Multinationale de 21 000 salariés, Akka a supprimé 1 700 emplois en France depuis la crise du Covid. Mais seulement 300 étaient passés par un PSE en règle. Pour les 1.400 autres, la CGT dénonce un « plan social de départ ». Un management violent aurait poussé les salariés vers la sortie. Une analyse fortement étayée par un rapport indépendant. L’accusateur a été saisi par la DDETS.

« J’avais peur qu’ils me trouvent coupable quelque part juste pour me virer. (…). Akka, c’est la gestion de la peur » lâche, paradoxalement, un manager. « Je mets tout par écrit, je traque tout. Je sais qu’Akka est prêt à vous licencier pour insuffisance ou autre », ajoute un consultant.

Ces extraits du rapport fourni par Apteis* ont été remis le 15 février 2022 au CSE pour Akka High Tech, filiale d’Akka Technologies, entreprise de services du numérique spécialisée dans l’industrie. Ses résultats, particulièrement étayés**, sont effrayants. Ainsi, les trois quarts (73%) des salariés de la box dépassent leurs heures de travail, rappelle le rapport, et 41% des salariés sont fortement exposés au stress professionnel. La principale raison : leur gestion. Ils ont trop de travail et n’ont pas les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs.

« Notre malaise ? C’est comme prendre un chef CAP, lui donner un salaire CAP et lui donner un poste de chef. Ce n’est pas possible », résume un autre consultant, également interrogé dans le rapport d’Apteis.

L’aéronautique malade du Covid

L’idée d’un rapport sur les RPS (risques psycho-sociaux) a germé dans l’esprit des élus du CSE d’Akka High Tech dans la période après le premier confinement. De juillet 2020 à juillet 2021, ils constatent à la fois une augmentation des démissions, mais aussi des licenciements. Un constat confirmé par le rapport : 149 licenciements et 64 suppressions d’emplois sur la période pour un effectif total de 953 salariés en juillet 2021. La logique mise en place à l’échelle de leur entreprise se décline également dans l’ensemble du groupe qui comptait à l’époque 7 700 salariés. en France, mais n’en compte que 6 500 aujourd’hui.

Rappelons le contexte. Lors du premier confinement, Airbus ferme ses portes et prévoit de supprimer 15 000 emplois dans le monde. En France, les sous-traitants de l’aviation s’affolent et suppriment massivement : 3000 licenciements annoncés chez Daher, 700 chez AAA, 475 chez Latécoère… Et quand les patrons ne licencient pas, ils coupent les salaires – ce qui équivaut aussi à faire du monde – comme à Derichebourg . Pour une société de services comme Akka Technologies, qui ne dépend que des commandes de ses clients, c’est une douche froide. La direction a rapidement annoncé qu’environ 1 150 emplois pourraient disparaître. Pour rappel, lorsqu’un salarié est placé en chômage partiel, seuls 25% de son salaire sont pris en charge par son entreprise. Le reste est pris en charge par la caisse de sécurité sociale. Mais pour Akka, c’est déjà trop, une coupe drastique est prévue.

« Plan social off »

Après cette première séquence Covid, la CGT compte 1.700 postes clôturés. 300 régulièrement dans le cadre de divers PSE mis en place dans 5 des 6 filiales du groupe en 2021. Mais aussi 1 400 ont disparu dans la nature après une gestion agressive. « Ils ont créé une rupture sociale », résume Franck Laborderie, délégué syndical CGT à Akka High Tech, qui a même inventé un jeu de mots pour résumer l’affaire : « Akkasse sociale ».

En 2021, la box est finalement cédée à Adecco, société de recrutement leader du secteur, mais également experte en conseil, via la filiale Modis (30 000 consultants). L’objectif d’Adecco est de fusionner les deux sociétés pour créer un leader mondial du conseil en technologie et ingénierie numérique, capable de concurrencer Capgemini, numéro 1 du secteur.

Maurice Ricci, patron historique d’Akka, a-t-il eu l’idée de vendre sa boîte avant ou après Covid ? Les syndicalistes d’Akka sont divisés sur la question. Mais il y a un autre point sur lequel ils s’accordent : la réduction induite du nombre de salariés français qui ont débuté chez Akka depuis 2019 lui a certainement permis de le revendre plus cher. Une vente qui rapporte 650 millions d’euros à ce natif de Lyon, selon les informations de Médiacité.

L’histoire d’Akka

Pour bien comprendre la mise en place du « off plan social » sur Akka. il faut avant tout comprendre son histoire et son fonctionnement. Maurice Ricci, son fondateur, est ingénieur de formation. Son truc, c’est de travailler avec des logiciels pour l’industrie automobile. Nous sommes au milieu des années 1980, l’informatique se développe dans les entreprises industrielles, et cela ressemble à un coup à jouer. Les leaders de l’industrie recherchent des employés qui connaissent le fonctionnement d’un moteur, mais qui savent surtout l’expliquer à un ordinateur. Cependant, ils ont du mal à recruter. Maurice Ricci estime qu’au lieu de se contenter de travailler pour eux, il pourrait créer une box qui leur fournirait massivement les services dont ils ont besoin. Il lance alors sa propre entreprise, qui prendra plus tard le nom d’Akka Technologies.

