[Accès aux soins : ça craque !] A l’interface de la ville et du reste de l’hôpital, les services d’urgence subissent de plein fouet les défaillances structurelles de la chaîne médicale.

Appels multiples, mails, déplacements en personne au service administratif… Rien n’a fonctionné, le centre hospitalier d’Albi a refusé de nous laisser faire un constat aux urgences, arguant que « les conditions actuelles n’étaient pas réunies ». Du côté des soignants, personne ne s’est bousculé non plus pour évoquer l’état du service.

Sur place, chacun nous réfère à la direction : « Il faut leur accord, sans eux, on ne peut pas vous parler. » Une réticence à parler qui ne doit rien au hasard : « C’est qu’il y a déjà eu des intimidations de la part de direction, qui a insidieusement rappelé aux agents leur devoir de réserve, c’est-à-dire l’interdiction de parler à la presse de l’établissement », rapporte André*, membre de la CGT de l’hôpital. Vibe…

Il y aurait pourtant des choses à dire. Les urgences de cette ville de province souffrent des mêmes maux que dans le reste du pays, où 120 services (un sur cinq) fonctionnent déjà en mode dégradé.

« Victime d’une surcharge de travail »

A Albi, aucune fermeture partielle n’est prévue cet été, mais l’équipe est « victime d’une surcharge de travail. Il est arrivé récemment qu’elle ait dû gérer 58 entrées en une seule journée. Pour chaque patient, cela signifiait six heures d’attente », illustre Laurie Trutino, secrétaire générale de la CGT de l’hôpital Les infirmières se retrouvent régulièrement avec dix patients à leur charge chacune.

« C’est trop. Il faut surveiller simultanément ceux qui sont dans les box d’examen, ceux qui attendent leurs résultats et ceux aux urgences vitales, ce qui requiert toute notre attention. Parfois s’ajoutent aussi des blessures mineures, qui ne nécessitent pas d’hospitalisation. Deux agents du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) sont là pour nous prêter main-forte, mais leur mission prioritaire est extérieure à l’hôpital », précise André.

Les infirmières de l’hôpital psychiatrique d’Albi, envoyées aux urgences générales pour prendre en charge notamment les tentatives de suicide, souffrent également d’un manque de moyens.

« Parce qu’il n’y a pas assez d’espace, nous nous retrouvons parfois à interroger des patients dans des placards à balais. Soit nous sommes envoyés dans des chambres déjà occupées par trois civières. Pas terrible pour le secret médical », regrette Camille*, infirmière psychiatrique.

Sans oublier que les hauts débits ne permettent pas non plus une prise en charge de qualité : « On nous exhorte à faire notre bilan le plus tôt possible, mais parfois les patients sont encore sous l’effet des produits, donc notre rapport n’a pas beaucoup de valeur. » fait-elle remarquer. Pour l’infirmière d’accueil et d’orientation, la situation n’est guère plus rassurante.

« Son rôle est de faire un premier bilan des patients qui arrivent, mais aussi de suivre ceux qui attendent encore. Le problème est que le lobby est trop petit et trop chaud. Donc, les gens attendent dans le stationnement, donc l’infirmière ne peut pas les voir », précise André.

Le risque est alors de rater l’urgence vitale. Comme à Toulouse, où une personne admise aux urgences du CHU de Purpan le 3 juillet est décédée d’un arrêt cardiaque. Contrairement à la direction, les soignants de l’hôpital soutiennent que l’infirmière d’accueil n’a pas pu l’aider assez rapidement en raison de la surcharge de travail.

Pénurie de personnels à l’hôpital…

Le manque de personnel explique en partie cet engorgement aux urgences. A Albi, la CGT réclame, depuis 2019, l’embauche d’une infirmière de nuit et celle d’une assistante maternelle. Sans succès. En face, la direction rétorque qu’elle est incapable de recruter. « C’est probablement vrai aujourd’hui, mais ce n’était pas le cas en 2019 et ça ne s’améliore pas », grince André.

L’augmentation du recours aux heures supplémentaires est la première conséquence des difficultés de recrutement, selon la FHF

Selon une étude de la Fédération hospitalière de France (FHF) réalisée en avril et mai, la quasi-totalité des établissements publics peinent désormais à trouver des ambulanciers. Pour les hôpitaux, cette difficulté est particulièrement aiguë dans les services de soins courants, comme les urgences.

