigné quelques semaines plus tôt lors d’une manifestation saline. « Il a été gazé par la police. Il n’a rien vu… »
En tant que travailleur frontalier, je ne devrais pas me battre pour les retraites car le Luxembourg me paiera myNathalie Maier
En tant que frontalier, je ne devrais pas me battre pour les retraites, car le Luxembourg paiera mes
A ce propos, comment Nathalie voit-elle l’avenir ? « En tant que travailleur frontalier, je ne devrais pas me battre pour les retraites, car le Luxembourg paiera les miennes. Mais ce qui me révolte, c’est l’injustice. A Metz, je vois des gens dormir dans leur voiture, d’autres fouiller dans les poubelles pour manger en travaillant ! » Parlez beaucoup mais agissez peu.
Klaxons, «peste jaune» et crachats
« Sur les réseaux, j’en vois beaucoup qui se plaignent du bas salaire, de la petite pension… Et ça, alors que ce sont les mêmes qui parlaient de »peste jaune » et crachaient sur nous à la moindre occasion », dit-elle sans cacher son amertume. « J’ai de la rancune contre ces gens. Et donc, à tous ceux qui passent et klaxonnent en guise de soutien, si vous aviez juste marché dans la rue avec nous au lieu de klaxonner, nous ne serions pas là aujourd’hui… »
Mais « là » pour un gilet jaune, c’est où exactement ? Pour Nathalie Maier, la récente grève des raffineries a été une énième occasion manquée pour les « petits » de se faire entendre. « Que s’est-il passé ? Le gouvernement a fait en sorte de monter les gens contre les grévistes, les faisant passer pour des paresseux ou des sous-payés… Mais si le mouvement avait duré, le gouvernement aurait été très mal loti. la lettre de division.
Lorsqu’on lui demande comment elle voit l’avenir des gilets jaunes en général, et d’Aumetz en particulier, Nathalie Maier semble se réjouir. « Je ne sais pas… Ma question est : comment les gens arrivent-ils à survivre ? Je suis payé au salaire minimum luxembourgeois plus les week-ends. Bref, j’ai de la chance. »
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