Jean-Luc Moens a été frappé par deux épreuves successives : la maladie de sa fille et une forme grave de Covid-19. Il révèle avoir reçu un « baiser de Dieu », source de croissance spirituelle.

Il est 9 heures du matin à Rome le 17 janvier 2019. Jean-Luc Moens commence sa journée par un temps d’éloges. Depuis sa nomination par le pape François comme modérateur de Charis, un nouveau service international du Renouveau charismatique, l’homme, alors âgé de 67 ans, a passé l’essentiel de son temps dans la capitale romaine. Membre de la Communauté de l’Emmanuel depuis près de quarante ans, le Belge planche sur le lancement officiel de cet organe prévu pour la prochaine Pentecôte. Alors qu’il est en prière, il perçoit la vibration de son smartphone. Peut-être un appel de l’agent immobilier avec qui il a rendez-vous ce jour-là pour signer le bail de son nouveau logement romain. Non. Sur l’écran de l’appareil apparaît le prénom d’Anne, son épouse restée provisoirement en Belgique. Sans hésiter, Jean-Luc Moens décroche. « Le cœur de notre fille a cessé de battre ! », lance sa femme en pleine panique. Leur fille Marie-Anne tombe gravement malade. A 1 500 kilomètres de là, Jean-Luc vit « l’horreur », confie-t-il plus de trois ans plus tard. Il revient prier. C’était la seule et la meilleure chose à faire dans cette situation…

Pendant quarante-cinq minutes, les secours peinent à ramener Marie-Anne à la vie. Ils finissent par y arriver. Un miracle. Mais pas la fin de l’épreuve. Dans le coma, la jeune maman a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Encore une fois, elle s’en tire, mais avec des conséquences cette fois. « Elle est restée paralysée du côté gauche ainsi que des membres inférieurs », explique Jean-Luc Moens. Pour s’occuper de Marie-Anne avec sa femme, il a choisi de démissionner de Charis. Il quitte Rome pour rejoindre la maison familiale de Louvain-la-Neuve, laissant derrière lui une vie palpitante, toujours entre deux avions, pour un quotidien centré sur sa fille handicapée.

« Dieu avait un meilleur plan ! », répète-t-il aujourd’hui.

Cette épreuve, ainsi qu’un sévère Covid-19 au cours duquel il a vécu une « expérience mystique », en ont fait un témoin. « Tu ne serais jamais venu m’interviewer autrement ! », se moque-t-il dans un éclat de rire alors qu’on vient juste de le rencontrer. Il en est ressorti profondément transformé et est désormais certain que « la toute-puissance de Dieu s’exprime dans sa capacité à transformer le mal en bien ».

Jean-Luc Moens, père de famille, est impliqué dans la Communauté de l’Emmanuel depuis près de quarante ans. Belge et mathématicien de formation, l’homme a dirigé Fidesco, une ONG issue de la nouvelle communauté, et a été membre du Conseil pontifical Cor Unum. Il a été le premier modérateur de Charis, Service International pour le Renouveau Charismatique.

Comment avez-vous vécu ces deux dernières années ?

De nombreuses personnes ont prié pour la guérison de Marie-Anne. Le pape lui-même intercède pour elle. Venant au chevet de notre fille, un ami charismatique, Damian Stayne, me dit quelque temps plus tard : « Tu sais, nous l’avons sauvée de la mort. Nous mettons toute notre foi dans le Seigneur en espérant sa guérison. Aujourd’hui, nous l’espérons encore. Et si ce n’est pas encore arrivé, il y a eu des améliorations. Je reste convaincu que Dieu a un meilleur plan pour Marie-Anne et pour toute notre famille. Qu’est-ce que cela signifie ? Que la Providence veille sur nous en tout temps. La croix est toujours pour un plus grand bien. Ce « meilleur plan » dont je parle est tiré d’un livre qui m’a profondément touché, et qui raconte la vie de Don Michele Peyron, un prêtre italien passionné par la Providence.

Comment s’est passée l’arrivée de votre fille chez vous en Belgique ?

Après avoir passé un an à l’hôpital, Marie-Anne est arrivée chez nous à Louvain-la-Neuve, trois jours avant que le confinement ne soit décrété en Belgique, le 17 mars 2020. Pour l’accueillir, nous avons dû faire d’importants travaux de rénovation à notre domicile. Aucun endroit n’était adapté à sa situation. En effet, si l’AVC n’a pas altéré ses capacités intellectuelles – notre fille est toujours le docteur en mathématiques qu’elle était avant son accident et parle toujours quatre langues -, ce n’était pas le cas sur le plan physique. Nous ne l’avons jamais entendue se plaindre.