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Aucun produit à fabriquer, Akka est un vivier d’ingénieurs dans lequel viennent puiser d’autres entreprises, appelées « clients finaux » ou « entrepreneurs ». Presque comme une grande entreprise temporaire dont les travailleurs seraient hautement spécialisés, employés sur des contrats à durée déterminée et correctement payés. Maurice Ricci n’invente rien, ce modèle explose dans l’époque. On parle de sociétés de services, ou ESN (digital service company) chez les initiés. Les plus connus sont CapGemini, IBM France ou Atos. Jackpot pour le patron. Il décroche des contrats avec Renault, Audi, Toyota, élargit son domaine de compétence au ferroviaire et surtout à l’aéronautique. Loin de 9 salariés, comme il aime à le raconter dans la presse, aujourd’hui plus de 20 000 travaillent chez Akka à travers le monde.

Limiter les intermissions

Ce n’est que dans le contexte particulier d’une entreprise de services numériques (ESN) que l’on peut appréhender « le niveau social sur Acre ». Alors que le groupe cherche en permanence à recruter pour toujours répondre aux demandes des clients et conquérir des parts de marché, il essaie au maximum de réduire le temps passé par les collaborateurs entre deux missions.

Cette situation détestée est appelée rupture ou intercontrat. Elle est forcément récurrente dans les premiers stades de la crise sanitaire, lorsque les commandes se font rares. En novembre 2020, 900 des 2.200 consultants d’Akka Technologies à Toulouse sont ainsi en pause, et 250 travaillent sur des projets internes, « non facturés », précise Les Echos.

Pour résoudre le problème, Akka Technologies utilise la voie dure : proposer des missions externes, voire inadaptées aux collaborateurs. C’est le constat de l’inspection du travail dans une lettre liminaire, adressée à la direction d’Akka Technologies en décembre 2021, que Rapports de Force a pu consulter.

« L’inspecteur du travail a constaté une diminution importante des effectifs à travers une augmentation du nombre de licenciements disciplinaires. Cette réduction des effectifs s’est produite (…) alors que l’employeur accentuait ses démarches auprès des salariés employés en intercontrat ou à temps partiel pour leur proposer des missions ou des mutations impliquant des déplacements géographiques importants. Ces propositions s’accompagnaient de demandes insistantes adressées aux salariés pour qu’ils y répondent dans un délai très court (quelques jours seulement) et sous peine de licenciement pour motif disciplinaire en cas de refus.

Comme un militaire qui dirait « je veux pas aller à la guerre ! »

De là à considérer que des missions à distance étaient proposées à des salariés dont on était sûr qu’ils les refuseraient, précisément dans le but de les licencier, il n’y a qu’un pas. Mais l’Autorité norvégienne de l’inspection du travail ne la franchit pas. En revanche, elle estime qu’Akka a usé de méthodes abusives pour maximiser le « taux de marge » généré par ses salariés.

Certains salariés partagent leurs doutes. « Honnêtement, je pensais que c’était une fausse mission pour me faire dire non. J’en ai parlé à des amis et j’ai vu qu’il y avait pas mal de licenciements pour refus de mission. J’avais l’impression que c’était presque fait exprès », raconte un consultant interrogé dans le rapport Apteis.

Un cadre rappelle dans ses propres mots que la mobilité réduite fait partie du contrat :

« Si un salarié n’a rien (ndlr : pas de mission en cours) et qu’on lui propose une activité en province, malheureusement son contrat stipule qu’il y a des frais qui sont là pour compenser certaines choses, malheureusement c’est le risque de l’avantage. Bien sûr , on n’est pas à l’aise avec ça, mais je fais un parallèle assez dur : c’est comme un soldat qui dirait « je ne veux pas faire la guerre ! »

Face à une situation dangereuse pour la santé des salariés, la DDETS (Direction de l’emploi, du marché du travail et de la solidarité) a saisi le procureur de la République. La direction d’AKKA a, de son côté, demandé une nouvelle expertise sur RPS « A croire que l’expertise sera connectée tant que la direction n’aura pas un rapport docile qui permette de sous-estimer l’état physique et psychologique catastrophique des salariés d’AKKA- le groupe », conclut la CGT.

* Société experte indépendante spécialisée dans le diagnostic des risques psychosociaux.

** 41 entretiens de 1h30-2h réalisés auprès des salariés à différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise, ainsi que 410 retours de questionnaires pour 919 destinataires (forte représentativité).