Quand tout bouge autour de nous, il y a toujours, inflexible, Georges Bernanos. Il est un port d’attache, une présence salutaire qui ramène le lecteur à ces « grandes petites choses » qui aident à vivre. « Quand une phrase d’un livre vient vous chercher dans votre nuit et vous porter secours, alors il n’y a pas à s’y tromper : le signe de la grandeur est sur ce livre », écrivait Georges Hyvernaud (1902 -1983), contemporain de Bernanos.

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Avec l’auteur des Grands cimetières sous la lune (1938), on ne sait si c’est l’homme ou l’œuvre qui vient en aide. Il est seulement frappant qu’il ait été dans la vie comme il l’était dans ses livres. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas le cas : beaucoup d’auteurs se retrouvent loin des principes qu’ils édictent dans leurs livres pour flatter l’éditeur ou les humeurs de l’époque. On les voit tous les jours, ces « fous » – terme cher à Bernanos.

« À portée des passants »

A son retour du Brésil en juillet 1945, Paris a voulu lui rendre hommage. La Légion d’honneur, il la méprisait. Le chemin de l’Académie française, que nombre de ses pairs lui ont indiqué, il a refusé. C’était déjà, pour lui, la voie de la corruption morale. En son temps, André Gide, Ernest Renan et Anatole France incarnaient ce que Bernanos détestait le plus : l’adhésion aux modes, les affectations et la destruction du sacré par pure coquetterie : « Le bonhomme France et le bonhomme Renan sont morts, vous ne voyez-moi autrement en colère. Cela dit, quel cœur humain ne leur souhaiterait pas le silence, et la dignité inattendue de cette position horizontale, première attitude sincère de ces deux coquettes tragiques. »

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Pour rester « à la portée des passants », comme il le souhaitait, l’écrivain peut compter sur un messager, né près d’un siècle après lui, qui non seulement salue l’œuvre du maître, mais « raconte » sa vie, en témoin -compagnon, et en tire divers préceptes : Sébastien Lapaque, à la bonne école, jette lui aussi « la parole en avant », c’est-à-dire la vérité.

Pour qui veut entrer dans le monde de Bernanos de manière savante et symbolique, il n’y a qu’une seule porte à franchir, la sienne. Déjà auteurs de plusieurs ouvrages sur l’écrivain catholique, le critique littéraire au Figaro et au Point publie un Vivre et mourir avec Georges Bernanos (éd. de L’escargot). Titre absolutiste choisi par Lapaque, qui place son grand homme sur un plan temporel et spirituel. Nous ne sommes pas seulement des petits Bernanos, nous sommes complètement, ici-bas et au-delà. Il y a presque un geste hérétique dans ce titre voulu : lui aussi, Bernanos, se préparerait donc à la mort.

L’idée d’une guerre totale

Comme Orwell, Anders, Pasolini et Ellul, l’auteur de La France contre les robots (1946) critiquaient « les formes de vie barbares indifférentes aux valeurs de la culture induites par les excès néfastes du capitalisme rampant et prédateur », développe Lapaque, qui souligne combien ses textes « sont vivants et éclairent les événements que nous vivons ».

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Les mensonges, qui tendent à la « décréation » et à la barbarie, ne voyagent pas seuls. Les vérités aussi sont capables de résister à l’épreuve du temps, fortes de leurs sacrifices et de leurs primautés. L’écrivain était habité par l’idée d’une guerre totale, d’une technique devenue folle et d’un enfer ramené sur Terre par les hommes.

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La Russie de Poutine nous rappelle cet encerclement de feu, et Bernanos peut en indiquer la source : « La guerre allemande est finie, écrivait-il en 1946, mais la guerre d’Hitler continue et nous savons déjà que rien n’arrêtera la leçon. l’homme qui l’a inventée, ou plutôt qui l’a conçue, qui l’a portée dans son cœur étranger, son cœur fatal – fatal au monde – son cœur double, n’est peut-être pas mort, son signe est déjà sur tous les fronts. »

La fin d’un monde

C’est « l’Amour » qu’il faut opposer à la guerre et non au mimétisme. Naïf ? Le message étant de ne pas être plus diable que le diable, plus barbare que le barbare. C’est l’astuce ultime du mal. La haine germe, se répand sur d’autres corps, s’agrège à d’autres idées. Et souvent, comme pendant l’Occupation, il faut être loin du drame pour bien percevoir l’obscurité.

Dans son livre essai, Lapaque évoque la clairvoyance d’exilés tels que Saint-Exupéry (à New York), Roger Caillois (à Buenos Aires), Jules Supervielle (à Montevideo), Jacques Soustelle (à Mexico), Jacques Maritain et Claude Lévi. – Strauss (aussi à New York)…

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Aujourd’hui, ce sont des militaires à la retraite qui nous expliquent la psychologie de Poutine, alors que nous cherchons en vain nos penseurs-écrivains (en dehors de Sylvain Tesson), à Paris ou en exil, qui pourraient nous éclairer au-delà de la guerre. Bernanos, du Brésil, avait bien vu que le maintien d’une « situation » matérielle obstrue la vue, freine l’audace au combat, et que, surtout, « nous assistons à la fin d’un monde, sans rien en savoir au juste. celui qui le remplacera ». Quel écrivain aujourd’hui aurait la force et la légitimité d’écrire une lettre à ses compatriotes, ponctuée du « Ô français » ?

« Le don de l’enfance »

Qu’est-ce qui fait la différence alors ? Qu’est-ce qui permet le comptage et l’authenticité ? Il faut s’abstenir de peindre Lapaque en dessinant celui de Bernanos. Car tous deux ont « le don de l’enfance ». Saint-Exupéry avait compris ce qui, au fil du temps, « bougeait » encore en lui : « Nous sommes de son enfance comme nous sommes d’un pays. »

Corruption, mépris, cupidité, idoles en carton horrifient Bernanos et son lointain disciple, qui ne montrent aucune complaisance envers quiconque ment ou pervertit une cause, quitte à se brouiller avec d’autres croyants (l’Action française, la droite bourgeoise, les religieux sans cœur…) . Bernanos a renié Maurras, jamais Péguy : tout y est. Robert Vallery-Radot attribuait la « colère violente » de son ami Georges à une « enfance humiliée » par des hommes qui ont souillé tout ce qu’il vénérait, l’honneur, la fraternité, la pauvreté, la vérité…

Lapaque le remet en situation, le ramène à la vie, si l’on peut dire. Au Brésil, face aux Français, dans les années 1930, ou encore travailla sur la question sociale. Cela le met en contact avec d’autres auteurs du même calibre. « La question sociale est d’abord une question d’honneur. C’est l’humiliation injuste des pauvres qui les rend misérables », a dit Bernanos à un personnage qui est « son porte-parole », le Dr Delbende dans Le Journal d’un curé de campagne. La guerre ou la révolte sociale, le vide de l’existence ou les méfaits des machines, Bernanos a tout dit.Alors éteignez vos écrans et « lisez, diffusez son oeuvre », pour reprendre l’appel du messager Lapaque.

« Vivre et mourir avec Georges Bernanos », de Sébastien Lapaque, Editions de l’Escargot, septembre 2022, 190 pages, 18 euros.