Pourtant, en quelques semaines, Marie-Anne a tout perdu : son mari qui l’a quittée dans les semaines qui ont suivi sa maladie, ses enfants confiés aux soins du père, un corps valide mais aussi son travail, sa maison… Quand elle est sortie du coma, on lui a demandé si elle était heureuse d’être en vie malgré tout, ce à quoi elle a répondu : « Oui, je le suis. Un jour, un aumônier de l’hôpital lui a demandé ce qui la faisait le plus souffrir. Elle a répondu : « Que mon mari m’a quittée. Avec mon épouse Anne, nous avons dû repenser toute l’organisation qui avait été imaginée pour que je puisse mener à bien ma mission d’animatrice de Charis à Rome. Parce que nous avons sept enfants et treize petits-enfants, nous avons convenu, par exemple, qu’Anne partagerait son temps entre Rome et la Belgique. Mais, finalement, elle n’est jamais venue en Italie… Pour ma part, j’ai été modérateur de Charis pendant deux ans, jusqu’au jour où le pape François est venu me dire que je n’étais pas obligé de continuer comme ça. En 2021, j’ai donc choisi de revenir de Rome auprès de ma fille et de ma femme.

Que faisons-nous, en tant que parents, lorsque nous sommes confrontés à une souffrance telle que celle de votre fille et la vôtre ?

Je ne dis pas que c’est simple. Nous avons beaucoup souffert et nous continuons à souffrir. Comme saint Paul, nous sommes appelés à compléter dans notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ. Probablement pas tout le monde peut le faire. Pour certains, c’est inimaginable, voire insupportable. Mais je pense et je ne veux choquer personne en disant que Dieu nous a choisis pour participer aux souffrances de son Fils bien-aimé sur la croix. Cette conviction est le fruit d’un cheminement, d’une complicité avec Jésus. Je prie et je vais à la messe tous les jours depuis cinquante ans. Je n’ai pas d’apparitions : tout ce que je dis ici est un acte de foi que je dois répéter chaque jour. Et je n’aurais certainement pas dit ça à 30 ans. Si la souffrance n’est pas enlevée, je peux la vivre parce que je l’offre et ça devient alors un acte d’amour.

Comment tout cela se traduit-il au quotidien, avec votre fille Marie-Anne ?

Chaque jour, il y a des activités autour de Marie-Anne qui mobilisent au moins l’un d’entre nous, le plus souvent ma femme. Matin et soir, une infirmière vient lui prodiguer des soins médicaux et corporels. Nous dépendons de ces visites à des moments fluctuants. Le week-end, elle arrive vers 6h30. Fini de dormir [rires] ! Dès que je peux, j’emmène ma fille à la messe. Ensuite, nous déjeunons tous les trois. Un détail m’a choqué. Depuis des années, nous avons le Saint-Sacrement à la maison. Aujourd’hui, le lit de Marie-Anne est exactement là où se trouvait le tabernacle. Personnellement, j’entends Jésus me dire : « Je suis venu à toi dans le corps de ta fille. Nous accueillons Jésus dans notre maison dans notre fille blessée.

Pourquoi avez-vous choisi de quitter le service Charis ?

Quand j’étais encore à Rome, Anne, ma femme, devait supporter le poids de la vie quotidienne ici. Elle était disposée à le faire pour que je puisse continuer à servir l’Église universelle. Elle ne m’a jamais demandé de quitter ma tâche. C’est le pape François lui-même qui a ouvert la porte à un départ. « Tu n’as pas à continuer », m’a-t-il dit un jour. Cela a créé une terrible lutte intérieure, car Dieu m’avait appelé à Rome, j’en étais sûr. Alors, était-ce vraiment sa volonté que je quitte ce travail que j’aimais ? J’ai compris qu’il était important de montrer que je voulais lui obéir en tout. Si le Pape lui-même me disait que je pouvais partir, je considérais cela comme un ordre de Jésus. Même si c’était un gros sacrifice. Je l’ai fait aussi parce qu’étant à la tête du corps du Renouveau charismatique, j’avais vu beaucoup de leaders s’accrocher à leur position. En montrant que l’obéissance à l’Église et à Jésus passe avant tout, j’ai voulu donner un témoignage important pour le Renouveau mondial. Et donc je suis revenu chez moi, en Belgique.

