Brevets sur l'orge OGM : Carlsberg et Heineken consolident leurs droits - Inf'OGM

Fin octobre 2021, Carlsberg et Heineken demandent la révocation d’un de leurs brevets européens, dont l’orge génétiquement modifiée et la bière qui en est issue. Pourquoi les géants brassicoles renoncent-ils à des droits que l’Office européen des brevets (OEB) était prêt à leur accorder après 11 ans de litige ? Début de réponse en mai 2022 : après une procédure encore plus longue, l’OEB délivrera un nouveau brevet pour Carlsberg, plus ancien et a priori plus large. Cela l’explique-t-il ?

Fin octobre 2021, Carlsberg et Heineken demandent la révocation d’un de leurs brevets européens, dont l’orge génétiquement modifiée et la bière qui en est issue. Pourquoi les géants brassicoles renoncent-ils à des droits que l’Office européen des brevets (OEB) était prêt à leur accorder après 11 ans de litige ? Début de réponse en mai 2022 : après une procédure encore plus longue, l’OEB délivrera un nouveau brevet pour Carlsberg, plus ancien et a priori plus large. Cela l’explique-t-il ?

En décembre 2009, Carlsberg [1] et Heineken, malgré des concurrents, ont déposé conjointement la demande de brevet EP2384110 auprès de l’Office européen des brevets (OEB), qui revendique notamment de l’orge génétiquement modifiée, la boisson à base de cette orge – la bière – et le procédé de sa production. Les modifications génétiques décrites visent à inactiver deux enzymes, LOX-1 et LOX-2, qui induisent la synthèse de l’arôme que les brasseurs souhaitent réduire voire supprimer. Ce procédé est présenté comme très innovant car personne d’autre en 2009 n’a réussi à maîtriser la modification génétique de l’orge. Sa mise en œuvre n’étant limitée à aucune technique de mutagénèse particulière, le brevet couvre tous les produits contenant la modification des gènes LOX-1 et LOX-2 revendiqués, quels que soient les procédés pouvant conduire à cette modification, y compris la mutagénèse aléatoire in vitro sur cellules culture ou toute technique post-brevet [2]. Le brevet a été délivré en mars 2016.

Les brasseurs abandonnent un brevet

Les brasseurs abandonnent un brevet

En janvier 2017, la coalition No Patents On Seeds (NPOS) [3] s’est opposée à ce brevet en raison de l’exclusion du brevetage d’une invention « essentiellement biologique » (Art. 53 CBE [4]) et de l’absence d’activité inventive [5 ] (art. 56 ETP). Le NPOS repose sur la non-brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux et des végétaux obtenus uniquement par de tels procédés. En effet, elle considère que la mutagénèse aléatoire n’est pas une étape technique et que, de ce fait, la mutagénèse peut être considérée comme « substantiellement biologique » et donc non brevetable. Cette approche soulève des questions en droit des brevets, et notamment sur les OGM, dans le contexte actuel où la Commission européenne entend déréguler les produits issus de certaines techniques de modification génétique, dont diverses techniques de mutagénèse. Cette approche contredit l’arrêt de la CJUE en 2018, qui rappelait que les techniques de mutagénèse apparues ou développées principalement après 2001 produisent des OGM réglementés. Un organisme génétiquement modifié « d’une manière qui ne se produit pas naturellement par reproduction ou recombinaison naturelle » peut-il être obtenu par un procédé « essentiellement biologique » et donc naturel ?

L’instance d’opposition de l’OEB a examiné ce recours et maintenu le brevet, mais sous une forme modifiée qui limite l’invention à deux mutations spécifiques. NPOS fait appel de cette décision de première instance et demande l’annulation de toutes les revendications de brevet. Avant que cet appel ne soit tranché, Carlsberg et Heineken se surprennent en demandant la révocation de leur brevet EP2384110 le 21 octobre 2021 [6]. L’OEB accuse réception de leur demande. Le brevet n’est plus actif.

D’autres droits de brevets en réserve…

D’autres droits de brevets en réserve...

