Difficile de ne pas être frappé par le contraste. Alors que toute la journée, économistes, hommes d’affaires et autres commentateurs s’inquiètent des risques que la crise énergétique fait peser sur l’économie mondiale, s’agonisent sur l’avenir de l’inflation, et tentent d’évaluer l’ampleur de la récession à venir, un indicateur très scruté est singulièrement. résister à cette tempête : des emplois.

Avec un taux de chômage de 7,3 %, atteint depuis les années 80, la France est loin d’être un cas isolé. Même si la situation reste très différente selon les pays – 12,4 % en Espagne et 3,7 % aux États-Unis -, dans la majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux de chômage baisse depuis plusieurs années. En juillet dernier, il a même atteint un plus bas historique, à 4,8 % (pour remonter très légèrement en octobre).

Un décalage avec la conjoncture qui pourrait s’accentuer

Certes, la situation n’est pas aussi paradoxale qu’il n’y paraît. En tant que telle, l’inflation n’a jamais créé de chômage et le marché du travail réagit toujours avec un décalage aux conditions économiques. Après la crise financière de 2008, il a fallu près de deux ans pour que le chômage atteigne son plus haut niveau. Avec les milliards qui ont été déversés dans l’économie pendant la pandémie, et ceux qui y ont été ajoutés par la crise énergétique, ce désaccord pourrait devenir encore plus prononcé.

« Si l’on prend l’exemple français, les défaillances d’entreprises sont encore bien en deçà de leur niveau d’avant crise, notamment parce que l’État a reporté à plusieurs reprises les échéances de remboursement des PGE (prêts garantis par l’État, ndlr), accordés pendant la crise sanitaire. » Sans cela, on aura sans doute plus de destructions d’emplois », estime l’économiste Éric Heyer, à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Des difficultés de recrutement dans tous les pays développés

Cependant, le « ce que ça coûte » n’est pas le seul responsable de ces bons chiffres. Même avant la pandémie, le taux de chômage dans les pays développés était inférieur à ce qu’il était avant la crise de 2008. Surtout, elle s’accompagne aujourd’hui de difficultés de recrutement sans précédent, y compris dans les pays aux systèmes de protection sociale peu généreux.

Aux États-Unis, il y a actuellement deux fois plus d’emplois non pourvus que de demandeurs d’emploi. Au Royaume-Uni, 1,2 million d’offres recherchent leurs candidats. Quant à la France, malgré un taux de chômage relativement élevé, les difficultés de recrutement sont toujours citées comme le principal problème des chefs d’entreprise : on estime qu’il y a près de 400 000 postes à pourvoir.

Depuis des mois, chercheurs, économistes, statisticiens et sociologues tentent de percer le mystère des emplois non pourvus et des travailleurs Covid manquants… Entre le recours massif au télétravail, la baisse d’attractivité de certains secteurs, et une forme post-Covid, de nombreux phénomènes plus ou moins permanents ont perturbé le marché du travail, mais ils ne doivent pas masquer des tendances plus structurelles.

Une population en âge de travailler qui diminue

Si le chômage recule dans la plupart des pays riches, c’est avant tout pour des raisons démographiques. « Dans les pays de l’OCDE, la population en âge de travailler stagne voire commence à diminuer, ce qui explique la montée des tensions sur le marché du travail », rappelle Anton Brender, économiste de Candriam.

Parmi les pays qui ont entamé leur déclin démographique, l’Allemagne vise à recruter 400 000 travailleurs étrangers chaque année. Quant au Japon, qui a fait le pari de la robotisation, on estime qu’un tiers de sa population en âge de travailler disparaîtra d’ici 2040.

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Avec la fermeture des frontières liée au Covid et les problèmes politiques créés par l’immigration dans certains pays, la réduction de la mobilité internationale a accentué le phénomène. « Les chefs d’entreprise anticipent ces problèmes démographiques, donc ils sont plus réticents à licencier », décrypte l’économiste Henri Sterdyniak. « C’est d’autant plus vrai que la crise actuelle est une crise d’offre et non de demande, et que les entreprises ont des carnets de commandes pleins, ce qui les incite à tergiverser », précise Éric Heyer.

Des gains de productivité qui diminuent

La perte des gains de productivité du travail observée au cours de la dernière décennie oblige également les entreprises à embaucher plus de salariés à rendement égal. Là encore, les explications avancées sont multiples et difficiles à hiérarchiser. Depuis les années 2000, du fait de la désindustrialisation et du vieillissement des populations, les économies du Vieux Continent tendent à créer davantage d’emplois dans les services, par nature moins productifs que ceux de l’industrie.

De plus, alors qu’on imaginait que la digitalisation de l’économie serait un facteur de destruction massive d’emplois, elle s’est pour l’instant principalement traduite par le développement d’une nouvelle forme de travail, plus abondante, mais aussi plus précaire et moins productive : la – free-lance. travail des plateformes en ligne. Ces petits boulots de la « Gig Economy » comme on les appelait aux Etats-Unis.

Selon Henri Sterdyniak, « ce nouveau type de travail explique au moins la moitié de la baisse du chômage dans les économies développées. Il est fort possible qu’aux Etats-Unis, la crise sanitaire ait accéléré le mouvement, détournant les travailleurs des métiers les plus stressants vers ces métiers tout aussi difficiles mais plus flexibles.

Avec ses effets sur la santé des travailleurs, le Covid n’a pas aidé cette anémie de la productivité. « L’augmentation de l’absentéisme contribue aussi à la rétention des salariés : face à la multiplication des arrêts de travail, les entreprises préfèrent constituer des réserves », observe Éric Heyer.

Des réformes qui jouent un rôle secondaire

Au-delà de ces enjeux démographiques et technologiques, les gouvernements soulignent également le rôle des réformes engagées pour améliorer le dynamisme de leur marché du travail. C’est sur cette base que le gouvernement Borne vient de faire voter sa réforme de l’assurance-chômage : s’ils sont indemnisés moins longtemps, les chômeurs trouveront plus facilement du travail.

Mais de l’avis de Stefano Scarpetta, spécialiste du sujet à l’OCDE, « les réformes qui ont eu le plus d’effet sur le niveau du chômage sont celles qui permettent d’améliorer l’adéquation entre les besoins des entreprises et les demandeurs d’emploi. ‘utilisation’. Autrement dit, en France, celles liées à la formation professionnelle ou à l’apprentissage.

A plus ou moins long terme, et même si le marché du travail résiste mieux qu’avant, il sera pris dans la mauvaise conjoncture économique. Des plans sociaux ont déjà commencé dans la technologie américaine (Twitter, Meta, etc.), avec plus de 130 000 licenciements annoncés en 2022. Pour l’instant, l’Europe et la France sont encore relativement épargnées. Jusqu’à quand ?, diront les cassandres.

Le nombre de demandeurs d’emploi encore en baisse en octobre

Les bons chiffres du chômage sont indéniables en France. Selon les dernières statistiques de la Dares, publiées vendredi 25 novembre, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A (sans activité) a baissé de 1% en octobre par rapport à septembre, avec 30 500 chômeurs en moins soit 3,092 millions.

En incluant l’activité réduite (catégories B et C), le nombre de demandeurs d’emploi n’a diminué que de 0,2 % (-10 800) pour atteindre 5,413 millions.

Jugés plus fiables, les derniers résultats trimestriels de la Dares avaient fait état à fin octobre d’une stabilité du nombre de personnes en recherche d’emploi par rapport au deuxième trimestre, de 3,164 millions d’inscrits (- 1.700).

Sur un an, la baisse en catégorie A est de 9,6%, et de 6,7% pour les catégories A, B et C.