Pendant ce temps, à Rome, vous avez été gravement touché par le Covid-19.

À Lire  Amadea n'est pas restée longtemps

Oui, j’ai passé plus de quinze jours la tête dans un casque, dans lequel de l’oxygène était constamment projeté. Je n’étais pas trop inquiet, car je n’avais aucune douleur et j’ai eu la chance d’être soigné dans l’hôpital romain le plus avancé pour les maladies infectieuses. Mais, un après-midi, pour une raison quelconque, j’ai ouvert la petite trappe de mon casque. En me voyant, une infirmière m’a littéralement « enguirlandée », me disant de ne plus faire ça. « Si je ne peux même pas tenir dix secondes avec la porte ouverte, il y a peut-être un problème… » me suis-je finalement dit.

Vous témoignez cependant que vous avez passé un « temps béni avec le Seigneur » lors de votre hospitalisation à Rome.

En tout, je suis resté cinq semaines à l’hôpital. Un jour, comme dans un éclair, j’ai eu une « expérience mystique » : j’ai reçu un baiser de Dieu… Je n’avais jamais vécu son amour à un tel degré d’intimité. Sous mon casque, je pleurais. Et, à partir de ce moment, ma prière a changé. J’ai commencé à appeler Jésus « mon Bien-Aimé », le Père « Papa chéri », ce que je ne faisais pas auparavant. Dieu m’a donné l’expérience concrète de l’amour fou.

Pensez-vous que l’accident de Marie-Anne et votre Covid vous ont préparé à cette « expérience mystique » ?

Sans aucun doute. Si je parle d’un baiser de Jésus, c’est parce que Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont j’essaie de suivre le « petit chemin », dit que sa première communion fut comme le premier baiser du Christ à son âme. . Pierre Goursat, le fondateur de la Communauté de l’Emmanuel, nous faisait résonner La Petite Thérèse ! Le saint de Lisieux parlait souvent de sacrifices. Il y a des petits et des grands. Et si nous apprenons tout au long de notre vie à offrir les plus petits, un jour nous sommes prêts pour les plus grands. Pendant ma convalescence à Rome, je n’avais qu’un seul livre avec moi, celui du Père Pierre Descouvemont qui est un ami. Ce livre s’intitule Les Messages d’amour de Jésus à Gabrielle Bossis, disciple de Thérèse. Je l’ai lu peut-être trente ou quarante fois pendant mon hospitalisation. Ces messages de Jésus à Gabrielle Bossis m’ont vraiment préparée à « l’expérience mystique » que j’ai vécue. Surtout des phrases comme : « Aime-moi comme tu peux, je complète » ou « Dis-moi souvent : « Jésus, tu es là et je t’aime ». Là réside une des clés de ma vie spirituelle : la foi en la présence de Jésus en moi. Mon Bien-Aimé est dans mon cœur et je suis dans mon Bien-Aimé. A l’hôpital, j’ai été privé de la messe quotidienne et de l’adoration, comme j’en avais l’habitude. Mais j’ai senti la présence de Jésus et son amour. Si j’avais le sentiment de ne pas assez l’aimer, il me répondait : « Aime-moi comme tu peux, je complète. Cela m’a pris cinq semaines, faisant de ces journées un intense tête-à-tête avec mon Créateur.

Pensez-vous que Dieu avait un plan pour vous ?

Je pense que Dieu m’a mis à part pour parler à mon cœur. Avant, j’avais une vie trépidante, je voyageais dans le monde entier, allant de rendez-vous en rendez-vous. Ma vie s’est arrêtée, mes habitudes se sont perdues du jour au lendemain. Je n’avais plus que la prière. Quand je suis entré à l’hôpital, l’aumônier m’a dit : « Tu verras, Dieu te fera revoir toute ta vie. Une vraie prophétie ! Pendant cette « retraite », Dieu m’a guéri de mes scrupules. Parce que j’ai toujours eu peur de ne pas faire assez de bien pour Lui. J’ai vécu sur la pointe des pieds en essayant de gagner les grâces de Dieu. Et j’ai toujours trouvé que mes orteils ne me soulevaient pas assez haut ! Pendant mon Covid, Jésus m’a dit intérieurement : « Je m’en charge ; J’ai mis la main sur toi depuis le début. Le Bon Dieu m’a fait comprendre que ce n’était pas à moi d’agir, mais que c’était bien Lui qui agissait en moi.