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L’enquête Pôle Emploi sur les besoins en main-d’œuvre a montré qu’à fin 2021, les directeurs d’établissements (publics et privés confondus) prévoyaient de recruter au total 45 000 infirmiers et 87 000 aides-soignants en 2022.

Alors, comment expliquez-vous un nombre aussi élevé de postes vacants ? Le Covid, d’abord, est passé par là. « Certains soignants sont partis pour échapper à l’obligation de vaccination et ne sont toujours pas revenus », précise Laurie Trutino.

Or, l’étude FHF a montré qu’à l’échelle nationale, l’excellent taux de vaccination des professionnels permettait de ne pas augmenter la pression sur les effectifs. Mais aujourd’hui, de nombreux soignants jettent l’éponge, fatigués d’être constamment appelés pendant leurs jours de congé pour remplacer leurs collègues.

Dans son enquête, la FHF montre que l’augmentation du recours aux heures supplémentaires, qui concerne 97% des établissements de santé, est la première conséquence des difficultés de recrutement. Sans compter que les étudiantes infirmières ne semblent plus attirées par les urgences.

« Il y a de moins en moins de jeunes diplômés suffisamment mûrs pour venir y travailler. Ensuite, le stage dans le service brise l’enchantement : après avoir été confrontés à cette réalité, ils appréhendent d’y retourner », se souvient André.

Concernant les médecins, le problème est un peu différent. C’est plutôt l’absence de liberté qui les pousse vers la sortie.

« Avant, ils pouvaient organiser leur service comme ils l’entendaient, selon leur projet. Désormais, ils doivent se soumettre aux seules exigences qui comptent : l’obtention des certifications accordées par les autorités de tutelle et le nombre d’actes réalisés », dénonce Brigitte Laroche, secrétaire de l’Union Syndicale Départementale Action Santé et Action sociale CGT.

Alors ils claquent la porte, parfois pour rejoindre le secteur privé. Aux urgences d’Albi, il manque actuellement 25 % de médecins.

… et de médecins généralistes

Voilà pour le manque de personnel dans les murs. Mais d’autres problèmes se posent, comme le manque de médecins généralistes en ville, qui a aussi pour effet d’engorger les urgences. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, près de 6,3 millions de patients (11 % des assurés) n’ont pas de médecin traitant, contre 5,1 millions en 2017.

« Comme il y en a de moins en moins, les gens ne savent plus qui contacter et se rendent aux urgences faute de mieux. Il arrive maintenant que des personnes atteintes de maladies chroniques se manifestent, par exemple, pour le renouvellement de leur ordonnance ou, pire, une détérioration de leur état », soupire André.

Cela souligne également le manque d’éducation de la population. « Certaines personnes viennent aux urgences pour un deuxième avis médical », regrette-t-il.

« Il faut revoir tout le système de santé », André

Autre cause d’encombrement : la fermeture ponctuelle des urgences des hôpitaux voisins, comme à Lavaur, petite commune située à une cinquantaine de kilomètres d’Albi. Faute de personnel, le service ferme désormais régulièrement ses portes la nuit.

Enfin, il y a le fameux problème des lits dits « en aval », c’est-à-dire des places disponibles à la sortie des urgences. Comme partout ailleurs, l’hôpital d’Albi en manque. Selon la Drees, le service statistique du ministère de la Santé, à l’échelle nationale, près de 80.000 lits ont été supprimés dans les établissements publics de santé entre 2000 et 2020, soit un quart de leur capacité d’accueil. Et cela crée un cercle vicieux :

« Le problème, c’est qu’on renvoie les patients chez eux faute de places dans les services. Mais ils reviennent deux jours plus tard aux urgences, car ça ne va toujours pas bien », déplore Laurie Trutino.

Dans les étages, l’hôpital d’Albi peine à libérer les lits, notamment ceux occupés par des personnes âgées. La raison ? Le manque de places dans les structures adaptées et aussi la difficulté à trouver une ambulance.

« Les bons de voyage ne sont pas toujours remboursés. Si ces personnes habitent loin et n’ont pas de famille pour venir les chercher, comme c’est de plus en plus le cas, alors elles restent coincées à l’hôpital », explique André. Conclusion : « Même si nous augmentions les effectifs des urgences de 25 %, cela ne suffirait pas. Il faut revoir tout le système de santé. »

*Les noms ont été changés

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