On peut à juste titre se demander pourquoi les brasseries, après onze ans de procédure, renoncent aux droits que l’OEB était prêt à leur accorder. A noter qu’un brevet américain équivalent [7], de portée comparable, reste en vigueur. Ce que NPOS présente comme une victoire se limite au brevet [8]. Mais les deux brasseries ne renoncent pas à leurs droits sur leur orge OGM et la bière qu’elles produisent, et elles défendent deux autres brevets européens sur le même sujet. Ainsi, le brevet EP2373154 délivré en avril 2016 pour une orge modifiée par une mutation du gène de la méthionine S-méthyltransférase (MMT) vient d’être maintenu par l’OEB suite à une procédure d’opposition également menée par le NPOS. L’invention vise à améliorer le profil aromatique de la bière et à réduire la dépense énergétique nécessaire à sa fabrication. Les mêmes arguments fondés sur l’art. 53 ETP ont été présentés par les parties adverses, mais sans l’approbation de la division d’opposition. En août 2016, Carlsberg et Heineken ont reçu un troisième brevet (EP2575433) qui combine les revendications des deux brevets mentionnés ci-dessus. En effet, il revendique une combinaison de trois caractéristiques null-LOX-1, null-LOX-2 et null-MMT [9]. Ce brevet a également été contesté par NPOS et un groupe de brasseurs autrichiens. En l’absence de nouveauté, le même avertissement aux brevets précités est répété : l’invention serait « substantiellement biologique » et dénuée d’invention puisqu’il ne s’agit que d’une combinaison, sans effet particulier, des trois caractéristiques énumérées d’une tige. La division d’opposition de l’OEB, qui avait semblé soutenir ce dernier argument au stade écrit de la procédure, a finalement confirmé le brevet à l’issue de la procédure orale du 10 mai. Répondre Conformément à ses directives, l’OEB interprète la mutagénèse aléatoire mise en œuvre dans le brevet comme une étape technique [10]. C’est suffisant pour le processus de remplacement dans le brevet EP’433 n’était pas considérée comme substantiellement biologique. La décision peut faire l’objet d’un recours dans un délai de deux mois à compter de la décision écrite du service d’opposition. L’Office européen des brevets (OEB) annonce en avril 2022 qu’il accordera à Carlsberg un nouveau brevet (EP1727905) pour l’orge génétiquement modifiée, la bière qui en sera produite et les méthodes de sa production. Ce brevet décrit diverses techniques, y compris la mutagenèse aléatoire (mutagènes, irradiation UV) pour réduire ou inhiber l’activité du gène LOX-1, qui produit une enzyme conférant de la saveur que les brasseurs n’aiment pas. D’autres approches plus ciblées ont également été décrites, telles que l’utilisation d’inhibiteurs de gènes ou du « codon stop » ou « codon antisens » [11]. C’est cette dernière technique qui est mentionnée dans la mise en garde principale. L’objet de l’invention est d’améliorer le goût et la durée de conservation de la bière. L’orge serait également mieux à même de résister aux maladies et de développer la capacité de réduire la production de mycotoxines.

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Ce brevet, déposé en mars 2005, ne concerne que la réduction/inhibition du gène LOX-1. Il est donc a priori plus large que le brevet Carlsberg-Heineken de décembre 2009 précité, qui nécessite la mutation des deux gènes LOX-1 et LOX-2 à des fins qualitatives similaires. Il est également plus ancien que ce dernier. A noter également la durée de la procédure d’examen : 17 ans. Elle a été suspendue en 2013 dans l’attente des décisions de la Grande Commission de Recours de l’OEB [12] sur les produits issus de procédés essentiellement biologiques (ERA). Cependant, les techniques de mutagenèse qu’il décrit ne sont pas des PEB. De plus, même s’ils l’étaient, les produits qui en sont dérivés seraient considérés comme brevetables [13]. A ce jour, ce brevet EP1727905 est valable moins de trois ans, qui expirera en mars 2025. Les efforts de Carlsberg pour l’obtenir semblent souligner l’importance qu’il a pour le brasseur danois. Le fait d’avoir les droits de brevet pour exprimer le gène LOX-1 dans l’orge exercerait-il une forte pression sur les autres producteurs de bière ?

Trois autres demandes de brevet ont été déposées en 2019 auprès de l’OEB (WO2019129736, WO2019129739, WO2019134962), toujours pour l’orge GM et la bière qui en est issue.

Cette actualité rappelle que pour certains acteurs, la préservation effective de l’agriculture écologique, de la sécurité alimentaire et des pratiques paysannes passe avant tout par l’adoption d’un discours clair sur les brevets relatifs aux semences et ressources génétiques et leurs dérivés. Dans le cas de La Via Campesina, par exemple, il faut essayer de convaincre les pouvoirs publics, les institutions, mais aussi la société civile dans son ensemble, de nier explicitement et définitivement la brevetabilité des organismes vivants.

[1] Propriétaire, notamment de la société française Kronenbourg.

[2] Découvert en 2013, donc après le dépôt de cette demande de brevet

[4] Convention sur le brevet européen

[5] Une invention qui « découle évidemment de l’état de la technique ».

[6] Si le titulaire d’un brevet européen n’a pas le droit d’opposer son propre brevet devant l’OEB, il peut à la place demander sa révocation, qui est une alternative à la procédure de révocation au niveau national, qui peut être longue et coûteuse. En effet, une fois délivré, un brevet européen devient national dans les pays qu’il désigne.

[7] US 9 363 959 B2 du 14 juin 2016.

[9] « nul » : en l’absence des gènes LOX1, LOX2 et MMT.

[10] Directives de l’OEB, chapitre G-II, 5.4

[11] Séquences d’ADN courtes spéciales qui empêchent un gène d’être « lu » par un dispositif cellulaire pour produire l’enzyme.

[12] Décisions G2/12 dite « Tomates II » et G2/13 dite « Brocoli II », qui ont constaté que l’exclusion des produits essentiellement biologiques (article 53 (b) CBE) ne couvrait pas les produits issus de ces procédés .

[13] La décision G/19 confirmant que les produits obtenus exclusivement par PEB sont non brevetables ne concerne que les demandes de brevet déposées avant le 1er juillet 2017.