Cela a-t-il changé votre vie ?

Oui, mais le combat reste. Ce n’est pas parce que nous avons une expérience de Dieu que tout devient simple après. D’autres combats apparaissent ou les mêmes reviennent… plus forts ! Ma vie n’est pas devenue un long fleuve tranquille. Comme Paul Claudel, je dis : « Jésus n’est pas venu expliquer la souffrance, il est venu souffrir avec nous. Les souffrances ne sont pas envoyées par Dieu. Il n’y a rien de plus faux que de penser cela. Dieu n’est pas masochiste. Mais Il nous propose de vivre nos souffrances en union avec son Fils pour un plus grand bien. Et ça change tout ! Sur la croix, Jésus savait comme Dieu qu’il sauvait le monde. Et cela l’a certainement réconforté. Mais quand même, Il a vraiment souffert. La Vierge Marie m’aide aussi beaucoup à consentir à souffrir. A l’hôpital, je l’ai aussi reçu d’une manière nouvelle.

Comment, justement, rendre ce message audible à ceux qui ne sont pas là ?

C’est mon expérience; Je n’ai aucune prétention à en faire un absolu duplicable par tout le monde. La clé, cependant, est de s’assurer que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom 8.28). Dans la plupart des cas, je ne verrai le bien résultant des épreuves que j’ai traversées en communion avec Jésus qu’après ma mort. C’est l’expérience de Jésus lui-même. Il n’a pas vu le fruit de son sacrifice de son vivant. Il devait d’abord mourir sur la croix, dans la foi, en criant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Tous ceux qui souffrent peuvent crier comme Jésus sur la croix. Parce que quand je souffre, je souffre vraiment. Ce n’est pas parce que j’offre cette souffrance que je ne suis pas éprouvé. C’est après la résurrection que Jésus a vu qu’il avait vaincu la mort, le péché, la douleur… De même, peut-être que je ne verrai jamais la guérison physique de ma fille dans cette vie. Mais au Ciel, il me sera donné de voir ce que Dieu lui a préparé. Et ce sera extraordinaire.

Les essais que vous avez proposés portent-ils déjà leurs fruits aujourd’hui ?

Mes parents ont divorcé quand j’avais 19 ans. Une grande souffrance et un choc qui a brisé notre famille. Si nous ne nous sommes jamais disputés avec mon frère et ma sœur, nos relations étaient restées tendues. Cependant, ma sœur était aumônière de l’établissement où Marie-Anne a été transférée en convalescence. A ce moment, j’ai découvert l’immense beauté de la personne de ma sœur au service des malades. J’ai commencé à l’admirer et, plus largement, à découvrir qui elle était, quand la vie nous avait séparés. Maintenant, nous allons à la messe ensemble tous les dimanches et partageons sur la foi. Rien de tout cela n’existait avant la maladie de Marie-Anne.

Enfin, pour quelles intentions particulières offrez-vous ces souffrances ?

Nous sommes trois à travailler pour la sainteté que Dieu rêve pour moi : Jésus, Marie et moi. Je fais des efforts, bien sûr, mais que sont-ils à côté de Jésus qui est Dieu, et de la Vierge Marie, reine des anges et du Ciel ? C’est de la folie, mais ça m’a convaincu que je serais saint. Je veux être pour plaire à Jésus. Pas de ces saints qui sont placés sur les autels, non. Mais j’ai la certitude que Dieu réussira son œuvre dans ma vie si, bien sûr, je reste fidèle jusqu’au bout, par sa grâce. Tout ce que je vis, je l’offre à Marie qui choisit l’âme qui en a le plus besoin. C’est la source d’une très grande liberté : je n’ai plus de bien spirituel en moi.

Comme Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, j’arriverai bredouille au Ciel puisque je donne tout à Marie au fur et à mesure. Sur mon lit d’hôpital, j’étais convaincu que le Seigneur m’avait pris par la main et me conduisait. Depuis, j’ai compris ce qui allait m’arriver quand j’allais mourir. Que la Vierge Marie serait là et que si le diable pointait le bout de sa fourche, elle lui dirait, en me désignant : « Bas les pattes, celui-là est à moi ! [des rires]. Car ce ne sont pas mes mérites qui sont en jeu. Dieu réussira dans son « œuvre » si je le laisse être Dieu dans ma vie. Je prie quotidiennement pour que toute ma famille se retrouve un jour au paradis. Je ne veux pas être saint sans les autres.

Prière dans le coeur et sous la plume