Emmanuel PEZÉ, Vice-Président Afrique/MO de la TINUBU. © BF
Numéro 1 mondial des éditeurs de logiciels SaaS pour le métier de l’assurance-crédit, la société française TINUBU va s’implanter en Afrique francophone, en ciblant prioritairement les TPE et PME, dont on connaît l’énorme difficulté d’accès, même si c’est beaucoup d’argent disponible sur le marché…
Par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse
APP – Quel est le but de votre présence à la quatrième édition d’Ambition Africa à Bercy ?
Emmanuel PEZÉ – J’y participe personnellement chaque année pour deux bonnes raisons. Nous coopérons beaucoup avec Business France car BPI est un de nos actionnaires historiques depuis une dizaine d’années, et nous avons maintenant une coopération constante avec Business France.
La deuxième raison de ma présence ici est qu’Ambition Africa est un lieu de rencontre principalement pour les Africains francophones. Cependant, TINUBU, éditeur de logiciels d’assurance-crédit, n’a pas encore conquis de grands marchés en Afrique francophone, même si l’un de nos fondateurs est togolais. Au sein de TINUBU, je suis responsable de la vente de nos systèmes et services pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Je suis donc venu principalement pour nouer des contacts.
Pour la TINUBU, les TPE et PME ont un besoin pressant que les assureurs-crédit apportent les garanties, qu’elles ont pour la plupart beaucoup de mal à apporter, afin d’obtenir des crédits bancaires ou des crédits fournisseurs sans lesquels elles ne peuvent investir et se développer.
APP – D’où vient ce nom originel de votre entreprise, pourtant français ?
Emmanuel PEZÉ – Notre entreprise est une pépite française qui joue un rôle éminemment stratégique, mais le nom – TINUBU – a une histoire. Tinubu Square est le nom d’une place de Lagos, l’ancienne capitale du Nigéria, où mon jeune frère Jérôme a commencé sa carrière en travaillant pour la SCOA (West African Commercial Company) et se rendait une fois par semaine à Tinubu Square pour rencontrer des représentants de celui-ci. Finance. Il se souvint du nom de ce lieu, symbole pour lui d’échange et de négociation.
« L’idée est de faciliter le crédit en installant la confiance »
« L’idée est de faciliter le crédit
en instaurant la confiance »
Mon métier est de fournir aux assureurs-crédit publics ou privés les systèmes leur permettant de faire leur métier de A à Z et de communiquer avec leurs clients. Il s’avère que ma famille est dans le métier de l’assurance-crédit depuis trois générations puisque mon grand-père Jacques Benoist d’Anthenay a été l’un des fondateurs de l’historique SFAFC (Société Française d’Assurance pour la Promotion du Crédit).
L’idée est de faciliter le crédit en instaurant la confiance. C’est quoi le principe ? En échange de la souscription d’une assurance, la compagnie d’assurance-crédit couvre le risque du prêteur ou de la personne qui accorde le crédit, qu’il s’agisse d’une banque ou d’une entreprise qui vendra à crédit à une autre entreprise.
Depuis la mise en place de règles très strictes applicables aux banques quant à la solvabilité de leurs clients et à l’encadrement des crédits qu’elles peuvent accorder (accords de Bâle 1, Bâle 2 et Bâle 3 mis en place pour ne pas rééditer la catastrophe bancaire de 2008 ), les banques sont devenues très strictes (avec une certaine souplesse, mais en Afrique) sur les conditions de prêt, alors qu’elles ne manquent pas non plus de capacité financière…
APP – Comment prêter de l’argent aux PME en Afrique exactement ?
Emmanuel PEZÉ – Les acteurs du dernier G7 avaient prévu d’accorder un prêt de 300 milliards de dollars sur dix ans à l’Afrique. D’accord, mais comment l’argent arrivera-t-il concrètement à ceux qui économisent de l’argent et ne peuvent que le développer, à savoir les TPE et les PME ?
« Au moment de la crise du Covid, la France s’est retrouvée sans assureur-crédit »
Afin de donner de l’argent à ceux qui sont susceptibles de développer leur petite entreprise, on leur demande généralement – lorsqu’il s’agit de banques – des garanties. Ce sont souvent des hypothèques. Lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques, nous menons également des enquêtes pour obtenir plus d’informations. Le problème en Afrique, cependant, c’est que 65 à 70 % des affaires se font de manière informelle, sous le radar des banques, qu’il y a peu d’informations financières et que les entreprises n’ont pas l’habitude de se financer auprès des banques.
Voyez le paradoxe : il y a beaucoup d’argent disponible pour développer les PME, mais aucun moyen de le leur faire parvenir en toute sécurité. A moins que nous n’obtenions – grâce à une compagnie d’assurance-crédit – une garantie dont le principe est très simple : si votre client ne vous paie pas, fait défaut ou ne vous rembourse pas, la compagnie d’assurance rembourse jusqu’à 90 %. La compagnie d’assurance-crédit apporte l’élément manquant : la confiance, elle injecte de la confiance dans l’économie.
« Au moment de la crise du Covid,
La France s’est retrouvée sans compagnie d’assurance-crédit »
APP – Donnez-nous des exemples…
Emmanuel PEZÉ – Je prendrai deux exemples historiques.
1/ L’économie française à la fin de la Seconde Guerre mondiale avait le plan Marshall pour reconstruire les routes, les voies ferrées et assurer les dommages de guerre. Très bien, mais on oublie souvent de dire comment ça s’est passé pour les entreprises. La France – et c’est la raison d’être des « Trente Glorieuses » – possédait des compagnies d’assurance-crédit dont on connaît encore aujourd’hui les noms SFAFC ou COFACE, qui apportaient des garanties. C’était crucial.
2/ Le deuxième exemple est à la fois présent et africain. L’Afrique du Sud retrouve aujourd’hui de bonnes bases économiques, mais c’est surtout le seul pays d’Afrique qui compte au moins trois compagnies d’assurance-crédit fournissant des garanties privées sur le marché sud-africain, avec ses voisins et à l’étranger.
Le premier est CGIC (Credit Guarantee Insurance Corporation) qui détient 70% du marché, le deuxième Hollard, et le troisième Lombard, le premier garant du pays. Et il existe aussi une Agence de crédit à l’exportation (ECIC), une sorte de bras dépendant du ministère du Commerce et des Finances pour garantir les projets dans les pays voisins notamment.
L’Afrique du Sud est donc dotée et même suréquipée de garanties et d’assurance-crédit… Le 22 septembre, j’assistais au congrès annuel du CGIC à Johannesburg et il était frappant de voir à quel point les entreprises locales sont soutenues par leurs compagnies d’assurances-prêts qui acceptent de prendre des risques.
« Nous préparons une tournée en Afrique francophone »
Car la grande maladie de ce secteur, c’est l’assurance-crédit qui ne veut plus prendre de risques. Il y a 25 ans, on considérait qu’une compagnie d’assurance-crédit devait rembourser au moins 50 % des primes qu’elle encaissait. Une compagnie d’assurance-crédit indemnise beaucoup, sinon elle n’est pas crédible. Car s’il ne compense pas, en conséquence du risque qu’il accepte de supporter, à quoi bon ?
APP – Et quelle est la situation en France aujourd’hui ?
Emmanuel PEZÉ – En France, la SFAFC a été rachetée par les Allemands et est devenue Allianz Trade, la COFACE est désormais détenue par Arch, un fonds d’investissement étranger, et il y a Atradus. (ex-Gerling Namur) très actif en France, mais qui appartient désormais aux Espagnols de Credito Y Caution.
Au moment de la crise du Covid, la France s’est retrouvée sans compagnie nationale d’assurance-crédit pour accompagner les entreprises françaises. Et cette absence a également conduit à la création d’une nouvelle société, qui s’appelle Cartan et a démarré en janvier dernier. C’est la preuve que l’assurance-crédit est un outil important pour le développement d’une économie.
Mais n’êtes-vous pas avant tout un homme de terrain ?
Emmanuel PEZÉ – C’est tout à fait exact. Moi, quand je vais en Afrique, je vais sur le terrain parce qu’on ne peut pas faire valoir l’intérêt commercial d’un produit comme celui-ci sans en parler directement aux personnes concernées. Je m’adresse donc aux Départements du commerce et des finances, aux assureurs privés pour les sensibiliser et leur rappeler qu’il existe un énorme marché d’assurance-crédit à court terme qui peut être souscrit en Afrique, notamment pour le risque domestique, et qu’il existe également une importante capacité de réassurance disponible en Afrique.
Mais il y a souvent des blocages au niveau des autorités politiques. Pourquoi l’Afrique du Sud se porte-t-elle si bien ? C’est parce qu’il existe des initiatives privées efficaces. Je l’ai aussi vu en juillet à Nairobi (Kenya) au congrès des assureurs africains où nous étions plus d’un millier.
« Nous préparons un voyage
en Afrique francophone »
APP – N’est-ce pas un travail amusant ?
Emmanuel PEZÉ – L’assurance-crédit est, parmi les métiers de l’assurance, celui qui nécessite les outils les plus pointus. TINUBU s’investit depuis 22 ans pour développer des outils qui sont dans le « i-cloud » et on peut dire que notre entreprise a eu l’idée du « i-cloud » avant « i-cloud » ! Avec ces outils disponibles directement sur un ordinateur portable et une douzaine de gars qui comprennent le métier, vous pouvez démarrer une compagnie d’assurance-crédit. Nos systèmes sont sophistiqués, c’est vrai, mais nos systèmes ont été adoptés par toutes les plus grandes compagnies d’assurance privées du monde, y compris des Américains particulièrement avisés comme A.I.G. (Groupe international américain).
APP – Revenons un peu aux origines de TINUBU…
Emmanuel PEZÉ – La société a été fondée en 2000 par mon frère Jérôme PEZÉ qui était alors directeur commercial de la compagnie d’assurance-crédit Euler et venait de rencontrer Olivier Placca deux ans plus tôt. Ce dernier était alors l’un des gérants d’Expérian en France, et s’occupait de la numérisation et de la mise en ligne de la base de données du registre du commerce français.
Ils se sont associés et ont lancé TINUBU. Au départ ils étaient cinq et aujourd’hui nous sommes 170 dont 120 à notre siège d’Issy-les-Moulineaux dans la Tour Eqwater. Nous avons ici une équipe de 70 ingénieurs informaticiens, tous spécialistes de l’assurance-crédit, qui développent et travaillent avec nos systèmes.
Dans ce secteur, nous sommes la seule entreprise au monde à avoir autant investi – au moins 20 % de notre chiffre d’affaires chaque année depuis vingt ans – pour développer ses compétences et des systèmes toujours plus pertinents et sophistiqués. Nous sommes donc aujourd’hui un leader reconnu et incontesté sur ce marché. Nous avons également développé notre activité de cautionnement, et aux Etats-Unis 70% des « bonds », les garanties qui sont émises, sont émises via nos systèmes.
Et 30 des 60 meilleures compagnies d’assurance-crédit au monde sont nos clients. Cela vous donne une idée de l’impact de notre communauté !